Faire enregistrer sa marque en Allemagne ? Attention à son caractère distinctif !

Par Marie-Avril Roux Steinkühler, Avocat et Jeanne Penicaut, Juriste.

L’économie allemande est la plus importante de l’Union Européenne avec un PIB de 3 571 milliards d’euros. L’Allemagne est, en général, la première destination des entreprises françaises qui veulent s’exporter. Il est donc important d’avoir sa marque protégée sur ce territoire. Mais si l’office français des marques est peu regardant sur le caractère distinctif des marques, le DPMA est très exigeant et n’hésite pas à refuser l’enregistrement de marques pourtant déjà validées par d’autres offices.

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Pour autant, si l’office allemand a tendance à refuser l’enregistrement d’une marque en première instance, en appel, le Bundespatentgericht (la Cour fédérale allemande des marques et brevets) peut plus facilement valider une marque qui avait auparavant été refusée à l’enregistrement pour manque de distinctivité par le DPMA (Office allemand des marques et brevets).

La Cour fédérale des marques considère qu’une échelle généreuse doit être appliquée. Pour elle, tout caractère distinctif, aussi faible soit-il, est suffisant pour surmonter le motif de refus [1]. Cette jurisprudence est conforme à la jurisprudence européenne qui juge que l’appréciation du caractère distinctif doit se fonder sur la marque dans son ensemble [2].

Prenons un exemple concret avec « Gusta » :

En l’espèce, la demande de marque semi-figurative (marque internationale IR n°1 528213), déposée pour les classes alimentaires, comportait les termes « gusta, artisanal, vegan », de couleurs différentes, ainsi qu’un petit cœur.

En première instance, le DPMA estime que les éléments verbaux du signe sont une compilation de termes compréhensibles de la langue espagnole, italienne et française évoquant l’artisanat, le végétalisme et le concept d’une chose « aimée ». L’on comprend, sur la base de la signification de ces différents terme pris dans son ensemble, qu’il s’agit de produits savoureux, traditionnels, fabriqués avec amour et d’origine végétalienne.

La combinaison de ces éléments qui seraient classiques dans le jargon du commerce mondial, y compris leur mise en forme graphique qui ne présenterait aucun caractère original ni aucune spécificité, ne peut constituer un terme global protégeable. Dans le cas de termes supposés non distinctifs, les exigences imposées en matière de conception graphique afin d’obtenir une protection seraient plus élevées et ne permettraient pas de sauver la marque.

Enfin, argument très souvent relevé par l’office allemand, les expressions générales et descriptives doivent rester de libre usage dans l’intérêt général et ne peuvent être monopolisées par une entreprise en particulier.

Le tribunal fédéral annule la décision de l’office allemand.

La décision rappelle ainsi que seule l’absence totale de caractère distinctif justifie un motif de refus, de sorte que tout caractère distinctif, aussi faible fut-il, suffit à surmonter le motif de refus [3].

Sont notamment dépourvus de caractère distinctif les signes qui ont un contenu conceptuel qui est immédiatement et sans ambiguïté saisi en tant que tel pour les produits ou services en cause [4]. Les indications qui se réfèrent à des circonstances qui ne concernent pas directement le produit ou le service lui-même sont dépourvues de caractère distinctif lorsque l’indication établit un rapport descriptif étroit avec les produits ou les services pour lesquels l’enregistrement est demandé et qu’il est dès lors justifié de supposer que le public saisit facilement et sans ambiguïté le contenu conceptuel descriptif en tant que tel et ne voit pas dans la désignation un moyen de distinguer l’origine des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé [5].

En l’espèce, elle appuie principalement son argumentation sur le fait que le terme « Gusta » forme conjugué du verbe espagnol « gustar », ne sera pas compris par la majorité du public allemand - malgré le goût marqué des touristes allemands pour Mallorca ou Ibiza -... La langue espagnole ne constitue pas en Allemagne une langue étrangère courante ou de communication, comme l’anglais ou le français, même si elle peut être comprise par les professionnels du commerce international. Elle ne peut donc être prise comme référence.

Les indications descriptives provenant d’une langue courante du commerce mondial sont généralement dépourvues du caractère distinctif requis en vertu de la jurisprudence de la CJUE. Cependant, le principe de la libre circulation des marchandises au sein de l’UE ne s’oppose pas à l’enregistrement en tant que marque nationale d’un signe qui, dans la langue d’un autre État membre, est descriptif par rapport aux produits et/ou services visés [6]. Selon la jurisprudence de la CJUE relative à la protection dans un État membre de l’UE (en l’occurrence l’Allemagne) de désignations dépourvues de caractère distinctif dans la langue d’un autre État membre (en l’occurrence l’Espagne), il est déterminant de savoir si le public concerné en Allemagne est en mesure de percevoir la signification du mot « gusta » - dans le sens d’un éloge ou d’une indication matérielle purement publicitaire [7].

Le mot « gusta » n’est pas une indication qui décrit clairement les caractéristiques et les propriétés des produits et des services concernés au sens de l’article 8, paragraphe 2, point 2, de la loi sur les marques, mais tout au plus un éloge ou un message publicitaire.

Le terme est certes proche du mot italien « gusto », plus connu des allemands, sans être toutefois identique, puisque le « o » a été remplacé par la voyelle « a ». Or, cette modification d’une indication descriptive par le changement du « o » en « a » peut fonder le caractère distinctif, malgré la référence au contenu du terme concerné, à condition de revêtir un caractère individualisant. C’est ce que reconnaît en l’espèce le tribunal fédéral.

« Gusta » est qualifié de « signe parlant », présentant un caractère autonome au-delà d’une simple description.

Une fois encore, le DPMA doit revoir sa copie.

Bundespatentgericht, 8 décembre 2022, 30W(pat)533/21.

Marie-Avril Roux Steinkühler, LL.M. Certified IP/IT Lawyer - Paris - Berlin, & Jeanne Penicaut, juriste
Mars- Ip
www.mars-ip.eu mars chez mars-ip.eu

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Notes de l'article:

[1BGH, Beschluss vom 17.10.2013, Az. I ZB 11/13 - Grillmeister.

[2CJCE, arrêt du 16 septembre 2004, affaire C-329/02.

[3BGH GRUR 2018, 301 Rn 11 - Marque Pippi -Langstrumpf ; GRUR 2016, p. 934, point 9 - OUI.

[4Arrêt de la Cour de justice, GRUR 2004, p. 674, point 86 - Koninklijke KPN Nederland NV/Benelux-Merkenbureau (Postkantoor).

[5BGH GRUR 2018, 301 point 15 - Marque Pippi Langstrumpf ; GRUR 2014, 569 point 10 - HOT ; GRUR 2012, 1143 pt. 9- Starsat ; GRUR 2009, 952 Rn. 10 - DeutschlandCard.

[6CJCE, op. cit., point 29.

[7Voir CJCE GRUR 2006, 411, phrase introductive et points 17, 26 - Matratzen.

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