La Haute Autorité de santé estime qu’entre 600.000 et 1,5 million de Français sont bipolaires (de 1 à 2,5%) et 600.000, schizophrènes (1%). Et, au sein de cette dernière catégorie, 1% sont dangereux. Ces malades, rongés par des idées délirantes ou un syndrome de persécution, ont 7 fois plus de risque de commettre un homicide. 17 fois plus s’ils consomment de la drogue ou de l’alcool.
Mais alors, faut-il punir ou soigner ?
C’est souvent la question posée dans des affaires criminelles comme tout récemment, lors du meurtre de la collégienne de 12 ans, à Paris 19ème arrondissement, par une femme de 24 ans avec un état psychique inquiétant. Mise en examen, elle sera examinée prochainement par un expert psychiatre, désigné par les 3 juges d’instruction, qui dirigent l’enquête.
L’expertise psychiatrique est un outil pour le juge d’instruction afin qu’il sache si la personne mise en examen est un malade mental et donc irresponsable de ses actes.
Mais depuis des siècles, nous sommes confrontés à un principe moral intangible : on ne juge pas les fous mais la loi du 24 janvier 2022 et son décret d’application d’avril 2022 semblent y tordre le cou.
Cette loi a vu le jour suite à l’affaire Sarah Halimi, cette femme retraitée de 65 ans, de confession juive, tuée à cause de sa religion à Paris en avril 2017, par son voisin, musulman, âgé de 27 ans pris d’une bouffée délirante aigüe d’origine exotoxique ayant conduit à l’abolition de son discernement, d’après les conclusions d’un rapport psychiatrique confirmé en appel et en cassation.
Le changement en matière de responsabilité pénale a connu beaucoup de résistance.
Avec l’affaire Outreau, une affaire pénale d’agression sexuelle sur mineurs concernant des faits déroulés entre 1997 et 2000, il y a eu une valorisation excessive du rôle des experts qui avaient jugé crédibles les propos d‘enfants ayant accusé de viols plusieurs dizaines de personnes ; propos sur lesquels ces enfants sont revenus et ont permis d’innocenter les personnes accusées à tort.
Dès lors, s’est installée une défiance envers les sachants parce que les experts se portent en analystes.
Ils interprètent mais l’interprétation ne doit pas outrepasser leur mission.
L’expertise ne doit pas être une extrapolation.
L’expert doit garder son indépendance et son impartialité sinon cela peut être cause de nullité de l’expertise.
Concrètement, comment se déroule une expertise psychiatrique ?
L’expert rencontre, la plupart du temps, les individus qu’ils doivent examiner, dans un établissement carcéral.
Mais l’expert ne contextualise jamais les opérations d’expertise : juste avant l’expertise, le mis en examen a peut-être eu au téléphone sa mère malade, ou une décision unilatérale de rupture.
L’expert ne précise jamais « Je rencontre Monsieur dans telles conditions... ».
L’expertise est un avis technique.
Il faut des questions techniques pour asseoir un raisonnement pénal.
L’expert est un technicien indépendant qui répond aux questions formalisées par le juge et demandées par l’avocat si le juge accepte. En effet, l’avocat peut demander au juge que soient posées des questions complémentaires à l’expert dans sa mission, que des pièces soient versées pour qu’il en prenne connaissance avant d’expertiser le mis en examen.
Quelque part, l’expert et le juge sont un peu comme 2 bœufs qui tirent la charrue. Si l’un n’est pas bon, il entraîne l’autre dans le ravin.
Mais on ne va pas se mentir : l’expert veut faire plaisir au juge pour qu’il soit renommé par lui.
L’intégration de l’expertise est fondamentale dans la procédure judiciaire.
Mais l’expert ne doit pas déborder du domaine technique, ne doit pas sortir du cadre procédural.
L’expert est sollicité parce qu’il a une spécificité expertale, il est au service d’une thèse.
Un expert pourrait être considéré comme un algorithme d’intelligence artificielle.
L’expert doit examiner et répondre juste aux questions posées par le magistrat instructeur et les avocats, dans l’ordonnance de désignation de sa mission.
Il ne doit pas dire la culpabilité.
La culpabilité ne doit pas être une hypothèse de travail pour l’expert. Aucun élément de culpabilité ne doit être recherché.
A partir d’une vérité scientifique, l’on parvient à une vérité judiciaire.
Aucune vérité objective n’existe.
Nous n’avons qu’une vérité certaine : la mort.
Abolition / altération : la partie la plus arbitraire de l’expert.
Une certaine partie de subjectivité.
L’expert a le droit de douter mais il doit l’expliquer pour que les parties comprennent.
Sinon il s’agit d’une mauvaise expertise et l’ensemble du système va capoter même si le juge n’est pas lié par l’expertise qui ne vaut qu’à titre de renseignements.
Mais il faut cultiver le doute et ne pas se laisser faire par les conclusions de l’expertise.
L’avocat ne doit pas se laisser porter par les apparences (vérification Accréditation COFRAC, par exemple).
Un débat judiciaire dans lequel nous sommes tous d’accord, c’est l’erreur assurée.
Il faut toujours distiller le doute.
Il faut relativiser l’influence des experts sur les jurés.
Le premier débiteur de l’obligation de douter est l’avocat.
L’avocat a un rôle important dans l’œuvre de la justice car celle-ci est collective.
Le juge doit être habité dès le départ par le doute et l’avocat doit le cultiver.
La culture du doute est quelque chose d’important.
Lorsque l’expert, Monsieur Paul Bensoussan, a parlé le premier de l’aliénation parentale, il a été victime de cyberharcèlement. Donc, oui, parfois, l’expertise psychiatrique peut déranger.
D’autant que la jurisprudence autorise tous les dérapages, ce qui est dommageable pour notre Etat de droit.
Désormais, les experts peuvent interpréter leurs résultats en livrant leur avis sur la culpabilité.
La Cour de cassation impose désormais la notification du droit au silence dans les expertises psychiatriques. Cela doit être écrit dans les rapports d’expertise sinon nullité de l’expertise.
Depuis la loi du 24 janvier 2022, le rapport aux toxiques de l’individu est obligatoire pour se rendre compte d’un ralentissement idéique.
Quand la consommation de toxiques est habituelle, c’est un mode de vie constitué en en diminuant les effets d’une prise initiale.
Et la question est de savoir comment établir la consommation de substances dans l’intention, l’un des éléments caractérisant le délit ou le crime.
L’expert se fait une idée par rapport à une capacité de discernement habituel, si la personne dispose d’un cadre de pensée structurée ou non.
Mon conseil en tant qu’avocat : Nous devons, davantage, investir le terrain de l’expertise dès sa commission pour imposer le contradictoire !
Avertissement de la Rédaction du Village de la Justice :
Le concept du "Syndrome d’aliénation parentale" fait l’objet de controverses. Il ne fait à ce jour l’objet d’aucun fondement scientifique - mais à l’inverse il n’est pas interdit et est utilisé dans de nombreux dossiers juridiques.
L’expression et l’usage du concept sont fortement déconseillés au niveau européen (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0406_FR.html), étudiée au niveau français avec une note d’information mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale). Note introuvable à notre connaissance (voir à ce sujet : https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ171202674.html ).
Les enjeux sont multiples et nous semblent devoir être tranchés par une autorité publique.
Dans l’attente de clarification, nous vous invitons à prendre avec grandes précautions cette expression qui est ici employée sous la seule responsabilité de l’auteur.
Discussions en cours :
Article percutant. Merci de votre partage
Très intéressant et surtout d’actualité