L’exception d’inexécution en matière de recouvrement de charges de copropriété : moyen de défense efficace ?

Par Charles Dulac, Avocat.

2348 lectures 1re Parution: 4.33  /5

Explorer : # exception d'inexécution # charges de copropriété # recouvrement # défense juridique

Ritournelle du copropriétaire débiteur mécontent, l’argument de l’exception d’inexécution est supposément efficace mais en réalité totalement inefficient.

-

C’est la ritournelle des audiences civiles dédiées spécifiquement au recouvrement de charges de copropriété (et oui, ce type d’audience existe). Il n’en compte pas une qui puisse se targuer d’avoir évité cet écueil. Parfois soulevée de bonne foi, d’autres fois preuve d’une ultime duplicité du copropriétaire assigné, l’exception d’inexécution reste majoritairement l’argument de défense le plus utilisé par le débiteur de ses charges. Par cette pirouette, le copropriétaire croit renverser la tendance et du défendeur tout penaud qu’il était, il devient l’accusateur grandiloquent d’un Syndicat des copropriétaires défaillant, même plus souvent d’un syndic responsable de tous ses maux. Ce dernier s’estime dès lors légitime à opérer à la rétention pécuniaire de ses charges qu’il fait désormais valoir comme un acte de justice. Encore récemment, j’ai été confronté à cet argument au terme duquel le copropriétaire débiteur affirmait, par le biais de son avocat, qu’il ne s’acquittait pas de ses charges considérant que les travaux de réfection de la colonne d’eau commune n’avaient pas été réalisés, laquelle était fuyarde et endommageait son local. A aucun moment ce dernier ne s’était interrogé sur le fait que c’est justement ses impayés qui rendaient impossibles les travaux de réparation. Or, quand bien même son avocat invoquait pour les besoins de son client cet argument, quel ne fût pas ma surprise d’entendre le Juge lui suggérer l’exception d’inexécution !

Il est ainsi possible de se demander pour quelle raison l’argument de l’exception d’inexécution, qui consiste tout simplement à refuser de s’acquitter de ses charges de copropriété pour dénoncer un fait dont on s’estime victime de la part du Syndicat, demeure dans l’imaginaire collectif comme un moyen de défense valable. Au point qu’un magistrat semble y adhérer, au moins le temps de l’audience. Probablement la faute à un arrêt du 9 février 2017, rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. En acceptant l’exception d’inexécution, les conseillers de la Cour d’appel ont ouvert une brèche et fait croire à l’existence de la potentialité cette prétention, quand bien même ces derniers ont finalement été contredits.

Dans les faits, deux copropriétaires avaient refusé de payer leurs charges, s’estimant victime de la décision d’assemblée générale qui avait empêché de procéder à l’entretien de la voie d’accès à leur logement et avait même fait grevé cet entretien sur leurs têtes. A tel point que ces deux copropriétaires, sans aucun doute lésés par cette décision, n’avaient plus accès à leur lot. Ils considéraient dès lors ne plus être redevables de leurs charges et avaient soulevé cet argument pour assurer leur défense.
A la suite d’un jugement de première instance, un appel avait été interjeté et la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait donné raison aux copropriétaires, considérant que :

« M. X... et Mme Y..., qui sont dans l’impossibilité d’accéder à leur lot, soulèvent à juste titre l’exception d’inexécution de ses obligations par le syndicat, responsable de plein droit des dommages causés aux copropriétaires par le vice de construction » [1].

Par cette déclaration, la Cour d’appel a donc semblé légitimer l’exception d’inexécution en matière de recouvrement de charges. Mais est-ce la réalité ? Ce moyen de défense est-il valable ?

I. L’exception d’inexécution est un argument efficace… en droit civil général.

Longtemps réservée au droit des contrats spéciaux, l’exception d’inexécution a finalement été généralisée au fil du temps par les prétoires des tribunaux. A tel point, qu’avant même sa codification, cet argument de défense était consacré comme le droit de chaque partie à un contrat synallagmatique de refuser d’exécuter son obligation tant qu’elle n’a pas reçu la prestation qui lui est due. Finalement, lors de la réforme du Code civil de 2016 [2], a été inséré un article 1219 au Code civil qui dispose :

« Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais ».

Il faut comprendre que cet instrument vise à la fois à jouer un rôle de prophylaxie, garantissant à celui qui ne parvient pas à obtenir l’exécution de sa prestation un pouvoir pour sortir du contrat sans être contraint de solliciter le remboursement de son paiement, mais également un rôle de contrainte, pour inciter la partie défaillante à s’exécuter pour toucher son dû. L’exception d’inexécution devient alors un moyen de défense pour s’exonérer de son obligation réciproque.

Elle suppose alors la réunion de trois conditions :

  • Les obligations doivent être interdépendantes : cela est tellement évident que le Code civil n’a pas jugé utile de l’écrire. Et pourtant, la jurisprudence rappelle à de nombreuses reprises la condition selon laquelle l’exception d’inexécution ne trouve à s’appliquer que pour des obligations réciproques, c’est-à-dire stipulées en considération l’une de l’autre. A ce titre, elle ne saurait s’appliquer que pour des obligations nées d’une même convention [3] ;
  • L’inexécution doit être certaine : et ne doit pas venir en compensation d’une créance éventuelle ou douteuse. Ainsi l’exception d’inexécution a pu être rejetée pour un emprunteur qui refusait de payer ses échéances à la banque au motif que le bien acheté comportait des vices cachés, obligation dont n’était pas tributaire l’établissement financier [4]. Il appartient donc à l’excipiens de démontrer la véracité de l’inexécution ;
  • L’inexécution doit être suffisamment grave : il appartient au juge d’apprécier les circonstances et de juger de l’importance de l’inexécution et de l’affranchissement du codébiteur de ses obligations.

C’est finalement au titre de cette dernière condition que s’est posée la question de l’application de l’exception d’inexécution en matière de recouvrement de charges.

II. L’exception d’inexécution est un argument inefficace… en recouvrement de charges.

Lors de l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, on aurait pu croire à une acception de l’exception d’inexécution.
Tel n’est pas le cas. Mais vraiment pas le cas.
A tel point que la Haute juridiction, saisie de l’arrêt du 9 février 2017, a intégralement contredit les conseillers de la Cour d’appel, rappelant au visa des articles 10 et 43 de la Loi du 10 juillet 1965 que :

« Attendu que les copropriétaires sont tenus de participer aux charges entraînées par les services collectifs et les éléments d’équipement commun, ainsi qu’aux charges relatives à la conservation, à l’entretien et à l’administration des parties communes ;

[…]

Qu’en statuant ainsi, alors que le vice de construction de l’immeuble, à le supposer caractérisé, n’exemptait pas M. X... et Mme Y... de leur obligation au paiement des charges de copropriété, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; » [5].

Cette solution, bien qu’inédite, n’est absolument pas nouvelle. A de très nombreuses reprises, les juridictions de premier et second degrés, mais également la Cour de cassation, ont rejeté en masse les exceptions d’inexécution en matière de rétention de charges de copropriété.
Que ces refus de payer soient justifier par l’absence de notification du procès-verbal de l’assemblée générale ayant approuvé les comptes [6], par le refus de travaux du Syndicat des copropriétaires et un vice de construction de l’immeuble [7], par des manquements du syndic à ses obligations [8], ou même encore par l’absence de réception des appels de fonds [9], tous ont été rejetés et ont mené à la condamnation du copropriétaire défaillant.

La justification de ce refus systématique de prendre en considération l’exception d’inexécution comme moyen de défense en matière de recouvrement de charges : le caractère d’ordre public de l’article 10 de la Loi du 10 juillet 1965.
C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 19 décembre 2007, déclarant ainsi :

« les copropriétaires, tenus de participer aux charges de copropriété en application des dispositions d’ordre public de la loi du 10 juillet 1965 ne peuvent refuser de payer ces charges en opposant l’inexécution de travaux décidés » [10].

En définitive, de solution miracle, l’argument de l’exception d’inexécution devient un moyen inoffensif. Pire encore, il peut s’avérer contreproductif à l’encontre du copropriétaire défaillant. En effet, il est admis par les Tribunaux que la rétention pécuniaire de charges provoque un véritable déséquilibre dans la trésorerie du Syndicat. De ce fait, si l’incurie du copropriétaire à s’acquitter est reconnue, ce dernier peut se voir condamner à des dommages-intérêts ! Le préjudice peut être reconnu du simple fait que les autres copropriétaires se trouvent en difficulté à avancer les fonds de la partie défaillante [11].

III. L’exception peut toutefois être admise en matière de recouvrement de charges… quand elle n’est pas d’inexécution.

Dans ce cas, l’argument de défense ne consistera plus à démontrer les carences du Syndicat des copropriétaires pour justifier le non-paiement de ses charges mais bien de démontrer que ces dernières ont été réclamées indûment.
En générale, la problématique qui va permettre d’exonérer le copropriétaire défaillant est de deux ordres :

  • La répartition ou la ventilation des charges est erronée : elle ne correspond pas, par exemple, aux modalités fixées dans le Règlement de copropriété [12]. Ou encore, le fait que la répartition de charges n’a pas été calculée conformément aux prescription d’un jugement antérieur [13] ;
  • Le destinataire des charges n’en est pas le véritable débiteur : c’est par exemple le cas de l’associé d’une SCI qui est mis en cause personnellement alors même que c’est sa société qui est propriétaire exclusif du bien [14]. Ou encore, le fait que le lot n’appartient pas à celui à qui les charges sont réclamées [15].

Hormis ces deux grandes catégories casuistiques, les exceptions de défenses sont peu valables en matière de recouvrement de charges. En réalité, il ne peut qu’être conseillé à un copropriétaire de s’acquitter dûment de ses charges. En revanche, ce dernier ne doit pas s’estimer démuni de toute action.
Outre sa possibilité de contester les assemblées générales dans le délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’assemblée générale [16], ce dernier peut également engager des actions en responsabilité, notamment vis-à-vis du Syndicat des copropriétaires [17], quand il s’estime lésé.
Toutefois, ces revendications doivent faire l’objet d’actions indépendantes et ne doivent venir s’assouvir lors d’un procès en recouvrement de charges, au risque de s’y voir débouter.

Charles Dulac
Avocat au Barreau de Paris
contact chez dulac-avocat.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

9 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Cass. Civ. 3ème, 13 septembre 2018, n° 17-17.514.

[2Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

[3Cass. Civ. 1ère, 20 mai 2003, n°00-19.751.

[4Cass. Civ. 3ème, 15 janvier 2003, n°00-16.453.

[5Cass. Civ. 3ème, 13 septembre 2018, n° 17-17.514.

[6Cass. Civ. 3ème., 28 avril 1987.

[7Cass. Civ. 3ème, 13 septembre 2018, n° 17-17.514.

[8CA Paris, 23 Ch. B, 19 février 2009.

[9Cass. Civ. 3ème, 8 mars 2018, n°17-15.959.

[10Cass. Civ. 3ème, 19 décembre 2007, n°06-21.012.

[11Cass. Civ. 3ème, 25 juin 1985.

[12Cass. Civ. 3ème, 1er juillet 2014, n°13.16-282.

[13Cass. Civ. 3ème, 15 juin 2000.

[14Cass. Civ. 3ème, 24 février 1998.

[15TI Aix-en-Provence, 7 juin 2002.

[16Article 42 – Loi du 10 juillet 1965.

[17Article 14 – Loi du 10 juillet 1965.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27854 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs