Les auteurs de loi « Kouchner » [1], en ce qu’elle a prévu un dispositif amiable d’indemnisation des préjudices nés d’accidents médicaux, se sont assignés un objectif audacieux : déjudiciariser le contentieux de l’indemnisation du préjudice corporel au pays du culte de la loi et du procès, dix ans après l’affaire du sang contaminé…
On ne le rappelle jamais assez si on veut comprendre l’improbable réussite du mécanisme mis en place en 2002 : la culture juridique française repose sur le culte de la loi, symbole de la conquête républicaine contre l’absolutisme royal. Dès le 26 août 1789, l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame que « La loi est l’expression de la volonté générale (…) Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », et l’influence majeure des travaux de Rousseau dans cette culture a été analysée [2].
Les tentatives de mise en place de systèmes alternatifs de règlement des différends sont mises en avant depuis de nombreuses années en France, mais leur succès est entravé par cette culture française qui place la loi et le juge au centre de la résolution des conflits, et qui prête au procès un effet cathartique de nature à satisfaire la soif de justice de faire « condamner » le « coupable ».
Il faut dire que la promotion des modes alternatifs fait régulièrement l’objet d’une campagne délétère : au lieu d’en vanter les mérites, elle est présentée comme un moyen de désengorger les tribunaux. Ses promoteurs s’échinent à convaincre des citoyens bercés par le culte républicain de la loi votée par le peuple souverain et allaités par la doctrine de Rousseau, de renoncer au procès non parce qu’ils garderont la maîtrise de l’affaire, de son coût et de sa durée, mais parce que les tribunaux n’ont plus les moyens de juger les « accusés ».
Ce premier objectif était impossible.
Mais ce n’était pas suffisant. La loi s’est assignée un second objectif impossible : confier le règlement de ces demandes amiables à une assemblée diversement composée, notamment de médecins et de juristes. Le discours relevant les oppositions ontologiques entre Droit et Médecine est pourtant ancien [3].
Pire encore, ont été instituées des commissions de conciliation qui règlent tant des conflits de droit public que de droit privé et dont la présidence est partagée entre les deux ordres de juridiction, public et privé. Soit une remise en question frontale du paradigme qui structure l’apprentissage du droit dès la première année de faculté en France [4].
On ne peut non plus passer sous silence la mise en place, dans la plus grande urgence [5], de sept commissions sans personnalité morale, dont la dénomination a réussi le tour de force d’une anacoluthe et de deux pléonasmes en 16 mots [6], une répartition en 7 territoires qui ne correspondent à aucun découpage territorial déjà existant dans le mille-feuille français [7], et des appellations d’origine incontrôlées [8].
Sommaire.
I- Comprendre les oppositions immanentes entre Droit et Médecine
A Des enjeux contraires
1 Des injonctions contradictoires
2 Des objectifs antagonistes
B Des appareillages scientifiques inverses
1 La méthode inductive du médecin en expertise
2 La méthode déductive du juriste dans l’avis
II- Transcender les oppositions entre Droit et Médecine
A Les voix du désordre
1 Les dangers du juriste : entre ultracrépidarianisme et rigorisme
2 Les dangers du médecin : entre relativisme et recherche fondamentale
2-1 La recherche de la vérité : une gageure
2-2 Le pluralisme scientifique : facteur d’échec pour la paix sociale
2-3 La conversion à la vérité : une erreur
2-4 L’allongement des délais : seul vainqueur
B Les voies de la justice
1 La redéfinition du rôle du médecin
2 La redéfinition de l’influence du juriste
2-1 La motivation de l’avis
2-2 Le rappel du cadre juridique
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