Le sort donné à une démission non-équivoque... L’action en requalification d’une démission en un licenciement est-elle vouée à l’échec ?

Par Abdelaziz Mimoun, Avocat

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Explorer : # requalification de démission # licenciement abusif # harcèlement au travail

Parmi les modes de rupture que connaît le code du travail, la démission, acte unilatéral du salarié confirmant son intention de rompre le contrat de travail ne pose, le plus souvent, aucune difficulté, le salarié exprimant sa volonté de quitter les effectifs de l’entreprise qui l’emploie.

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La jurisprudence a affiné, au fil du temps, sa position en la matière en exigeant que la démission, même si elle ne doit pas obligatoirement être écrite, doit résulter d’une volonté clairement exprimée, sans aucune ambigüité quant à la volonté du salarié de quitter sciemment et sans contrainte son emploi.

Pour les praticiens que nous sommes, s’il n’existe aucun formalisme, il convient néanmoins de conseiller à l’employeur de requérir de son salarié qu’il établisse un écrit confirmant clairement son intention.

Ainsi, la démission se distingue de la prise d’acte de rupture, acte par lequel le salarié prend l’initiative de rompre le contrat de travail aux torts de son employeurs en lui imputant un certain nombre de griefs tels que le non-paiement des salaires, des heures supplémentaires, l’existence d’un harcèlement, l’absence de visite médicale de reprise après un accident du travail, etc…

La prise d’acte le rupture a, au moins, le mérite d’être claire en ce qu’elle est équivoque, car elle laisse planer une vraie ambigüité quant à l’imputabilité de la rupture même si c’est bel et bien le salarié qui a pris l’initiative de la rupture.

En ce cas, la situation, même si elle est complexe sur le plan juridique, dans les faits, les choses sont claires : le salarié indique, finalement, que son départ a été contraint par l’attitude déloyale et anti-contractuelle de son ancien employeur.

La situation se complexifie lorsque le salarié, qui a démissionné de façon claire dans les termes utilisés dans sa lettre de rupture, envisage, après coup, de solliciter la requalification de la démission en une rupture, en réalité, aux torts de l’employeur assimilée à un licenciement dénué de fondement.

Le salarié est-il fondé à introduire une telle action ?

Le réflexe premier serait de venir soutenir que le salarié n’ayant invoqué aucun grief dans la lettre de démission au moment de son départ de l’entreprise, il ne peut pas être fondé à solliciter la requalification d’un acte qu’il a librement et sciemment rédigé, bien évidemment, en dehors de tout dol ou de toute erreur.

La seconde voie consiste à venir soutenir que la démission ne constitue qu’un support matériel matérialisant la rupture du contrat de travail, pas plus pas moins, et que l’absence de griefs n’empêche aucunement le salarié de venir remettre en cause sa volonté claire et univoque transpirant de sa lettre.

Lourde tâche que de se positionner sur ce terrain et de remettre en cause un tel acte juridique.

Pourtant, c’est bien cette voie que la chambre sociale de la cour de cassation a ouvert par une série de quatre arrêts du 9 mai 2007 (n°05-40.518, Sté Citernord c/ Noisette et a. ; n°05-41.324 Sté Janier c/ Caulier et a. ; ,°05-40.315, Sté Lacour c/ Broyer et a. ; n°05-42.301 Sté Kent c/ Templier).

La Haute juridiction considère, désormais, que l’absence de griefs formulés dans la lettre de démission n’interdit pas au salarié de se prévaloir de la possibilité de faire requalifier, par le juge prud’homal, la démission en une prise d’acte de rupture aux torts de l’employeur avec les conséquences d’un licenciement abusif.

En effet, dans un attendu de principe, la chambre sociale de la cour de cassation a, le 9 mai 2007, considéré que :
‘‘la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au code du travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu’à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d’une démission’’.

Les conséquences de cet arrêt sont triples :

-  le salarié qui n’a fait état d’aucun grief dans sa lettre de démission est toujours recevable à contester cette rupture pour la faire requalifier en une prise d’acte de rupture avec les conséquences d’un licenciement non-causé ;

-  l’existence de faits antérieurs ou concomitants à la démission imputables à l’employeur permet au salarié, même en l’absence de leur mention de la lettre de démission, de solliciter la requalification de ladite rupture en un licenciement ;

-  la charge de la preuve des faits incombe nécessairement au salarié.

C’est dans cette logique jurisprudentielle que la Cour d’appel de Versailles a rendu son arrêt du 12 juillet 2011, au terme duquel elle procède à la requalification de la démission en une prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement.

En l’espèce, la salarié, vendeuse, avait notifié sa démission de façon relativement simple en indiquant qu’elle rompait le contrat et qu’elle souhaitait être payée de ses salaires et autres accessoires de la rémunération au titre du solde de tout compte, sans émettre de véritable griefs à l’encontre de l’employeur.

Néanmoins, à l’examen de son dossier et de ses explications, il m’est apparu que la rupture est intervenue dans un climat d’une tension extrême, la salariée indiquant que les responsables de son magasin s’étaient rendus responsables d’un comportement déplacé à son encontre.

En réalité, il résultait de l’examen de son dossier que la salariée avait alerté le dirigeant de la société des faits dont elle avait été victime, ce à quoi ce dernier n’avait pas réagi, violant son obligation de sécurité de résultat.

Sur ce terrain, il ne s’agit que de l’application des dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil qui imposent à l’employeur d’exécuter le contrat de travail de bonne foi. À défaut, l’employeur engage sa responsabilité à l’égard du salarié.

L’article L 4121-1 du code du travail prévoit que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

Par deux arrêts du 3 février 2010 (n°08-40.144 et 08-44.019), la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé que l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs sur le fondement des dispositions des articles L 1231-1, L 1232-1 et L 4121-1 du code du travail.

Au visa des articles L. 4121-1 et R. 4624-21 du Code du travail, la chambre sociale relève que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité.

En l’espèce, la Cour d’appel de Versailles a, dans sa décision du 12 juillet 2011, considéré que l’employeur avait failli à cette obligation par ‘‘la non prise en compte par l’employeur du harcèlement dont elle était victime à l’initiative de ses supérieurs hiérarchiques’’.

Sur ce point, la cour d’appel rappelle bien qu’il appartient bien à la salariée de faire ‘‘présumer d’un harcèlement moral alors que la SARL L.H. n’établit pas avoir pris les mesures de manière à répondre aux faits dénoncés par Mlle M., ni que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Dès lors, le premier grief avancé par Mlle M. apparaît comme établi’’.

La Cour d’appel de Versailles retient un deuxième grief à l’encontre de l’employeur pour considérer que ce dernier a commis un grave manquement justifiant que la démission soit requalifiée en un licenciement abusif.

Ce second manquement réside dans le fait d’avoir contraint la salariée à travailler tous les dimanches.

Le principe du repos dominical est posé à l’article L 3132-3 du code du travail prévoit que ‘‘dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche’’.

Néanmoins, sur ce terrain, il convient de rappeler que l’ouverture dominicale n’est pas, en soi, illégale.

Nombre de secteurs d’activités sont autorisés à exploiter leur activité le dimanche comme cela est rappelé aux articles L. 3132-12 et R. 3132-5 du code du travail, à savoir, la fabrication de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate, les hôtels, restaurants, les débits de boissons, les débits de tabac, les magasins de fleurs naturelles, les hôpitaux, les hospices, les asiles, les maisons de retraite et d’aliénés, les dispensaires, les maisons de santé, les pharmacies, les établissements de bains, les entreprises de journaux et d’information, les entreprises de spectacles, les musées et expositions, les entreprises de location de chaises, les entreprises de moyens de locomotion, les entreprises d’éclairage et de distribution d’eau ou de force motrice, les entreprises de transport par terre autres que les chemins de fer, les entreprises de transport et de travail aérien, les entreprises d’émission et de réception de télégraphie sans fil, les espaces de présentation et d’exposition permanente et, depuis une loi du 3 janvier 2008, dite Loi Chatel, les établissements de commerce de détail d’ameublement.

D’une façon plus globale, lorsque l’activité exploitée par l’employeur ne relève pas des cas ci-dessus énumérés, l’article L 3132-26 du code du travail permet à l’employeur de faire travailler ses salariés cinq dimanches maximum dans l’année, mais uniquement sur autorisation exprès du maire.

Ce texte impose donc à l’employeur de solliciter du maire de la commune, ou le Préfet de police à Paris, l’autorisation exceptionnelle d’ouverture.

Il est à noter que les sites touristiques peuvent également bénéficier de dérogations.

Dans notre affaire, les faits se situent entre mai 2006 et octobre 2007, c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la loi Chatel du 3 janvier 2008, étant précisé que la salariée était employée dans une boutique d’ameublement qui, aujourd’hui, désormais, bénéficie d’une autorisation générale d’ouverture le dimanche par application des dispositions des articles L. 3132-12 et R. 3132-5 du code du travail.

Ainsi, en l’espèce, et, à défaut d’exploiter une activité pour laquelle le travail dominical est permis ou, le cas échéant, d’être spécialement autorisé par le maire à ouvrir exceptionnellement le dimanche, l’employeur a commis une faute portant atteinte au droit à mener une vie privée normale qui suppose un repos le dimanche.

La Cour d’appel de Versailles a, dans son arrêt du 12 juillet 2011, suivi une logique déjà adoptée par la cour d’appel de Paris qui, par un arrêt du 16 octobre 2008 (18ème chambre, section E, RG :07/08499, CESAR c/ CUIS SALON), avait condamné un employeur à indemniser son salarié aux motifs que ‘‘la SARL CUIR SALON ne justifie pas qu’elle avait été autorisée à ouvrir les dimanches ; que l’ouverture ce jour là était donc illégale, ce qui a causé à un préjudice à Jos CESAR du fait de l’atteinte portée à sa vie personnelle (…)’’.

Dans notre affaire, la Cour d’appel de Versailles a donc retenu ce deuxième grief pour caractériser un nouveau manquement imputable à l’employeur et justifier la requalification de la démission en un licenciement abusif.

En conclusion, nous pouvons dire que cet arrêt va dans le bon sens dans la mesure où il est vrai que, bien souvent, lorsque le salarié souhaite quitter l’employeur qui l’emploie, le premier n’a qu’une seule perspective : son départ.

Le salarié n’a pas toujours la lucidité ou le réflexe de circonstancier sa lettre de démission en indiquant qu’il quitte son emploi compte tenu d’un certain nombre de griefs plus ou moins sérieux et dont le cumul pourrait lui permettre de constituer un premier indice vers une requalification de sa démission en un licenciement.

Il n’en demeure pas moins qu’il appartiendra au salarié, demandeur à la requalification d’apporter tous éléments militant en sa faveur pour établir la réalité des griefs qu’il oppose à son employeur, cela même si la lettre de démission est particulièrement taisante sur les raisons de son départ.

Il n’est jamais trop tard.

Comme l’a justement établi la chambre sociale de la cour de cassation dans ses quatre arrêts du 9 mai 2007 (n°05-40.518, Sté Citernord c/ Noisette et a. ; n°05-41.324 Sté Janier c/ Caulier et a. ; n°05-40.315, Sté Lacour c/ Broyer et a. ; n°05-42.301 Sté Kent c/ Templier), l’existence de circonstances antérieures ou contemporaines à la démission permettent au salarié de solliciter la requalification, à la condition, bien évidemment, que la preuve des faits que le salarié imputera à son ancien employeur à l’occasion du procès prud’homal soit rapportée.

Abdelaziz MIMOUN, Avocat au Barreau de Versailles
mimoun-avocat.fr
mimounavocat chez gmail.com
+33 1 30 21 44 04 - +33 1 30 21 21 41

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