I. Conditions de la dérogation espèces protégées
Il convient de rappeler qu’eu égard à la directive du 21 mai 1992 et aux termes des dispositions de l’article L. 411-2, 4° du Code de l’environnement, la dérogation espèces protégées a été prévue en cas de trois conditions cumulatives :
1) Il n’existe pas d’autre solution alternative satisfaisante.
2) La dérogation ne nuit pas au maintien des populations des espèces concernées.
3) La demande est justifiée par l’un des cinq motifs énumérés, notamment le fait que le projet répond à une raison impérative d’intérêt public majeur.
Effectivement, les juges du Palais-Royal ont mis l’accent, à maintes reprises, sur la nécessité de la présence cumulative de ces conditions [1].
II. Clarification apportée par la jurisprudence administrative sur la dérogation espèces protégées.
À la suite des arrêts rendus par le juge administratif à l’égard des dérogations espèces protégées, par un avis important du 9 décembre 2022, publié au recueil Lebon, la Haute juridiction administrative a clarifié plusieurs éléments.
Le juge indique que le nombre de spécimens et l’état de conservation des espèces protégées n’affectent pas l’application du système de protection des espèces protégées qui exige de vérifier la nécessité d’obtenir une telle dérogation.
En outre, une dérogation espèces protégées n’est nécessaire que si le projet présente un risque significatif et « suffisamment caractérisé » pour ces espèces. À cet égard, une dérogation n’est pas exigée si l’autorité administrative, après avoir examiné les mesures d’évitement et de réduction des impacts proposées par le demandeur, estime que ces mesures assurent une réduction efficace du risque.
Le Conseil d’État précise enfin que, pour accorder une dérogation, l’autorité administrative doit évaluer l’ensemble des impacts potentiels du projet sur les espèces protégées, en tenant compte des mesures d’évitement, de réduction et de compensation proposées par le demandeur, ainsi que de l’état de conservation des espèces concernées [2].
Par un autre arrêt rendu le 27 mars 2023, le Conseil d’État applique ces éléments dans le cadre d’un projet éolien. Dans cette affaire, la cour administrative d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 9 mars 2021, a enjoint au préfet de demander à la société concernée de déposer une demande de dérogation espèces protégées.
La cour a constaté que le site du projet abritait de nombreuses espèces protégées dont la conservation pourrait être affectée par le projet dans la mesure où les mesures visant à atténuer l’impact du projet n’éliminaient pas totalement le risque.
Le Conseil d’État censure ce raisonnement dès lors que la cour administrative d’appel n’a pas vérifié si les mesures en question étaient suffisamment efficaces pour réduire le risque à un niveau acceptable, de sorte que ce dernier n’est pas suffisamment caractérisé [3].
III. L’incidence d’une modification substantielle à l’égard d’une demande de dérogation.
Par une décision du 8 juillet 2024, la Haute juridiction administrative apporte plusieurs éléments à l’égard d’une demande de dérogation espèces protégées [4].
Dans cette affaire, le préfet a délivré le 5 décembre 2012 à la société un permis de construire s’agissant d’un parc éolien.
Le préfet, par un arrêté du 30 janvier 2018, a précisé que les actes délivrés à la société exploitante étaient devenus un arrêté d’autorisation environnementale au 1ᵉʳ mars 2017. Il a également prescrit des mesures de protection pour l’avifaune et les chiroptères, incluant l’interdiction de fonctionnement diurne du parc éolien.
Par un nouvel arrêté du 16 janvier 2020, le préfet a modifié ces prescriptions en levant cette interdiction, tout en ajoutant des mesures complémentaires. Par un arrêt du 8 décembre 2022, la cour administrative d’appel de Toulouse a rejeté la demande d’annulation de l’association « Ligue pour la protection des oiseaux » déposée à l’encontre de ce dernier arrêté préfectoral.
D’une part, le Conseil d’État indique qu’il est indispensable que l’autorité administrative prenne, à tout moment, les mesures nécessaires pour prévenir les dangers et protéger la nature et l’environnement, incluant la préservation des espèces protégées et de leurs habitats.
En effet, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’erreur de droit en constatant seulement que les mesures réduisaient le risque de collision sans évaluer le risque résiduel. La cour a également relevé des mesures correctives qui n’interviendraient qu’après la survenance de ce risque, sans tenir compte du fait que le parc éolien affectait une espèce protégée dont la mortalité d’un seul spécimen pouvait compromettre son état de conservation.
D’autre part, le Conseil d’État confirme qu’un permis de construire valide au 1ᵉʳ mars 2017 pour un projet éolien est considéré, dès cette date, comme une autorisation environnementale qui englobe divers actes, y compris la dérogation « espèces protégées ». Il est donc recevable de contester sa légalité si elle ne comprend pas une telle dérogation, requise pour le projet éolien en litige.
À cet égard, le Conseil d’État indique que :
- Une dérogation espèces protégées est nécessaire, à tout moment, lorsqu’un projet soumis à autorisation environnementale présente un risque significatif pour ces espèces, indépendamment du fait que l’autorisation soit définitive ou que le risque ne découle pas d’une modification de cette autorisation.
- La nécessité de cette dérogation ne dépend pas de l’importance des modifications apportées.
- L’autorité administrative doit vérifier que les prescriptions complémentaires sont suffisantes et exiger une demande de dérogation en cas de risque significatif.
« 12. Les dispositions des articles L181-2, L181-3, L181-22, L411-2 et R411-6 du Code de l’environnement imposent, à tout moment, la délivrance d’une dérogation à la destruction ou à la perturbation d’espèces protégées dès lors que l’activité, l’installation, l’ouvrage ou les travaux faisant l’objet d’une autorisation environnementale ou d’une autorisation en tenant lieu comportent un risque suffisamment caractérisé pour ces espèces, peu important la circonstance que l’autorisation présente un caractère définitif ou que le risque en cause ne résulte pas d’une modification de cette autorisation. Lorsque la modification de l’autorisation conduit l’autorité administrative à imposer des prescriptions complémentaires dont l’objet est d’assurer ou de renforcer la conservation d’espèces protégées, les dispositions des articles L181-14, R181-45, R411-10-1 et R411-10-2 n’ont ni pour objet ni pour effet de faire dépendre la nécessité de l’obtention d’une dérogation "espèces protégées" de la circonstance que cette modification présenterait un caractère substantiel. Il appartient à l’autorité administrative de s’assurer que les prescriptions complémentaires qu’elle impose présentent un caractère suffisant et, dans ce cadre, de rechercher si elles justifient, lorsqu’il demeure un risque caractérisé pour les espèces, d’imposer au bénéficiaire de solliciter une telle dérogation sur le fondement de l’article L171-1 du Code de l’environnement ».
Toutefois, le juge d’appel a considéré que l’arrêté du préfet indiquait des prescriptions complémentaires sans entraîner de modifications substantielles. Il a par conséquent jugé que la société pouvait exploiter l’installation en se basant sur le permis de construire initial, sans être tenue de demander une dérogation espèces protégées.
C’est ainsi que les juges du Palais-Royal ont annulé cet arrêt dès lors que des prescriptions complémentaires avaient pour but de garantir la préservation des espèces protégées.
Il résulte de ce qui précède que, dans le cadre de la priorité accordée à la conservation des espèces protégées, l’autorité administrative est tenue de veiller « à tout moment » à ce qu’un projet susceptible de compromettre la protection des espèces concernées fasse l’objet d’une demande de dérogation.