Dans son sens le plus commun et selon G. Cornu, le crédit peut se définir comme « l’opération par laquelle une personne met ou fait mettre une somme d’argent à disposition d’une autre personne en raison de la confiance qu’elle lui fait ».
L’opération de crédit en elle-même suppose que les fonds avancés soient restitués à l’expiration d’un certain délai, elle entretient ainsi un lien étroit avec la notion de prêt d’argent.
Si les deux opérations ne peuvent se confondre, elles ont en effet un certain nombre de similarités qui peut faire naître des confusions. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’à la différence du crédit, le contrat de prêt ne connaît qu’une seule forme à savoir la mise à disposition de fonds.
Dès lors, tout contrat de prêt suppose la remise de la chose concomitamment à la formation de l’acte. Toutefois, depuis un arrêt du 28 mars 2000, il ne s’analyse plus comme un contrat réel lorsque le prêteur endosse la qualité de professionnel.
Il est donc possible de définir de manière différente d’un point de vue juridique, l’opération de prêt et l’opération de crédit et ce même si parfois le terme de crédit est utilisé en lieu et place du terme « prêt » et ce en raison d’un abus de langage.
Nous retiendrons ici la définition de l’article L. 311-1 6° du code de la consommation qui définit le crédit comme l’opération qui consiste en « un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit […] sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt, y compris sous forme de découvert ou de toute autre facilité de paiement similaire, à l’exception des contrats conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens de même nature et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture ».
D’un point de vue économique, le prêt bancaire constitue le mode de crédit représentant une part prépondérante au sein des modes de financements de biens et services octroyés aux particuliers mais aussi aux entreprises.
C’est justement le financement des entreprises par le biais du prêt bancaire et donc le soutien des institutions bancaires qui pose problème notamment lorsque la société cliente de la banque ne parvient plus à faire face à ses charges et finit par être placée en liquidation judiciaire. Quid du statut de la banque et de son rôle dans la situation de sa cliente ?
C’est notamment ce que la chambre commerciale de la cour de cassation est venue précisée très dernièrement et ce dans un arrêt inédit rendu le 22 janvier 2020.
I) Le contexte.
Dans cette affaire, une banque avait prêté à une personne par le biais de trois prêts octroyés en 1990, la somme de 110 810 000 francs soit 26 123 804 euros, en vue de l’achat d’un ensemble immobilier dans le cadre de son activité professionnelle.
Le premier prêt était remboursable sous un an alors que les deux autres prêts sous deux ans, la banque bénéficiant d’un privilège de préteur de denier de premier rang.
Trois ans après, l’emprunteur était mis en redressement puis en liquidation l’année suivante.
Dans le cadre de la procédure, la banque avait naturellement fait connaître sa créance auprès du mandataire judiciaire afin de la faire inscrire. Toutefois, ce dernier estimant que le montant astronomique des prêts et la relative proximité de la faillite de l’emprunteur avec l’octroi de ces derniers, décidait d’engager la responsabilité de la banque du chef de crédits douteux et soutient abusif. L’objectif poursuivi était de faire écarter la banque de la liste des créanciers ou a minima de lui faire perdre son privilège.
II) La notion de crédit ruineux.
La notion de « crédits ruineux » est apparue de manière concomitante avec le développement du droit des procédures collectives et notamment avec l’avènement du financement des entreprises par les institutions financières et bancaires.
Le crédit qualifié de ruineux nécessite l’existence d’une fraude dans l’octroi du ou des crédits.
La fraude tient en un acte qui a été réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l’intention d’échapper à l’application d’une loi impérative ou prohibitive [1].
Il a également été jugé que « la fraude doit s’entendre de l’octroi de crédits illicites ou de manœuvres exercées par le créancier pour le seul service de ses intérêts personnels au lieu de contribuer au démarrage d’une entreprise ou de maintenir son activité » [2].
Ainsi, l’appréciation de l’existence d’une fraude dans l’octroi d’un crédit se fait in concreto même si aujourd’hui une jurisprudence constante estime que ne constitue pas un acte frauduleux le fait pour la banque d’avoir connaissance, lors de l’octroi des crédits, des difficultés financières du débiteur, du solde négatif du compte de celui-ci et des échéances impayées car, quoique gravement fautive de ne pas s’être informée sur la situation financière de son client, elle n’agit pas pour autant frauduleusement ni ne commet une immixtion dans les affaires de ce dernier.
Car en effet, si cette position peut paraitre étonnante, il ne faut pas oublier que les banques sont tenues à l’égard de leurs clients à une obligation de « non-immixtion » et doivent donc jongler afin de respecter tantôt leurs obligations en matière de connaissance clients et tantôt cette obligation de ne pas intervenir dans la vie des affaires de ces derniers.
En pratique, la frontière est très subtile et rend complexe le travail des établissements bancaires. Toutefois, sans aller jusqu’à s’immiscer dans les affaires de son client, il est tout de même curieux de retenir qu’une banque ne commet pas de fraude alors même qu’au moment de l’octroi d’un prêt, elle ne peut, a priori, ignorer la situation financière délicate de son client, ayant en effet une vue sur le solde de ses comptes et de ses activités avec notamment un historique complet.
Néanmoins, une banque peut dans un tel contexte décider après une juste analyse, de soutenir son client, car c’est aussi le rôle des établissements bancaires que d’accompagner leurs clients. Mais si la décision de soutient d’un client, en lui octroyant un prêt, afin qu’il puisse faire face à des difficultés financières temporaires semble être un acte sein, il ne faut pas que cet acte se trouve en réalité gangrené de l’intérieur par une volonté autre, susceptible de caractériser l’opération de « soutien abusif »
III) La notion de soutien abusif.
La notion de « soutien abusif » est depuis 2005, battue en brèche car en introduisant l’article L. 650-1 dans le code de commerce, la loi du 26 juillet 2005 semble avoir mis fin à l’objectif de cette notion qui pourtant avait pour objectif de réguler l’octroi des prêts bancaires à des structures au futur fortement compromis.
Jusqu’à la loi de 2005, la jurisprudence née au titre du soutien abusif, semblait en effet consacrer la responsabilité délictuelle des établissements bancaires ayant mis en place auprès de leur clientèle d’entreprises, une politique de crédit ruineux ou qui décidaient de soutenir ces entreprises de manière artificielles en ayant notamment connaissance de leur situation irrémédiablement compromise.
L’article L650-1 semble donc avoir eu pour objectif de mettre fin à ces situations puisqu’il précise que la responsabilité d’un établissement bancaire ne peut être recherchée pour avoir financé une entreprise, placée entre temps en procédure collective sauf dans les cas de fraude, d’immixtion ou de garantie disproportionné.
A ce titre, la cour de cassation avait d’ailleurs porté haut et de manière claire, le principe selon lequel les établissements bancaires sont libres de consentir un crédit. Dans un arrêt d’assemblée plénière du 9 octobre 2006 (n° 06-14.975), cette dernière est venue affirmer que : « Le banquier est toujours libre, sans avoir à justifier sa décision qui est discrétionnaire, de proposer ou de consentir un crédit quel qu’en soit la forme, de s’abstenir ou de refuser de le faire ».
Ainsi, au vu de cette position de la part de la chambre la plus solennelle de la cour de cassation, il était donc possible de penser que les cas envisagés par l’article L. 650-1 du code de commerce pouvaient constituer en eux-mêmes, des cas autonomes susceptibles de pouvoir rechercher la responsabilité des établissements bancaires sans avoir à apporter la moindre preuve.
C’était toutefois sans compter sur un arrêt de la chambre commerciale en date du 27 mars 2012 [3], par lequel la Cour de cassation a précisé que l’établissement de crédit ne saurait être tenu pour responsable dans les cas ouverts par la loi que si le crédit ou le concours est lui-même fautif. Autrement dit, l’apport d’une preuve reste inévitable.
Il faut donc retenir que pour faire condamner un établissement bancaire dans le cadre d’un procès pour soutien abusif, il convient que trois conditions cumulatives soient réunies :
1/ La situation de l’entreprise concernée par l’octroi du prêt, doit être irrémédiablement compromise ;
2/ De facto, la première condition engendre la seconde, à savoir le fait que le prêt ne pourra en aucun cas être remboursé ;
3/ La diminution de l’actif de la société doit trouver son origine au moins en partie dans le soutien financier octroyé. Un lien de causalité doit donc être établi.
En résumé, la notion de soutien abusif sera établie dès lors qu’un établissement bancaire accorde un prêt à une entreprise dont elle sait que la situation est irrémédiablement compromise. La cour de cassation ayant précisé sur ce dernier point, dans un arrêt du 11 mai 2010 [4] que « la situation irrémédiablement compromise s’apprécie à la date du prêt lui ayant été consenti ».
Ainsi, dans une telle hypothèse ou la responsabilité de la banque se trouve engagée et avérée, cela est-il de nature à remettre en question ses droits en qualité de créancier dans le cadre de la procédure collective ?
IV) L’impact de ces notions sur les droits des créanciers bancaires.
Nous pourrions penser qu’en terme d’équité vis-à-vis des autres créanciers, tout créancier ayant eu un comportement susceptible d’avoir contribué à la faillite de la société, puisse se voir sanctionner au moment de la déclaration de ses créances dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire de ladite société.
En pratique, le droit des procédures collectives encadre de manière très précise la déclaration des créances des différents créanciers aux articles L. 622-24 et suivants du code de commerce.
Ainsi, à la lecture de ces dispositions, nous apprenons que les créanciers peuvent bénéficier soit d’un statut de créancier privilégié, soit d’un statut de créancier chirographaire. Ainsi, les créanciers dits privilégiés jouissent d’un droit de priorité à recouvrer leur créance. En pratique, concernant les crédits immobiliers, la Cour de cassation considère ce contrat comme un contrat consensuel.
C’est donc à la date de signature de l’offre de prêt par l’emprunteur que l’obligation de remboursement du prêt immobilier est générée et non à la date de mise à disposition effective des fonds.
Dès lors, si la signature est intervenue avant la période dite suspecte, c’est-à-dire à partir du moment où la cessation des paiements est avérée, alors le prêt immobilier ne peut être considéré comme une créance privilégiée sauf si des privilèges ont été pris au même moment que l’octroi du prêt par l’établissement bancaire.
De plus, il convient de noter qu’en théorie, à partir de l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, les intérêts légaux ou contractuels, les intérêts de retard et les majorations en lien direct avec les créances nées antérieurement à la période suspecte, cessent de courir. Néanmoins, ce principe ne trouve pas à s’appliquer concernant les contrats de prêts (sauf pour les contrats de crédit-bail).
En l’espèce, l’établissement bancaire avait octroyé trois prêts à la société et bénéficiait d’un privilège de prêteur de deniers et les intérêts légaux et/ou de retard continuaient de courir. L’établissement bancaire avait donc tout intérêt à inscrire sa créance dans les délais requis puisqu’il bénéficiait d’un privilège.
Toutefois, comme il a été exposé supra, le mandataire judiciaire avait engagé la responsabilité de l’établissement bancaire, considérant que les prêts octroyés devaient être considérés comme des crédits ruineux et donc constitutifs d’un soutien abusif et ce dans l’objectif de lui faire perdre son statut de créancier privilégié.
C’est pourtant le contraire que va décider la cour de cassation. En effet, cette dernière a considéré que la condamnation d’un créancier en réparation pour octroi d’un crédit ruineux ou soutien abusif ne le prive pas du bénéfice de cette répartition en fonction de son rang.
Ce qu’il faut comprendre c’est que la cour de cassation ne remet pas en cause la possibilité d’engager la responsabilité d’un établissement bancaire sur le fondement d’octroi de crédit ruineux et de soutien abusif (à condition d’apporter la preuve d’une faute ou encore d’une fraude).
En revanche, elle se positionne de manière inédite sur l’impact d’une telle condamnation sur le statut privilégié de l’établissement créancier. En l’espèce, elle ne fait qu’appliquer strictement les règles applicables en la matière conformément à ses prérogatives d’apprécier la bonne application du droit et uniquement du droit, ce qui en l’espèce n’était pas le cas puisque la cour d’appel avait fait droit aux demandes du mandataire de justice de voir l’établissement bancaire privé de son statut de créancier privilégié.
Toutefois, malgré cette stricte application des règles applicables, la position de la chambre commerciale peut laisser perplexe et même choquer tant elle semble en parfaite contradiction avec le principe d’équité d’une part et à contre sens d’une condamnation pour octroi de crédits ruineux et soutien abusif d’autre part.
Dans un premier temps, l’équité a-t-elle toutefois sa place en droit ? L’équité est souvent définie comme étant « le principe modérateur du droit objectif (lois, règlements etc) selon lequel chacun peut prétendre à un traitement juste, égalitaire et raisonnable ».
Il existe en effet des cas ou le législateur a fait une place à la notion d’équité en laissant le soin aux juges de se déterminer selon ce qui est juste et bon c’est à dire en décidant de mettre de côté les dispositions légales lorsque ces derniers estiment que l’application stricte de la norme peut avoir des conséquences inégalitaires ou encore contraires à ce qui relève du raisonnable.
De plus, dans le cadre des procédures collectives, il convient de rappeler que l’égalité des créanciers, trouve son fondement dans l’article 2093 du Code civil qui dispose que « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers et le prix s’en distribue entre eux par contribution, à moins qu’il n’y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ».
En ce sens, la Cour de cassation s’est, dès le début du XXème siècle, fondée sur ce principe en reconnaissant un caractère d’ordre public à la règle d’égalité entre les créanciers et en interdisant notamment dans un arrêt de la chambre des requêtes du 13 juillet 1910, toute clause pouvant porter atteinte à ce principe d’égalité que l’on peut aujourd’hui assimiler à l’équité.
En l’espèce, c’est ce que les juges du fond ont fait. Ils ont fait primer l’équité sur la norme applicable en matière de classification des créanciers dans le cadre d’une procédure collective. En faisant une juste appréciation des faits, la position des juges du fond, semblent bel et bien fondé en équité, principe confinant à la règle d’égalité.
Mais, la chambre commerciale, fidèle de manière générale à la jurisprudence de la Cour de cassation qui se montre ambivalente en ce domaine, n’a pas voulu faire de l’équité et/ou de l’égalité un dogme duquel il conviendrait de tirer quelques exceptions. Il semble au contraire que dans cet arrêt, la haute cour ait voulu faire de l’application stricte de la loi un socle fondamentale en la matière.
Est-il alors possible de penser que l’intérêt des établissements bancaires puissent constituer un « intérêt supérieur » permettant de fonder une volonté de restreindre le principe d’égalité ? Le débat est ouvert.
Dans un second temps, comment apprécier la position de la Cour de cassation qui semble ignorer purement et simplement le fait que le comportement prétendument avéré de l’établissement bancaire ayant octroyé des crédits ruineux et donc un soutien abusif à la société en faillite ?
A première lecture, le message envoyé semble être un message de laxisme à l’encontre des créanciers qui bien qu’à l’origine de la situation de la société placée en liquidation et donc de la situation difficile dans laquelle se retrouvent tous les créanciers, ne se voient pas pour autant « sanctionner » dans le cadre du recouvrement de leurs créances.
En réalité, il est possible de penser que les juges du droit font une application évidente de la règle selon laquelle une condamnation en responsabilité ne peut avoir pour effet automatique une privation de droit dans le cadre d’une autre procédure. Ceci pourrait être assimilé au principe non bis in idem en matière pénale.
Ainsi, un créancier reconnu responsable d’un soutien abusif par le biais d’octroi de crédits ruineux peut se voir condamner de ces chefs. Dès lors, au moment de la procédure de liquidation, ne pas respecter son rang de créancier privilégié en raison des manœuvres pour lesquelles sa responsabilité a déjà été engagée et reconnue, pourrait être assimilé à une double condamnation pour un même fait.
L’équité veut également que les frontières ne tombent pas entre les procédures, alors que ce même principe pourrait justifier, au regard d’une certaine raison, le fait que ces créanciers puissent être doublement sanctionnés.
En réalité, il faut noter que le loobing bancaire ayant obtenu en 2008 le vote d’un texte qui est devenu l’article L. 650-1 du code de commerce, rend en pratique très complexe les actions en responsabilité pour soutien abusif. En d’autres termes, il est sans doute complexe d’attaquer juridiquement une des plus grosses composantes de l’économie moderne, que ce soit sur le terrain du soutien abusif ou encore au moment la déclaration de créances dans le cadre d’une procédure de liquidation.