I- La reproduction et la transformation des œuvres protégées : un risque de contrefaçon.
Le droit d’auteur, tel qu’il est défini par la législation française et européenne, protège les œuvres originales de l’esprit. Parmi les droits qui en découlent, le droit de reproduction [1] et le droit de représentation sont primordiaux. Ces droits permettent au titulaire d’une œuvre de contrôler son usage et d’interdire toute reproduction ou représentation sans son consentement.
A- La reproduction par l’IA.
L’un des premiers enjeux soulevés par l’intelligence artificielle réside dans sa capacité à reproduire, voire à copier, des œuvres protégées par les droits d’auteur. Lorsqu’un algorithme génère une œuvre qui ressemble de manière substantielle à une œuvre préexistante, il peut être considéré comme ayant effectué une reproduction non autorisée. Cela est d’autant plus problématique lorsque l’algorithme fonctionne à partir de bases de données d’œuvres protégées, sans l’autorisation préalable des titulaires des droits.
Prenons l’exemple des générateurs d’images ou de texte alimentés par des bases de données massives contenant des œuvres protégées. Ces algorithmes, lorsqu’ils produisent des créations visuelles ou littéraires, peuvent générer des résultats dont la similarité avec des œuvres préexistantes est telle qu’ils en deviennent des reproductions indirectes. Si cette reproduction se fait sans autorisation, elle peut constituer une contrefaçon. Ce risque se pose notamment dans les situations où l’IA « apprend » d’œuvres existantes, en s’appuyant sur un corpus d’exemples pour générer de nouvelles œuvres.
B- La transformation ou dérivation des œuvres protégées.
Le droit d’auteur protège également les œuvres dérivées, c’est-à-dire celles qui sont créées à partir d’une œuvre préexistante, mais qui comportent des éléments nouveaux. Toutefois, cette protection implique que la transformation ou la dérivation d’une œuvre protégée nécessite l’autorisation préalable du titulaire des droits. Dès lors, lorsqu’un algorithme produit une œuvre modifiée ou inspirée d’une œuvre protégée, cela peut être considéré comme une contrefaçon si cette transformation n’est pas suffisamment originale ou si elle empiète sur les droits du créateur de l’œuvre originale.
II- La question des données d’apprentissage et de la légalité du modèle.
L’un des points les plus sensibles réside dans les données utilisées pour entraîner l’IA. Si un algorithme est formé sur un corpus d’œuvres protégées, il y a un risque que l’IA, au moment de la génération de nouvelles œuvres, reproduise ou transforme de manière non autorisée des éléments protégés par des droits d’auteur.
A- Le modèle d’apprentissage supervisé et la reproduction implicite.
Dans le cadre d’un apprentissage supervisé, où l’IA est entraînée sur des ensembles de données comprenant des œuvres existantes, il est possible que l’algorithme apprenne des motifs ou des styles spécifiques à certaines œuvres protégées. Si l’IA génère une œuvre qui reflète trop fidèlement ces motifs ou styles, cela pourrait constituer une contrefaçon. En effet, même si l’IA ne reproduit pas littéralement l’œuvre, la similarité substantielle pourrait suffire à caractériser une reproduction.
B- L’apprentissage non supervisé et la création « originale » de l’IA.
L’apprentissage non supervisé, où l’algorithme génère des œuvres à partir de données non spécifiquement sélectionnées, introduit une nuance supplémentaire. Bien que l’IA ne s’appuie pas sur des œuvres spécifiques pour générer de nouvelles créations, il n’est pas impossible qu’un modèle génère des œuvres qui, par hasard, ressemblent à des œuvres protégées. L’absence d’intention de reproduire ou de transformer une œuvre protégée ne suffit pas à exclure la contrefaçon si la similarité est suffisamment évidente.
Ainsi, même si un algorithme produit une œuvre apparemment « originale », il est possible que cette œuvre porte une empreinte suffisante d’une œuvre protégée pour que la contrefaçon soit caractérisée.
III- La notion d’originalité et la protection des œuvres créées par IA.
L’originalité est un critère fondamental pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur. En principe, l’œuvre doit refléter la personnalité de son auteur et résulter d’un effort créatif humain. Cependant, la question se pose de savoir si une œuvre générée par une IA peut être considérée comme originale et donc susceptible d’être protégée.
A- Le rôle de l’IA dans la création : l’humain doit-il rester au centre ?
La législation actuelle sur le droit d’auteur, tant en France qu’au niveau européen, considère que seule une création humaine peut être protégée par des droits d’auteur. Cela signifie que les œuvres générées exclusivement par des IA, sans intervention humaine significative, risquent de ne pas bénéficier d’une protection traditionnelle. Cette absence de protection pourrait avoir des conséquences sur la manière dont la contrefaçon est appréciée, en particulier en ce qui concerne la paternité de l’œuvre.
B- Les défis juridiques liés à la propriété des œuvres générées par IA.
Si une œuvre générée par une IA présente un degré suffisant d’originalité, qui lui permettrait théoriquement d’être protégée, il reste à déterminer qui en serait le titulaire. L’auteur traditionnel étant une personne physique, le fait qu’une IA génère une œuvre sans intervention humaine directe complique la question de la titularité des droits. L’absence de créateur humain met en lumière un vide juridique qui devra être comblé pour préciser qui serait responsable en cas de contrefaçon.
IV- La responsabilité en cas de contrefaçon par IA.
Enfin, une question fondamentale se pose : qui est responsable en cas de contrefaçon commise par une IA ? Est-ce l’utilisateur du logiciel, le concepteur de l’algorithme, ou l’IA elle-même ?
A- Responsabilité de l’utilisateur.
Dans de nombreux cas, l’utilisateur de l’outil IA pourrait être considéré comme responsable si l’œuvre générée viole les droits d’auteur, notamment si l’utilisateur choisit délibérément d’utiliser des bases de données non autorisées ou de modifier des œuvres protégées. L’utilisateur, en tant que décideur final du processus créatif, pourrait être tenu responsable de l’infraction.
B- Responsabilité du créateur de l’IA.
Le créateur du logiciel ou de l’algorithme pourrait également être tenu responsable s’il ne met pas en place des mesures adéquates pour éviter la génération d’œuvres contrefaisantes. Cela inclut le respect des normes de propriété intellectuelle dans la conception des modèles et l’obligation d’obtenir des licences pour l’utilisation de données protégées.
Conclusion : une évolution nécessaire du Droit.
En conclusion, l’intelligence artificielle pose des défis significatifs pour la caractérisation de la contrefaçon dans le domaine du droit d’auteur. La reproduction ou la transformation d’œuvres protégées par l’IA, l’utilisation de données d’apprentissage non autorisées, ainsi que la question de la titularité des droits sur les œuvres générées par IA, exigent une adaptation de la législation. Il devient impératif que le législateur prenne en compte les nouvelles réalités technologiques pour garantir une protection adéquate des droits d’auteur tout en encourageant l’innovation technologique.
Le droit d’auteur, dans sa forme actuelle, ne répond que partiellement aux questions soulevées par l’IA. Une révision du cadre juridique, pour l’adapter aux spécificités de l’IA, est donc inévitable afin de concilier la protection des créateurs et la liberté d’innovation technologique.