Comment récupérer des factures impayées d’un marché public ?

Par Nicolas Pillet, Avocat.

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Explorer : # recouvrement de créances # marché public # factures impayées # prescription des créances

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Une société avait réalisé des travaux dans le cadre d'un marché public. Plusieurs factures étaient impayées. Après avoir suivi la procédure appropriée, la société a saisi le tribunal administratif qui a donné raison à la société.
Description rédigée par l'IA du Village

Comment récupérer auprès de l’Etat d’anciennes factures impayées au cours de l’exécution d’un marché public de travaux ? Telle était la question apparue au cours de mois de juin 2021 et qui a donné lieu à un jugement favorable et définitif rendu le 27 avril 2023 par le Tribunal administratif de Paris et permettant au titulaire de récupérer un peu plus de 170 000 euros [1].

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Quels étaient les faits ?

Une société avait exécuté un certain nombre de travaux dans le cadre d’un lot Électricité Courants fort et faible. Plusieurs bons de commande avaient été émis et acceptés par la société et les travaux avaient tous été réalisés.

Selon le CCAP, les conditions de paiement étaient les suivantes :

  • les factures sont émises et adressées aux services du maître d’œuvre
  • le délai global des sommes dues en exécution du marché a été fixé à 30 jours maximum à compter de la plus tardive des deux dates :
    • date de réception de la facture par la personne publique
    • date de réception des travaux par la personne publique.

Parmi plusieurs centaines de bons de commande émis, huit demeuraient impayés pour un montant total de 139 442,80 euros TTC (hors intérêts moratoires et capitalisation de ces intérêts).

La société avait préalablement mandaté un cabinet privé de recouvrement de factures qui avait, en vain, tenté de demander à l’Etat le paiement des huit factures.

Et pour cause, puisque dans le cadre de marché public, il faut scrupuleusement suivre une procédure fléchée dictée par les documents du marché et les règles du droit de la commande publique.

Etaient applicables les dispositions de l’article 13.4.2 du CCAG Travaux 2009, dans sa version antérieure au 3 mars 2014, qui prévoient, notamment, que :

« Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire, dans les délais stipulés ci-dessus, le décompte général signé, celui-ci lui adresse une mise en demeure d’y procéder. L’absence de notification au titulaire du décompte général signé par le représentant du pouvoir adjudicateur, dans un délai de trente jours à compter de la réception de la mise en demeure, autorise le titulaire à saisir le tribunal administratif compétent en cas de désaccord (…) ».

Trois courriers ont donc été transmis : au maitre d’œuvre, au maitre d’ouvrage - à leurs adresses telles qu’elles figuraient dans les documents du marché - ainsi qu’à la ministre des armées à son adresse parisienne actuelle pour demander :

  • à titre principal, une mise en demeure de lui notifier le décompte général signé
  • à titre subsidiaire, une demande de lui régler la somme de 139 442,80 euros TTC, comprenant les intérêts moratoires et la capitalisation de ces intérêts.

Les trois courriers étaient peut être superflus, mais compte tenu du fait, d’une part, que le maitre d’ouvrage et le maitre d’œuvre étaient la même personne (un ministère) et, d’autre part, que les factures étaient un peu anciennes, il apparaissait prudent d’envoyer aux adresses des documents du marché, ainsi qu’au ministre lui-même, quitte à ce que la demande soit redirigée en interne à l’administration compétente en application des dispositions de l’article L114-2 du Code des relations entre le public et l’administration.

Aucune réponse n’a été apportée à ces demandes dans le délai de trente jours, prévu à l’article 13.4.2. Autrement dit, aucune notification au titulaire du décompte général signé par le représentant du pouvoir adjudicateur n’est parvenue.

C’est dans ces conditions que le Tribunal administratif de Paris a été saisi et a fait droit aux demandes de la société.

Le droit applicable.

Le principe a été rappelé suivant lequel :

« chaque commande d’un marché de travaux à bons de commande donne lieu à des prestations propres pouvant faire l’objet d’une réception et d’un règlement dès leur réalisation ; que, par suite, sauf à ce que le contrat renvoie le règlement définitif de l’ensemble des commandes au terme du marché, chaque commande de travaux peut donner lieu à un règlement définitif (…) » (CE, 3 octobre 2012, req. n° 348476) « qu’ainsi, en l’absence de stipulation expresse renvoyant le règlement définitif de l’ensemble des commandes au terme du marché, chaque commande de ce marché doit donner lieu à un règlement définitif (…) » (CAA Paris, 3 octobre 2017, req. n° 15PA01245).

« Dans le cadre des marchés à bons de commande, chaque commande donne lieu à des prestations propres pouvant faire l’objet d’une réception et d’un règlement dès leur réalisation. Dès lors, excepté si le contrat renvoie à un règlement définitif de l’ensemble des commandes au terme du marché, chaque commande peut également donner lieu à un règlement définitif » [2].

Ainsi :

  • les factures émises par le titulaire dans un marché à bons de commande sont, chacune, des projets de décomptes finaux
  • la saisine du tribunal administratif est subordonnée à l’envoi préalable d’une mise en demeure du titulaire au pouvoir adjudicateur de notifier le décompte général.

Dans son jugement, le tribunal administratif a rappelé que :

« Chaque commande d’un marché de travaux à bons de commande donne lieu à des prestations propres pouvant faire l’objet d’une réception et d’un règlement dès leur réalisation. Par suite, sauf à ce que le contrat renvoie le règlement définitif de l’ensemble des commandes au terme du marché, chaque commande de travaux peut donner lieu à un règlement définitif qui ne saurait donc être regardé comme un règlement partiel définitif interdit par le deuxième alinéa de l’article 92 du Code des marchés publics » [3].

Au cas d’espèce.

Huit factures demeuraient impayées.

Trois d’entre elles étaient malheureusement prescrites en application de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat.

Pour éviter ce genre d’écueil, il est donc vivement recommandé aux détenteurs de créances contre l’administration de faire des relances régulières, en tout cas au moins une tous les quatre ans. Une simple réclamation écrite, même par courriel, suffit tant qu’elle a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance.

Quant aux cinq autres, le contentieux a révélé qu’elles ne posaient pas de difficultés de règlement, si ce n’est une certaine inertie de l’administration.

Point de vigilance.

L’attention des lecteurs est tout de même attirée sur le fait qu’une facture était restée impayée compte tenu d’un différend sur l’exécution des travaux, qui avait conduit au blocage de la situation.

L’administration avait alors recouru à une société de substitution pour terminer les travaux, si bien que, par déduction avec le faible montant réglé au nouvel intervenant, l’on pouvait démontrer que le gros des travaux avait été correctement exécuté sans reprise, ce qui justifiait le paiement de la majeure partie du bon de commande.

Dans ces conditions, le principe, récemment rappelé par le Conseil, est que :

« l’administration contractante peut, après avoir vainement mis en demeure son cocontractant de poursuivre l’exécution des prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, décider de confier l’achèvement des prestations à une autre entreprise aux frais et risques de son cocontractant. Le cocontractant défaillant doit être mis à même de suivre l’exécution du marché de substitution ainsi conclu afin de lui permettre de veiller à la sauvegarde de ses intérêts, les montants découlant des surcoûts supportés par l’administration en raison de l’achèvement des prestations par un nouvel entrepreneur étant à sa charge. A cet effet, si l’administration doit dans tous les cas notifier le marché de substitution au titulaire du marché résilié, elle n’est tenue de lui communiquer les pièces justifiant de la réalité des prestations effectuées en exécution du nouveau contrat qu’à la condition d’être saisie d’une demande en ce sens » (CE, 5 avril 2023, req. n° 463554).

D’une part, il faut donc démontrer une « défaillance » (ce qui n’était pas le cas en l’espèce)

D’autre part, il faut que l’administration tienne informé le titulaire de la substitution envisagée et contractée afin que ce dernier puisse suivre l’exécution du marché pour, le cas échéant, formuler les protestations et réserves nécessaires dans la mesure où il en supportera les frais.

En l’espèce, le titulaire n’avait pas été tenu informé, si bien que l’administration ne pouvait retenir sur sa facture le reliquat réglé à l’entreprise de substitution.

A tous les stades de l’exécution du marché, la vigilance s’impose donc.

Last but not least...

L’expression s’impose particulièrement au regard de ce qui suit.

L’administration a été condamnée à régler au titulaire le montant principal 105 505,29 euros TTC (montant réduit du fait de la prescription acquise sur trois factures) ainsi que des intérêts moratoires s’élevant à un montant de 64 561,86 euros, qui, entre 2015 et 2023 et en droit de la commande publique, étaient à un taux d’environ 7% dont le pourcentage élevé a justement pour objectif de lutter contre les retards de paiements.

A retenir.

Attention à la prescription de quatre ans des créances détenues sur l’administration : un simple rappel de cette créance à l’administration suffit pour relancer ce délai de quatre ans, à condition de pouvoir rapporter la preuve de cette relance

Attention aux procédures particulières de demandes de paiement en commande publique : certains pièges sont à éviter.

Attention aux procédures de substitution du titulaire en cours de marché : l’administration doit respecter un certain formalisme et le titulaire substitué a des droits qu’il doit exercer pour les faire valoir.

Nicolas Pillet, avocat inscrit au barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Il est précisé que le rédacteur était l’avocat de la société requérante et que le jugement commenté est définitif.

[3TA Paris, 27 avril 2023, req. n° 2115029.

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