Focus sur le nouveau crédit d’impôt pour les collaborations de recherche (CICo).

Par Solenne Desprez Braun, Directrice des Affaires Juridiques et Julien Soilly.

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Explorer : # crédit d'impôt # recherche collaborative # entreprises # r&d

Le financement de la recherche publique a été confirmé ces dernières années en tant que levier stratégique pour dynamiser l’innovation en France. La Loi de Finance 2022 prévoit un nouveau crédit d’impôt le crédit d’impôt collaboration de recherche (CICo) ; son analyse sera l’objet de notre article.

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Le dispositif du crédit d’impôt en faveur de la recherche (« CIR ») octroyait jusqu’au 31 décembre 2021, afin d’inciter les collaborations entre recherche publique et privée, dans son assiette un doublement des dépenses engagées auprès des organismes de recherche publics, au sens de l’article 244 quater B du Code général des impôts (« CGI »).

Ainsi, sous réserve d’indépendance entre l’entreprise et l’organisme public, la dépense liée à une sous-traitance d’opérations de recherche à un organisme public (ou assimilé) était prise en compte pour le double de son montant. En 2019, le dépôt d’une plainte auprès de la Commission Européenne, notamment pour distorsion de concurrence, a conduit un groupe de députés à s’interroger sur la pérennité de ce dispositif au regard du droit européen [1].

Cette réflexion a conduit à supprimer ce doublement à compter du 1er janvier 2022 dans le cadre de la loi n°2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021. Cet alignement, au sein du CIR, a conduit le législateur à ajouter un dispositif fiscal alternatif, le Crédit d’Impôt en faveur de la recherche Collaborative (« CICo »). Deux amendements [2] adoptés dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, ont donné naissance à l’article 69 de la loi du 30/12/2021 n° 2021-1900 de finances pour 2022 [3].

Le CICo : un crédit d’impôt bienvenu pour favoriser la collaboration de recherche entre le privé et le public.

Le CICo permet aux entreprises qui exercent une activité industrielle et commerciale de bénéficier d’un crédit d’impôt à hauteur de 40% des dépenses de recherche et développement engagées, dans la limite de 6 millions d’euros, auprès d’un Organisme de Recherche et de Diffusion de la Connaissance (« ORDC ») dans le cadre d’un contrat de collaboration conclu entre le 01/01/2022 et le 31/12/2025. Les opérations de R&D devront être réalisées au sein de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen. Ce taux est porté à 50% pour les Petites et Moyennes Entreprises (PME) au sens communautaire.

Ce crédit d’impôt s’impute par principe sur l’impôt sur les sociétés (« IS ») constaté et le reliquat éventuel est soustrait à l’IS constaté sur les deux exercices suivants. Au-delà, il devient une créance restituable. Comme pour le CIR, les PME, les jeunes entreprises innovantes, les entreprises en procédure de conciliation ou en procédures collectives peuvent demander un remboursement dès la constatation du crédit d’impôt.

Les conditions théoriques pour une collaboration éligible.

A la lecture du texte, il apparaît cependant la nécessité de trois conditions cumulatives pour en bénéficier : l’organisme public doit (i) répondre au statut d’ORDC (ii) bénéficier d’un agrément auprès du Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation « MESRI » [4], et par ailleurs (iii) le contrat de collaboration doit avoir été signé préalablement au début des travaux de recherche concernés.

Pour mieux appréhender le statut d’ORDC, le nouvel article 244 quater B bis du CGI renvoie à l’annexe I du règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité sur l’Encadrement des aides d’État à la RDI.

Il précise au paragraphe 83 qu’un ORDC est

« une entité (telle qu’une université ou un institut de recherche, une agence de transfert de technologies, un intermédiaire en innovation, une entité collaborative réelle ou virtuelle axée sur la recherche), quel que soit son statut légal (de droit public ou de droit privé) ou son mode de financement, dont le but premier est d’exercer, en toute indépendance, des activités de recherche fondamentale, de recherche industrielle ou de développement expérimental, ou de diffuser largement les résultats de ces activités au moyen d’un enseignement, de publications ou de transferts de connaissances. Lorsqu’une telle entité exerce également des activités économiques ».

En l’absence d’éclairage supplémentaire, il apparaît que la notion d’ORDC reste d’appréciation large. Il semblerait donc qu’un organisme privé pourrait être considéré comme un ORDC.

Deuxième précision, l’ORDC devra bénéficier d’un agrément, de la même façon que pour le CIR. Ce précieux sésame s’obtient auprès du MESRI. Les entreprises qui souhaitent bénéficier de ce dispositif devront donc en amont s’assurer de son obtention préalable par l’ORDC avec lequel il souhaite contractualiser.

Troisième précision, le contrat de collaboration (scientifique ou technologique) entre l’entreprise et l’ORDC devra avoir été signé avant le début des travaux. Un contrat, qui, dans la pratique, pourra être complexe dans sa rédaction.

Dès lors, si le CICo se réfère aux définitions de la réglementation européenne pour nous éclairer sur la notion d’ORDC et de recherche collaborative, les précisions réglementaires ou doctrinales seront les bienvenues.

Des difficultés pratiques pour démontrer le bienfondé de la demande.

Toute déclaration de crédit d’impôt expose le contribuable à un éventuel contrôle par l’administration, qui peut prendre différentes formes. Afin de s’y préparer au mieux, l’entreprise doit anticiper la documentation justificative à fournir et s’assurer d’avoir la capacité de répondre à une demande de l’administration. Il convient donc de s’interroger sur l’application concrète du CICo pour les futurs partenaires. Il est crucial que la collaboration entre les deux organismes soit cadrée, au risque de se voir contester les créances en lien avec le CICo.

L’objet du contrat devra clairement mentionner qu’il s’agit d’une collaboration de recherche. Contrairement à la pratique dans le cadre du CIR, où l’entreprise est cliente, il convient d’intégrer le fait que les parties sont désormais partenaires, au titre d’un projet collaboratif.

En découle naturellement l’impossibilité de réaliser une marge commerciale, avec un partage des coûts équilibrés.

Le contrat de collaboration a été défini par la doctrine comme la

« convention par laquelle deux ou plusieurs personnes se répartissent l’exécution et le financement de travaux scientifiques et techniques en vue d’obtenir les résultats qui en seront issus » [5].

La collaboration de recherche renvoie à la notion de « collaboration effective », définit au paragraphe 90 du règlement précité. Toutefois, les termes de sa définition appellent une nécessaire vigilance de la part des co-contractants puisque lors de ses instructions ou contrôles, l’administration fiscale vérifiera avec une attention particulière les obligations ci-après développées, qui sont fixées par la définition.

Afin d’éviter soit un redressement soit une décision de rejet, les parties doivent d’abord intégrer au contrat la manière dont elles poursuivent « un objectif commun, fondé sur une division du travail impliquant que les parties définissent conjointement la portée du projet collaboratif ». Elles devront également porter une attention sur la manière dont elles partagent « les risques », qu’ils soient financiers, technologiques, scientifiques.

Sur le partage des coûts, le gouvernement ajoute une restriction supplémentaire contraignante à l’égard du règlement susmentionné. L’évolution est flagrante : « une ou plusieurs parties peuvent supporter l’intégralité des coûts du projet et donc soustraire d’autres parties à tout risque financier ».

Si la définition du règlement permet à l’entreprise de supporter intégralement les coûts des opérations de recherche, la rédaction de l’article 69 de la loi de finances pour 2022 est sans appel. En effet, le nouvel article 244 quater B bis du CGI prévoit que « les dépenses facturées par les organismes de recherche au titre des travaux de recherche ne peuvent pas excéder 90% des dépenses totales exposées pour la réalisation des opérations prévues au contrat ». Cette condition mise en perspective avec l’obligation pour l’ORDC de facturer aux coûts complets sans marge à une entreprise au titre d’une collaboration effective de recherche augurent d’ores et déjà les complexités justificatives que rencontreront les entreprises pour démontrer ces deux points dans les discussions avec l’administration fiscale.

Si les entreprises devront prendre des précautions contractuelles, les ORDC devront également être en mesure de déterminer avec précision et rigueur le coût des opérations de R&D. Un suivi en amont devra donc être mis en place afin de pouvoir déterminer ces éléments. Des rapports réguliers auprès de l’autre partenaire pourraient pallier ce risque.

Enfin, concernant le partage des résultats, il conviendra de bien déterminer le périmètre de la recherche et du projet, afin de distinguer le savoir-faire propre et initial du savoir-faire communément acquis. La distinction entre les résultats issus du projet et les conséquences commerciales ou industrielles en termes d’exploitation pourrait être envisagé. La nécessité de protéger les résultats (brevets, licences etc.) doit également être négociée en amont.

Enfin, les parties devront tenter de trouver le délicat équilibre entre l’intérêt de l’entreprise, qui devrait avoir une exploitation exclusive des connaissances résultant de la recherche, doublé d’un intérêt de confidentialité, face au besoin des chercheurs de publier dans des revues scientifiques leurs recherches, dont les données d’entrées sont nécessaires pour démontrer le bien-fondé de leur raisonnement. Une source d’inspiration pourra être les contrats de collaboration de recherche liées au co-encadrement de thèses CIFRE qui posent déjà les bases d’un contrat de partenariat en lien avec la recherche.

Conclusion : un dispositif à surveiller dans le temps.

En conclusion, l’intégration de ce nouveau dispositif vient modifier le calcul du CIR. Effectivement, le CIR se calcule après application d’un taux de 30% sur les dépenses engagées éligibles au dispositif prévu à l’article 244 quater B. Lorsqu’elles sont supérieures à 100 millions d’euros, le taux applicable n’est alors que de 5%.

Désormais, la détermination des dépenses de recherche éligibles s’apprécie à la fois au titre de celles éligibles au dispositif CIR et celles éligibles au dispositif du CICo.

Cependant, les dépenses externalisées de recherche et développement portées au CIR ne pourront être valorisées au CICo et inversement. Il conviendra donc d’être vigilant sur le risque de double valorisation. Par ailleurs, le seuil de 15% de dépenses de recherche et développement nécessaire au bénéfice du statut Jeune Entreprise Innovante (« JEI ») intègre désormais bien celles valorisées à la fois au CIR et au CICo. Il est positif qu’une dépense puisse être in fine potentiellement éligible au CIR ou au CICO, sans que cela n’ait d’impact sur le bénéfice du statut de JEI.

Si, de manière théorique, la frontière entre ces deux crédits d’impôts est évidente, elle l’est moins lorsque l’approche devient plus opérationnelle, seuls des éclairages réglementaires ou doctrinaux pourront répondre aux particularités que les futurs partenaires rencontreront.

Solenne Desprez, Directrice des Affaires Juridiques & Julien Soilly, Resp. fiscal

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Notes de l'article:

[2Amendement n°II-3296 déposé le samedi 6 novembre 2021 et Amendement n°815 du 9 décembre 2021.

[3Loi n°2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.

[5« Contrats de recherche », Juris. Cl. Brevets, Fasc. 100, 2, 1983, n°76.

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