La genèse du projet "chien d’assistance judiciaire" en France.
Tout commence par un coup de chance. Comme nous l’explique Florian Auffret, responsable au niveau national de la mission C.A.J pour l’association Handi’Chien : « Tout a débuté par la rencontre entre un procureur de la République sensibilisé à la médiation animale : Frédéric Almendros, une association formant des chiens d’assistance : Handi’Chien et une association favorisant la médiation animale : la fondation Adrienne et Pierre Sommer ».
Du côté de la Justice, le procureur de la République Frédéric Almendros, alors en poste près le tribunal judiciaire de Cahors (département du Lot) [2], sensibilisé à la médiation animale, avait mis en place au profit des délinquants des actions de médiations canines avec l’aide des chiens de la Gendarmerie.
De son côté, Florian Auffret tombe sur un article présentant la fonction de chien d’assistance judiciaire (C.A.J) aux Etats-Unis et apprend qu’Outre-atlantique déjà 300 chiens d’assistance judiciaire sont en services.
Deux bonnes volontés individuelles qui, mises en relation par la fondation Adrienne et Pierre Sommer, ont donné naissance au programme Cave Canem (Convention d’Accompagnement des Victimes et de l’Enfance par le Chien) et en 2019, à l’arrivée de Lol auprès du tribunal judiciaire de Cahors. Une première en Europe !
Pour monter ce projet, le trio s’est inspiré par ce qui se fait déjà depuis une dizaine d’années tant aux Etats-Unis qu’au Canada ; pour appuyer ce programme une proposition de loi a été déposée en juin 2020 [3].
Le 10 février 2023, une convention nationale a été signée par le ministère de la Justice, l’association Handi’Chiens, la Société protectrice des animaux (SPA) et la Fédération France Victimes pour pérenniser le dispositif. L’objectif est que 20 chiens supplémentaires par an soient mis à disposition des juridictions qui se portent volontaires [4].
La mission des chiens d’assistance judicaire : humaniser le processus judiciaire.
L’intervention des animaux et plus particulièrement des chiens pour un usage thérapeutique ou être tiers médiateur n’est pas nouveau et on en connaît les bénéfices que se soit auprès des personnes porteuses de handicap ou en difficultés psychologiques. Aussi pourquoi ne pas se servir des bienfaits de la présence de cet animal dans d’autres domaines. C’est ce que prônent depuis de nombreuses années certaines associations d’aide aux victimes avec l’introduction de la médiation animale via les C.A.J au sein des tribunaux judiciaires. De plus, un chien d’assistance judiciaire a une espérance de vie professionnelle d’une dizaine d’années et plus il est sollicité, plus il affine son apport.
Le chien d’assistance judiciaire accompagne et soutient moralement les personnes victimes d’infractions pénales -en particulier les enfants – dans tous les actes de la procédure de l’audition au jugement. Mais aussi, peut être une aide pour une personne âgée qui a du mal à faire face à l’angoisse d’une situation judiciaire
La présence d’un animal a tendance à calmer, à donner un sentiment de sécurité, à redonner confiance et, ainsi libérer la parole. Lors d’une procédure judiciaire, elle peut être d’un grand réconfort pour des victimes souvent traumatisées. En effet, aux yeux de la victimes, le chien, contrairement au juge, au policier, au gendarme... qui entend leur témoignage, ne la juge pas.
Et cela vaut également pour les prévenus, en effet, le chien d’assistance judiciaire intervient également auprès de ces derniers.
Le C.A.J est bénéfique à toute personne vulnérable ayant à faire avec l’institution judiciaire.
- Eric Maurel, procureur de la République et Rancho, chien d’assistance judiciaire (photo libre de droit).
Le Village de la Justice a pu échanger avec Eric Maurel, alors procureur de la République près du tribunal judiciaire de Nîmes [5], juridiction qui a fait la demande d’un tel chien d’assistance, voici ses retours : « L’intervention de Rancho, renforce la culture partagée et la dynamique de prise en charge des victimes au sein d’une juridiction et comme le révèle la pratique nîmoise, au sein du Barreau également. Il crée une synergie avec d’autres acteurs associatifs et institutionnels qui interviennent au profit des victimes et par sa présence réduit la violence inhérente au processus judiciaire et juridictionnel ».
Comme l’analysait Frédéric Almendros en janvier 2022 : « souvent on pense que le chien peut être un gadget, ce n’est pas du tout le cas. C’est un partenaire de l’institution judiciaire à part entière parce qu’il n’a pas le regard des humains. C’est une béquille psychologique vivante qui ne vous juge pas » [6].
La formation des Chiens d’assistance judiciaire : par qui, pour qui et pour quel coût ?
Ces informations nous sont données par Benoît Seewald, responsable Centre de formation pour Handi’Chien : « Nous formons nos chiens d’assistance durant 2 années : les 18 premiers mois sont destinés à un apprentissage "tronc commun", une fois en centre d’éducation Handi’Chiens, ils seront spécialisés selon leur profil : chiens d’assistance pour personnes à mobilité réduite, chiens d’assistance judiciaire... Ce sont surtout les labradors ou les golden retriever qui sont sélectionnés pour faire de l’assistance judiciaire.
De leur côté, les personnes référentes qui auront la charge (idéalement 2 personnes) d’un chien d’assistance judiciaire doivent suivre une formation de 10 jours leur permettant de structurer leur projet et d’apprendre à conduire le chien dans toute situation ».
Les demandeurs de C.A.J sont le plus souvent les procureurs de la République ou les présidents de tribunal judiciaire, par contre ces derniers ne peuvent pas être les personnes responsables du chien afin de ne pas contrevenir aux principes d’impartialité et de neutralité qui s’imposent à eux.
Aussi, les personnes référentes proviennent le plus souvent des associations d’aide aux victimes, des Maisons de confiance des familles (dépendant de la Gendarmerie) ou encore des Unités d’Accueil Pédiatrique Enfance en Danger (UAPED) [7].
Il arrive, parfois que la personne référente soit un pompier, mais cela est plus rare car plus coûteux, en effet dans ce cas, il faut rémunérer ses interventions durant de la procédure judiciaire, ce qui n’est pas le cas pour les associations d’aides aux victimes, la Gendarmerie ou les UAPED puisque leurs interventions dans le cadre d’une telle procédure font partie de leur mission.
A ce jour, l’association Handi’Chiens, qui est la seule accréditée pour attribuer les C.A.J, éduque et remet gratuitement tous ses chiens ; chaque chien éduqué coûte 17 000€ (de 0 à 2 ans, âge de la remise) sur fonds propres. Plus de 90% des ressources proviennent des activités de collecte de collecte de l’association ; c’est la générosité des donateurs privés qui lui permet de poursuivre son action.
Actuellement une quaizaine de C.A.J sont en activité et interviennent d’ores et déjà dans des tribunaux judiciaires.
Quel avenir pour le dispositif de déploiement des chiens d’assistance judiciaire au sein des juridictions françaises ?
Ce qui au départ pouvait paraître anecdotique ne l’est plus, en effet, depuis 2019, les chiens d’assistance judiciaire ont intégré les juridictions de Cahors (Lol), Vannes (Rumba a pris ses fonctions en novembre 2022), Nevers (Outchi), Nîmes (Rancho), Orléans et Montargis (Orko et Suki), Angers (Roucky), Strasbourg (Orphée), Saint-Lô (Ravel), Grenoble (Tandem a pris officiellement ses fonctions le 7 décembre 2023), Grasse (Mighty), Béthune et Arras (Ryoma et Soca, prise de fonction en mars 2024), Bourg-en-Bresse (Toundra, prise de fonction en juin 2024) ... La Juridiction de Lyon pourrait être la prochaine à se doter d’un tel partenaire.
Face à l’intérêt des juridictions pour la médiation animale via les chiens d’assistance judiciaire et les résultats positifs de cette dernière, le ministère de la Justice s’intéresse à son développement. Le garde des Sceaux avait annoncé en décembre 2022 la généralisation du dispositif : son souhait, que chaque département dispose d’un chien d’assistance judiciaire [8]. L’objectif prévu est 2025. Et, comme vu dans la première partie de cet article, en février 2023 une convention nationale a été signée par le ministère de la Justice [9].
Pour approfondir ce sujet, la rédaction vous conseille la lecture du guide "Profession : chien d’assistance judiciaire" [10].
La rédaction prolonge l’info...
- Dans le cadre du procès de l’accident de car scolaire de Millas (14 décembre 2017) qui s’est tenu en septembre 2022 au tribunal judiciaire de Marseille, les chiens d’assistance judiciaire, Outchi et Rancho, ont assisté les victimes et leur famille ainsi que la conductrice du car scolaire. Ils sont intervenus pour réconforter l’ensemble des protagonistes et détecter les personnes en détresse.
- Au printemps 2022, Nicolas Chareyre, premier vice-président chargé de l’instruction au tribunal judiciaire de Lyon, a fait intervenir un chien d’assistance judiciaire auprès de victimes âgées de 20 à 50 ans dans le cadre d’un dossier pédo-criminel sériel en cours d’instruction [11].
- En octobre 2024, la Cour d’Assises de la Haute-Vienne a fait intervenir un chien d’assistance judiciaire auprès de victimes mineures durant le procès jugeant les auteurs du meurtre de leur maman dans le cadre d’un féminicide [12]