Le renforcement de l’encadrement des pratiques.
Les questions liées à la RSE prennent une place croissante au sein des organisations et de leurs directions juridiques, avec l’évolution récente de la règlementation : taxonomie européenne afin d’orienter les investissements vers les activités « vertes », déclaration de performance extra-financière obligatoire pour les grandes entreprises, devoir de vigilance pour prévenir les risques sociaux et environnementaux, loi Sapin 2 pour mieux détecter la corruption, loi PACTE donnant la possibilité aux entreprises de se doter d’une raison d’être ou d’adopter le statut d’entreprise à mission...
Rappelons en effet que l’un des principes directeurs, en matière de RSE, est désormais inséré à l’article 1833 du Code civil, issu de la loi PACTE [3], qui dispose : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »
Mais la RSE s’appuie également sur plusieurs outils de soft law, au premier rang desquels la norme internationale ISO 26000, qui propose des lignes directrices pour adopter et déployer une démarche RSE. Il est également possible de citer le Global Compact des Nations Unies, qui décline dix principes en matière de droits humains, de droit du travail, d’environnement et de lutte contre la corruption et accompagne l’appropriation des dix-sept objectifs de développement durable de l’ONU par le monde économique français [4].
L’enquête DGFA-AFJE révèle d’ailleurs la mise en lumière, par les entreprises du panel, de leur adhésion au Global Compact (40 %), ainsi que, dans une moindre mesure, leur participation à des classements ou leur certification sectorielle ou ISO (35 %).
Plus précisément, la norme ISO 26000 définit la RSE comme la « responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien-être de la société, prend en compte les attentes des parties prenantes, respecte les lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les normes internationales de comportement et est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations ».
Elle se décline en sept « questions centrales » (gouvernance, droits de l’homme, relations et conditions de travail, environnement, loyauté des pratiques, questions relatives aux consommateurs, communautés et développement local), chacune d’elle étant déclinée en plusieurs domaines d’action.
Un intérêt croissant pour les politiques RSE.
Ainsi que le souligne l’enquête DGFA-AFJE, les enjeux de la RSE sont intégrés au plus haut niveau des directions générales : 81 % d’entre elles suivent de manière étroite la mise en place du cadre RSE dans leur entreprise.
86 % des juristes d’entreprise ayant répondu à l’enquête estiment en outre que leur groupe évolue « dans un environnement propice à une démarche de RSE en raison de leur appartenance sectorielle, de la demande de leurs clients, de leurs employés ou des attentes des parties prenantes. »
Les entreprises du panel ont principalement mis au cœur de leurs préoccupations RSE, les questions des transitions écologiques et énergétiques (84 %) et des droits de l’homme (66 %). 33 % d’entre elles ont mis en place des outils pour favoriser le dialogue avec les parties prenantes comme des fondations ou des associations de collaboration avec les fournisseurs, des chartes de qualité de service ou des groupes de travail avec des ONG.
La prise de conscience de l’importance de la RSE tend également à se ressentir du côté des parties prenantes des entreprises : 58 % des directions juridiques déclarent observer, depuis la crise sanitaire, un intérêt plus grand de leurs salariés. Il en est de même pour les actionnaires, selon 56 % d’entre elles. Pour 54 % des répondants, la prise en considération s’est accrue particulièrement en ce qui concerne le numérique, avec les questions de gouvernance, de protection des données, d’empreinte carbone, ainsi que des règles éthiques concernant l’usage de l’intelligence artificielle.
Mais l’évolution tend surtout à mieux répondre aux attentes du marché, des financeurs, des actionnaires (33 %), afin de traduire l’engagement des dirigeants pour être en avance sur le marché (26 %) ou tout simplement par conviction du dirigeant ou compte tenu de l’ADN de l’entreprise (32 %).
Le déploiement de la RSE au sein des directions juridiques.
De manière globale, les nouvelles sont plutôt bonnes du côté des directions juridiques, même si les avancées restent encore un peu timides. Ainsi que l’indique l’analyse de restitution des résultats, « les directions juridiques semblent être encore dans une phase d’adaptation à ce nouveau cadre. » Pourtant, 53 % d’entre elles ont dû gérer, au cours des douze derniers mois, un contrôle de la part d’une autorité administrative pour une question comprise dans le champ de la RSE. Il s’agit principalement de contrôles de la DGCCRF (47 %), de l’AFA (20 %) et de la CNIL (9 %), avec, à noter, les premières interventions de l’ANSSI.
Il ressort de l’enquête qu’une direction juridique sur deux (53 %) a accompagné son entreprise, dans le prolongement de la loi PACTE, dans l’évolution de ses pratiques notamment en matière de rémunération des dirigeants en intégrant les aspects RSE dans les critères d’évaluation de la performance. Spécifiquement, la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance porte indéniablement ses fruits, puisque près d’une direction juridique sur deux (43 %) a fait évoluer ses pratiques, notamment en renforçant son niveau de connaissance des fournisseurs, des tiers et des filiales. Et, ceci se constate au sein de sociétés non encore concernées par l’application des dispositions des articles L. 225-102-4 et suivants du Code de commerce.
Pour autant, l’enquête montre que les directions juridiques passent en moyenne 17 % de leur temps aux enjeux de RSE. Un chiffre en réalité assez surprenant, lorsque l’on sait que la RSE aborde de très nombreux aspects, allant – pour ne citer que quelques-uns des domaines d’action de l’ISO 26000 – de la prévention des discriminations, au devoir de vigilance et à la lutte contre la corruption, en passant par la protection des données personnelles, la protection de l’environnement ou bien encore la loyauté des pratiques.
Il est exact que les directions juridiques contribuent déjà systématiquement aux travaux de l’entreprise dans le cadre de la communication RSE (47 %), sur le devoir de vigilance ou la loi Sapin 2, comme pour le rapport annuel. Mais s’agissant par exemple des indicateurs extra-financiers de la DPEF [5], le pourcentage de collaboration systématique tombe à 29 %, près de 20 % des juristes de l’échantillon interrogé n’étant jamais impliqués…
L’enquête a, plus largement, permis d’interroger les juristes d’entreprise sur le degré de maturité de leur direction juridique en matière de RSE. Il en ressort que 37 % estiment être en réaction par rapport aux textes légaux et que 29 % sont en phase d’étude pour mettre en place des procédures et des outils. Mais seules 13 % estiment être visionnaires avec une approche stratégique et optimisée qui leur permet de mettre la RSE au cœur du fonctionnement des procédures juridiques.
Enfin, s’agissant de la formalisation des engagements des entreprises, il s’avère que 40 % des répondants n’ont pas encore travaillé sur la raison d’être [6] de leur entreprise. Mais les données sont encourageantes : 28 % en ont adopté une et 31 % l’envisagent pour l’avenir. Le statut de société à mission [7] en revanche, est très peu évoqué (3 %), les directeurs juridiques estimant ce choix « trop ambitieux pour leur entreprise ».
Montée en compétence sur les différents aspects de la RSE, meilleure connaissance des outils disponibles, acquisition de solutions performantes pour piloter toute la cartographie des risques RSE, place plus importante accordée aux parties prenantes sont quelques-unes des pistes mise en lumière pour aider davantage les entreprises et leurs juristes à « davantage s’emparer, avec légitimité », des sujets liés au déploiement de l’engagement sociétal et environnemental des entreprises.
Nul doute, avec les renforcements qui se profilent notamment en France et en Europe [8], qu’il s’agit, ici comme ailleurs, d’une nouvelle occasion pour les directions juridiques, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, de jouer un rôle stratégique au sein de leurs organisations !