En outre, en quelque sorte, la marque est également un signe de ralliement de la clientèle fidélisée aux biens (produits ou services) qui en est estampillés [1].
A ce titre, la marque, du fait de la notoriété qui lui est associée, est un actif incorporel non négligeable pour son titulaire (Voir l’article Biens immatériels et liquidation judiciaire Biens immatériels et liquidation judiciaire. Par Laurent Thibault Montet, Docteur en Droit.) et peut, de ce fait, susciter la convoitise de tiers mal intentionnés. Durant un certain temps sur le fondement du principe « fraus omnia corrumpit » puis, depuis la loi de transposition [2] du 4 janvier 1991, le Législateur, notamment avec l’article L712-6 du Code de la propriété intellectuelle, institue un cadre de protection contre le « brand squatting ».
Conformément à l’article L712-1 du Code de la propriété intellectuelle, la marque enregistrée [3] auprès de l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) est un titre de propriété industrielle. Ce dernier octroie un droit à son titulaire ou ses cotitulaires (en cas de copropriété) sur une marque à l’issue de la validation par l’INPI de la procédure d’enregistrement [4].
Dès lors que cette formalité légale a été souscrite avec succès, elle confère au déposant (ou à celui pour le compte duquel le dépôt a été réalisé) un droit de propriété [5] sur cette marque pour les produits ou/et services qui y sont associés. Toutefois, ce droit s’exerce sans préjudice des droits acquis par les tiers (en l’occurrence l’utilisateur d’une dénomination sociale, ou d’une raison sociale, et/ou encore d’un nom d’enseigne, et/ou un nom de domaine non enregistré à l’INPI.) avant la date de dépôt ou la date de priorité de cette marque [6]. C’est, dans une certaine mesure, dans cet interstice que se pose la question du « brand squatting » [7].
I. L’appropriation frauduleuse d’une marque.
Une marque peut être une aubaine financière cruciale dans la mesure où il s’agit du signal d’appel et de fidélisation (voire une addiction [8]) aux biens (produits ou/et services) qui y sont associés. En outre, elle identifie la synthèse des valeurs techniques (qualité des biens…) et sociales (intégrité de la chaîne de valeur…) portées par l’entreprise et, par voie de conséquence, la marque matérialise l’attachement émotionnel de la clientèle. Dès lors, il est important d’avoir à l’esprit que la valeur vénale de la marque est indissociable de la notoriété (réelle ou supposée) acquise par l’entreprise. Ainsi, la marque est le premier produit de l’entreprise. À ce titre, la ou les personnes (physiques ou morales) doivent être particulièrement vigilantes sur cet aspect mercantile de la marque au risque qu’elle fasse l’objet d’une appropriation frauduleuse par un tiers spéculateur, c’est-à-dire une personne autre que le détenteur légitime (ou son mandataire) qui réalise des opérations d’enregistrement à l’INPI pour tirer profit des variations de la notoriété de ladite marque.
A. La convoitise de la notoriété de la chose d’autrui.
Le « brand squatting » doit être définit comme étant l’appropriation d’une marque par un personne qui en est pas le producteur [9] ni le représentant habilité de ce dernier [10]. Ainsi, le « brand squatter » [11] est surtout caractérisé par sa mauvaise foi [12]. Cette dernière réside principalement dans la volonté du « brand squatter » de devancer [13] le producteur de la marque (qu’elle ait ou pas commencé à être utilisée) en réalisant avant lui la procédure d’enregistrement. Ainsi, d’une manière ou d’une autre, le « squatteur de marque » à pleinement conscience [14] que le bien (futur ou présent) dont il s’approprie l’exclusivité dispose d’ores et déjà d’un détenteur légitime [15].
C’est là le stigmate de la mauvaise foi. En effet, cette dernière est l’attitude délibérée (voire le trait de caractère) par laquelle une personne méconnaît une réalité manifestement incontestable ou/et dont il a pleinement conscience. Dès lors, la mauvaise foi est un élément constitutif du « brand squatting » mais ne suffit pas à elle seule. Elle doit être aggravée par la fraude [16] et l’intention de nuire [17] à autrui.
B. La caractérisation de la fraude.
La fraude est un « acte qui a été réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l’intention d’échapper à l’exécution des Lois » [18]. Autrement-dit, il s’agit soit de détourner la loi soit de la contourner afin d’obtenir un bien et/ou un avantage non dû. Ainsi, si la mauvaise foi n’implique pas nécessairement une situation de fraude ; cette dernière implique nécessairement un certain degré de mauvaise foi.
Ce qui fait que dans le contexte du « brand squatting », le juge les utilise comme des synonymes [19]. La convergence de ces notions ne s’arrête pas là. À l’instar de la mauvaise foi [20], la fraude ne se présume pas. Dès lors, celui qui l’excipe doit apporter les éléments matériels qui sont constitutifs de son existence [21]. En effet, il s’agira pour la victime de mettre en relief un faisceau d’indices tenant au degré de similitude entre les signes distinctifs, le degré de similitude entre les biens (si le « brand squatter » s’en sert), la notoriété du « signe squatté », la connaissance de l’usage antérieure ou de l’intention d’usage, la similitude entre les activités (si le « brand squatter » à une activité réelle), le détournement de la législation en matière d’enregistrement de marque à des fins étrangères à la finalité du dispositif légal…
Ainsi, en l’absence de mauvaise foi, pas de fraude ; en l’absence de fraude, pas de « brand squatting » [22]. Il est également possible d’ajouter qu’en l’absence de fraude, il n’y a pas d’intention de nuire (et vice-versa).
En effet, la Cour de cassation [23] et l’INPI [24] déduisent la fraude de l’intention de nuire [25] ou de la mauvaise foi ; alternativement, dès lors que l’un des trois est caractérisé par la partie qui l’allègue (Voir notamment l’article Droit des marques : Frédéric Truskolaski l’emporte sur ’Entreprendre’. Par Alexandre Blondieau, Avocat.).
Cela étant dit, il ne faut pas pour autant en conclure qu’il y a « brand squatting » qu’en cas de contexte frauduleux car l’alinéa 2 de l’article L712-6 du Code de la propriété intellectuelle s’intéresse au cas de « squattage de marque » (brand squatting) par un squatteur (brand squatter) de bonne foi. La victime d’une telle pris en possession dispose d’un délai de cinq ans pour agir contre le possesseur de bonne foi ; passé ce délai, elle est forclose, sauf à prouver la fraude.
II. Les recours contre l’appropriation frauduleuse d’une marque.
La victime du « brand squatting » n’est, normalement, pas désarmée contre cette situation. Selon le contexte du squat, la victime dispose soit de la possibilité de mettre en œuvre une action en revendication [26] soit de bénéficier d’une nullité [27] ou encore mettre en œuvre la faculté d’opposition [28].
A. L’opposition et la nullité.
L’opposition à l’enregistrement d’une marque et la nullité de l’enregistrement sont des recours dont l’analyse est, en première instance, attribuée à l’INPI [29].
L’opposition [30], permet à celui qui l’excipe de solliciter l’arrêt de l’enregistrement d’une nouvelle marque si le demandeur démontre une atteinte à ces droits (Voir notamment l’article Que faire en cas d’opposition à l’enregistrement de ma marque ? Par François Godfrin, Avocat.) [31]. L’opposition doit être formulée en ligne dans les deux mois à compter de la publication de la demande d’enregistrement au Bulletin Officiel de la Propriété Industrielle (BOPI) ou, le cas échéant, à compter de la publication à la gazette des marques internationales de l’OMPI. Si l’opposition est fructueuse, la demande d’enregistrement litigieuse sera rejetée. En cas contraire, c’est-à-dire si l’opposition est rejetée, la décision de l’INPI peut être contestée auprès de l’une des cours d’appel compétentes.
S’agissant de l’action en nullité (Voir notamment l’article La nouvelle procédure en nullité de marque devant l’INPI. Par Nathalie Dreyfus, CPI.), elle est soumise à l’Institut national de la propriété industrielle (art. L716-5 du Cpi.) lorsqu’elle est fondée sur l’article L711-2 notamment le 11° (« Une marque dont le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur »), sur l’article L711-3.III (« Ne peut être valablement enregistrée et, si elle est enregistrée, est susceptible d’être déclarée nulle une marque dont l’enregistrement a été demandé par l’agent ou le représentant du titulaire d’une marque protégée dans un Etat partie à la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, en son propre nom et sans l’autorisation du titulaire à moins que cet agent ou ce représentant ne justifie sa démarche ») ou l’art. L715-4 ou encore sur l’art. L715-9 du Code de la propriété intellectuelle. Autrement dit, l’INPI [32] est exclusivement compétent pour analyser les demandes de nullité formées à titre principal sur des motifs absolus de nullités (cas du « brand squatting ») et sur les motifs relatifs liés notamment aux signes distinctifs (marque antérieure, dénomination sociale, nom commercial, enseigne, nom de domaine, nom d’une entité publique) et aux signes territoriaux (nom des collectivités territoriales et des EPCI, appellations d’origine et indications géographiques).
Sauf démonstration de la mauvaise foi (cas du « brand squatting »), l’action se prescrit par cinq ans à compter de la date d’enregistrement [33]. En tout état de cause, si l’action en nullité est reconnue, elle prend effet rétroactivement à la date de son dépôt. La nullité prononcée peut être partielle ou totale.
B. L’action en revendication.
Contrairement à l’opposition, l’action en revendication ne consiste pas à solliciter l’interdiction de l’enregistrement litigieux. Elle ne consiste pas non plus, contrairement à l’action en nullité, à en solliciter la « destruction » rétroactive. En effet, l’action en revendication [34] à pour finalité de faire bénéficier au propriétaire légitime du transfert des droits sur la marque (et, du paiement des redevances) dont il a été spolié par l’action frauduleuse (Voir notamment l’article L’appréciation de la mauvaise foi du déposant dans le cadre de l’action en revendication de marque. Par Jonathan Elkaim, Avocat. et Revendication d’ancienneté de marques. Par Manuel Roche, CPI) du « brand squatter » ou (dans le délai imparti par l’alinéa 2 de l’article L712-6 du Code de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire 5 ans.) par le possesseur de bonne foi.