La biomasse, les impacts écologiques vus par le droit.

Par Juliette Pain, Avocat.

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La biomasse est l’ensemble de la matière organique d’origine végétale ou animale. Sa définition légale se trouve à l’article L211-1, alinéa 2 du Code de l’énergie :
«  (…) La biomasse est la fraction biodégradable des produits, déchets et résidus provenant de l’agriculture, y compris les substances végétales et animales issues de la terre et de la mer, de la sylviculture et des industries connexes, ainsi que la fraction biodégradable des déchets industriels et ménagers ».

-

Les principales formes d’énergies de biomasse sont : les biocarburants, combustible liquide ou gazeux utilisé pour le transport (produit essentiellement à partir de céréales, de sucre, d’oléagineux et d’huiles usagées) ; le bioliquide, utilisé pour le chauffage, le refroidissement ou l’électricité [1]..

On peut distinguer plusieurs générations d’agrocarburants : la première génération provient de produits alimentaires (colza, betteraves, maïs, blé…) convertis en énergie biomasse par des processus techniques simples ; la deuxième génération provient de source lignocellulosique (paille, feuilles, bois…) convertis en énergie biomasse via des processus techniques avancées ; et la troisième génération qui consiste en la production d’hydrogène avec des micro-organismes.
La valorisation énergétique la plus intéressante dans le domaine de la biomasse est celle du bois. De manière générale, la biomasse est moins polluante que les énergies fossiles [2].

En application de l’ordonnance n°2011-504 du 9 mai 2011, la biomasse est « source d’énergie renouvelable », toutefois, sa valorisation concrète reste relativement floue et suscite des questionnements quant aux effets potentiellement néfastes de sa production sur l’environnement.
Pourtant, la biomasse est la première source d’énergie renouvelable en France. Elle y est à l’origine de plus de 66 % de l’énergie produite à partir de sources renouvelables.
Ses impacts sur l’environnement sont méconnus et difficilement évaluables, alors qu’ils sembleraient ne pas devoir être négligés. En effet, les effets de la production de la biomasse sur les milieux naturels sont conséquents : déforestation, culture intensive des végétaux pour les agro-carburants, pollutions dues à l’incinération des déchets [3]..

Il est possible d’affirmer que l’usage de la biomasse dans le domaine du transport permet une réduction de l’émission des gaz à effet de serre par rapport aux carburants fossiles [4].

Cependant, les analyses des cycles de vie - c’est-à-dire de la production ou de l’extraction des matières premières jusqu’à leur combustion- [5] ne permettent pas d’apprécier toutes les conséquences des biocarburants sur les changements d’affectation des sols, qui pourtant peuvent être à l’origine d’émissions importantes de gaz à effet de serre.

Le changement d’affectation des sols peut être direct ou indirect. Le changement indirect (CASI) désigne des effets induits par une activité. Les biocarburants sont accusés d’utiliser des terres, initialement affectées à l’agriculture, et d’entrainer indirectement leur changement d’affectation pour la réalisation de leur production. La production alimentaire existante est alors déplacée géographiquement vers de nouvelles zones d’exploitation créées par conversion d’espaces naturels (tels que forêts ou prairies).

L’article 6 de la Directive 2009/28/CE dite « énergies renouvelables » prévoit que :
« La Commission présente, le 31 décembre 2010 au plus tard, au Parlement européen et au Conseil, un rapport sur l’impact du changement indirect d’affectation des sols sur les émissions de gaz à effet de serre et sur les moyens de réduire cet impact au minimum ».

En mars 2013, la Commission européenne présente une proposition de directive sur les changements indirects d’affectation des sols liés aux biocarburants et aux bioliquides [6].

Cette étude d’impact a pour but « d’éviter d’éventuels effets secondaires négatifs ». Pour ce faire, les deux directives (2009/28/CE et 2009/30/CE) imposent des critères de durabilité que les biocarburants et les bioliquides doivent respecter pour être comptabilisés aux fins de la réalisation des objectifs et bénéficier d’aides.
Ces critères de durabilité des biocarburants visent à ce que les forêts, les zones humides et les terres riches en biodiversité ne soient pas directement converties à la production de biocarburants. Ils imposent également que les émissions de gaz à effet de serre des biocarburants soient inférieures d’au moins 35 % à celles des carburants fossiles qu’ils remplacent.

En général, les estimations des réductions d’émissions de gaz à effet de serre permises par les biocarburants par rapport aux carburants fossiles ne prennent pas en compte les changements d’affectation des sols.
Si les changements d’affectation des sols directs sont pris en considération dans la méthodologie européenne de calcul des émissions de gaz à effet de serre (annexe V de la directive 2009/28/CE), il n’en va pas de même pour les effets des changements d’affectation des sols indirects [7].

Il est donc possible de se demander si les biocarburants en seraient moins « durables » s’il on prenait en compte ces changements d’affectation des sols indirects ? Respecteraient-ils encore le seuil réglementaire de réduction des émissions de gaz à effet de serre ? [8]

La Commission européenne a réalisé en 2010, un rapport sur les changements d’affectation des sols indirects démontrant que l’augmentation de la production de biocarburants a des impacts indirects négatifs sur l’affectation des sols et que la prise en compte de cet effet peut dégrader de manière significative le bilan carbone des biocarburants [9].

Les différents travaux scientifiques confirment l’importance des changements d’affectation des sols indirects et leur rôle négatif sur le bilan carbone des biocarburants. La prise en compte de cet impact écologique dans la politique européenne est dorénavant indispensable. La poursuite de l’objectif de 10 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2020 ne pourra se faire que si des outils de lutte contre les changements d’affectation des sols indirects sont instaurés [10].

Les exigences de durabilité ont été reprises par les articles L661-2 et suivants du Code de l’énergie, issus de l’ordonnance n°2011-1105 du 14 septembre 2011.
L’article L611-2 du Code de l’énergie pose le principe selon lequel, seuls les biocarburants et bioliquides répondant à des critères conformes aux exigences du développement durable, ou « critères de durabilité » sont pris en compte comme contribuant à la réalisation des objectifs nationaux de développement des énergies renouvelables et peuvent bénéficier des avantages fiscaux et autres aides publiques à la production et consommation de biocarburants et bioliquides.
Les critères à respecter sont définis aux articles L661-4 à L661-6 du Code de l’énergie. Ils s’appliquent aussi bien à la production qu’à la distribution des biocarburants et bioliquides. Toute la chaîne de production est ainsi concernée : depuis l’extraction ou la culture des matières premières jusqu’à la transformation de la biomasse en un produit de qualité requise pour être utilisée comme carburant ou combustible. Le transport, la mise à la consommation et la distribution du produit sont également visés [11] .

Sont soumis à ces prescriptions, les opérateurs économiques qui :
- Produisent ou récoltent les matières premières utilisées pour la production des biocarburants ou bioliquides ;
- Collectent, stockent et commercialisent ces matières premières dans leur état non transformé ;
- Transforment les matières premières et commercialisent les produits transformés intermédiaires ;
- Produisent et commercialisent des biocarburants et bioliquides ;
- Effectuent les mélanges des biocarburants et bioliquides et commercialisent ces produits ;
- Incorporent ces produits pour produire des carburants ou des combustibles liquides, au sens du code des douanes, qu’ils mettent à la consommation [12]

Selon l’article L661-4 du Code de l’énergie, la première exigence impose que la production et l’utilisation de biocarburants et bioliquides doivent présenter un potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 35 % par rapport aux émissions de gaz à effet de serre résultant des carburants et combustibles d’origine fossile [13]

Le deuxième critère de durabilité interdit aux biocarburants et bioliquides d’être produits à partir de matières premières provenant :
-  De terres de grande valeur en termes de biodiversité ;
-  De terres présentant un important stock de carbone ;
-  De terres ayant le caractère de tourbières.

En pratique, cela signifie que les biocarburants produits à partir de cultures sur des terres auparavant occupées par des forêts tropicales ou par des prairies naturelles avec un écosystème unique ne peuvent être considérés comme durables.

Si par principe, tous les biocarburants et bioliquides doivent respecter ces exigences de développement durable, il n’y en a pas moins des exceptions.
Le décret n°2011-1468 du 9 novembre 2011 pris pour l’application de l’ordonnance portant transposition des directives 2009/28/CE et 2009/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 dans le domaine des énergies renouvelables et des biocarburants dispense « les biocarburants et les bioliquides produits à partir de déchets et de résidus autres que les résidus provenant de l’agriculture, de l’aquaculture, de la pêche et de la sylviculture » de justifier de ces critères.
De même, les biocarburants et bioliquides produits à partir de matières premières provenant des catégories de terres mentionnées à l’article L661-5 du Code de l’énergie peuvent, en raison de l’atteinte limitée portée à ces terres, être regardés comme satisfaisant aux critères de durabilité.

L’article L661-6 du Code érige comme dernier critère : « les biocarburants et bioliquides ne doivent pas être produits à partir de matières premières qui, lorsqu’elles sont cultivées sur le territoire de l’Union européenne, ne respectent pas les exigences et les règles ou les bonnes conditions agricoles et environnementales applicables dans le cadre de la politique agricole communautaire » [14].

Aussi, les critères sont-ils de deux ordres pour la protection de l’environnement : ceux relatifs à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (critères quantitatifs), et ceux relatifs aux matières premières et aux terres (critères qualitatifs).
Pour être effective, la durabilité des biocarburants doit être contrôlée. C’est aux opérateurs concourant à la production et à la distribution des biocarburants et bioliquides de justifier du respect des critères de durabilité [15].

Les entreprises peuvent choisir de faire la preuve de leur conformité aux exigences de durabilité dans le cadre de systèmes nationaux ou en s’affiliant à un mécanisme volontaire reconnu par la Commission européenne. En 2011, la Commission a reconnu sept de ces mécanismes volontaires [16].

Dans un communiqué de presse du 19 juillet 2011 « Les premiers mécanismes de durabilité pour les biocarburants à l’échelon de l’UE sont approuvés », le commissaire chargé de l’énergie, M. Günther Oettinger, a déclaré : « Nous devons nous assurer que la totalité de la production de biocarburants et de la chaîne d’approvisionnement correspondante sont durables. C’est pourquoi nous avons fixé les normes de durabilité les plus exigeantes du monde. Les mécanismes reconnus aujourd’hui à l’échelon de l’UE constituent un bon exemple d’un système fiable et transparent qui assure le respect de ces normes strictes  ».

Une fois le contrôle approfondi des exigences de durabilité effectué par la Commission, et dès lors qu’il l’a convaincu qu’il couvre de manière satisfaisante les exigences de durabilité prévues dans la directive sur les énergies renouvelables [17], la Commission octroiera son agrément pour une durée de cinq ans.

Cet agrément s’applique directement dans tous les États membres de l’Union.
S’agissant de la France, l’agrément reconnu est le « 2BSvs » (mécanisme mis au point par des producteurs français et couvrant tous les types de biocarburants) [18].

Au niveau national, ce contrôle est exercé par des organismes certificateurs reconnus par l’autorité compétente, qui doivent assurer un contrôle indépendant du respect de la durabilité de ces produits dans le cadre du système national.
Les opérateurs doivent apporter la preuve que ce contrôle a été effectué, et que les éventuelles non-conformités ont été traitées et corrigées efficacement.

Le contrôle prévu à l’article L. 661-7 permet de vérifier si le système utilisé par l’opérateur est «  [19] ». Le contrôle évalue la fréquence et la méthode d’échantillonnage ainsi que la validité des données [20]

L’organisme assure la gestion d’un système d’information comprenant un répertoire des opérateurs économiques concernés, les systèmes ou accords auxquels chacun a déclaré recourir et les informations contenues dans les attestations et les déclarations de durabilité. Il apporte son appui aux services de l’État dans l’exercice de leurs missions de contrôle. Il fournit aux ministres chargés de l’écologie et de l’énergie toutes les informations et données nécessaires à l’établissement des rapports à communiquer à la Commission européenne [21]. [22]

Ces organismes certificateurs sont accrédités à cet effet par le Comité français d’accréditation (COFRAC) [23].

Par ailleurs concernant les installations de production et de valorisation de la biomasse, un décret n° 2013-814 du 11 septembre 2013 modifie la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Il modifie la définition de biomasse (rubriques 2910) et la puissance totale considérée pour déterminer le régime de classement (raisonnement en puissance nominale et non plus maximale). Ces modifications résultent de la transposition de la directive 2010/75/UE du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles.

La biomasse fait partie des grandes orientations de la politique énergétique prises par la France pour répondre aux défis climatiques actuels. Son utilisation pour ces usages (chaleur et électricité) devrait ainsi presque doubler d’ici 2020. Cet objectif pose maintenant des interrogations au niveau « Recherche et Développement » : faut-il soumettre la production de la biomasse aux règlementations « OGM » ? À celles encadrant le recours aux pesticides, biocides et matières fertilisantes ? La certification environnementale des exploitations pour l’identification des exploitations engagées dans des « démarches particulièrement respectueuses de l’environnement » introduite par la loi « Grenelle I » et inscrite dans le Code rural par la loi « Grenelle II » du 1er juillet 2010 pourrait-elle s’étendre à la production de la biomasse ? [24]

Juliette PAIN
Avocat

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Notes de l'article:

[1Code de l’énergie, article L661-1

[3B. Le Baut-Ferrarese, Traité de droit des énergies renouvelables, 2e éd., 2012

[4Chambre régionale d’agriculture de PACA, Étude de la biomasse agricole et de première transformation en région PACA (2008-2009), juin 2009.

[5Selon l’Agence internationale de l’énergie, les biocarburants doivent être évalués, dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, par comparaison avec les systèmes énergétiques qu’ils remplacent, en se fondant sur la méthodologie des analyses de cycle de vie. Ces « ACV » sont publiées au niveau international, par l’Agence internationale de l’énergie ou par le GBEP

[6Première évaluation d’une analyse d’impact de la Commission européenne, Proposition de la Commission européenne d’une directive sur les changements indirects d’affectation des sols liés aux biocarburants et aux bioliquides, mars 2013

[8Commissariat général au développement durable, Bilan carbone des biocarburants : vers une prise en compte des changements indirects d’affectation des sols, Études et documents, n°79, mars 2013.

[9Commission européenne, Rapport sur les changements indirects d’affectation des sols liés aux biocarburants et aux bioliquides, Bruxelles, 22 décembre 2010.

[10Commissariat général au développement durable (cité supra).

[11Code de l’énergie, article L661-3.

[12Décret n° 2011-1468 du 9 novembre 2011 pris pour l’application de l’ordonnance portant transposition des directives 2009/28/CE et 2009/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 dans le domaine des énergies renouvelables et des biocarburants, article 6.

[13Ce pourcentage minimal sera porté à 50% au 1er janvier 2017 et 60% au 1er janvier 2018. Seront concernés les produits des installations produisant des biocarburants à partir de 2017. Depuis le 1er avril 2013, les installations produisant des biocarburants et bioliquides avant le 23 janvier 2008 sont soumises au critère des 35% de réduction des gaz à effet de serre.

[14Règlement 73/2009 du 19 janvier 2009, article 6-1 et annexe II.

[15Code de l’énergie, article L611-7.

[16ISCC, Bonsucro EU, RTRS EU RED, RSB EU RED, 2BSvs, RSBA et Greenergy.

[17Directive 2009/28/CE.

[18Commission Européenne, Les premiers mécanismes de durabilité pour les biocarburants à l’échelon de l’UE sont approuvés, IP/11/901, 19 juillet 2011.

[19précis, fiable et à l’épreuve de la fraude

[20Article 8, décret n° 2011-1468 du 9 novembre 2011 relatif à la durabilité des biocarburants et des bioliquides.

[21Article 11, décret n° 2011-1468 du 9 novembre 2011 relatif à la durabilité des biocarburants et des bioliquides.

[22Avis aux organismes certificateurs sur la mise en place d’un contrôle indépendant du respect des critères de durabilité pour les biocarburants et les bioliquides, 22 septembre 2012.

[23Article 7, arrêté du 23 novembre 2011.

[24Grenelle de l’environnement, plan de développement des énergies renouvelables à haute qualité environnementale, 2008 - 2012 – 2020, Comité opérationnel n° 10.

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