Substantiellement, la loyauté est hissée au rang de principe contractuel, de sorte que :
« Le contrat de travail est exécuté de bonne foi » [1].
Concrètement, le management brutal se caractérise par des comportements attentatoires à la dignité humaine, nuisibles à la santé psychologique :
- actes agressifs
- volonté à humilier
- propos inappropriés
- attitudes vexatoires
- pression menaçante.
Sur le plan juridique, ceci est susceptible de recevoir la qualification de harcèlement moral.
A cet égard, par un récent arrêt saisissant à plus d’un titre, la Cour de cassation a jugé que le management brutal peut donner lieu à un licenciement pour faute grave : la pratique par un salarié d’un « mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés » est de nature à caractériser un comportement rendant impossible son maintien dans l’entreprise [2].
Il y est particulièrement admis que le manager a causé « un mal être et une souffrance de la majorité du personnel ».
Un management brutal peut constituer une faute grave en l’absence de harcèlement.
Pour les hauts juges, dans le cas d’espèce, la pratique par la salariée d’un mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés :
- suffit « à caractériser un comportement rendant impossible son maintien dans l’entreprise »
- peu importe que les manquements du manager, motivant la rupture de son contrat, soient ou non constitutifs d’un harcèlement moral [3].
En l’espèce, une salariée, directrice d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, pratiquait un management contesté par ses subordonnés.
A la suite d’un signalement de harcèlement, elle est licenciée.
La cour d’appel estime que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, dénué de faute grave, au motif que :
« l’employeur qui avait reçu le 23 octobre 2014 des courriers remis par trois salariées faisant état de faits de harcèlement moral à leur encontre, n’a engagé que le 24 novembre 2014 une procédure disciplinaire à l’encontre de la directrice mise en cause ».
En outre, pour les juges du fond, il n’est justifié de l’organisation d’aucune mesure d’enquête, par l’employeur, dans le sillage des dénonciations :
- les courriers et attestations produits font état d’une attitude générale ou d’événements non datés et non de faits précis et circonstanciés,
- la seule dénonciation d’un climat de travail tendu, de conditions et de relations de travail effectivement difficiles ou heurtées, ne peut valoir qualification de harcèlement moral :
« s’il est fait ensuite état de décisions de la directrice au sujet de l’affectation de salariées à certaines tâches ou d’une surcharge de travail, la situation de tension, voire de stress ou de contrariété, même intense, qui est liée à un contexte professionnel difficile, à la nature de la tâche du salarié, ou à l’étendue de ses responsabilités, voire à une surcharge de travail, ne peut non plus être qualifiée de harcèlement moral ».
Raisonnement censuré par la Chambre sociale, au visa des articles L1234-1, L1234-5 et L1234-9 du Code du travail.
Avant de rappeler que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, en l’espèce, les Hauts juges considèrent que :
« il résultait de ses constatations (la cour d’appel) la pratique par la salariée d’un mode de gestion inapproprié de nature à impressionner et nuire à la santé de ses subordonnés, ce qui était de nature à caractériser un comportement rendant impossible son maintien dans l’entreprise, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
En somme, la Haute assemblée opère une distinction entre sanction du harcèlement et licenciement pour faute grave : une dénonciation du harcèlement peut conduire au licenciement sur le terrain disciplinaire, en ce que le mode de gestion inapproprié nuit à la santé des salariés, attentatoire à leur dignité.
Pour rappel, s’impose l’organisation une obligation de sécurité et de prévention des risques professionnels [4]. En cela, l’employeur « ne méconnaît pas cette obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 Code du travail » [5].
Qui plus est, aux termes de la jurisprudence commentée, le licenciement pour faute du manager brutal, n’implique point, au fond, de caractériser un harcèlement moral [6].
Cela dit, la dégradation des conditions de travail, consécutives, entre autres, aux méthodes de management brutales, sont des causes identifiées des risques psychosociaux importants.
Sur le plan juridique, comme exposé supra, cela est susceptible de recevoir la qualification de harcèlement moral.
En ce sens, par un arrêt du 12 juillet 2022, la Cour régulatrice retient la responsabilité de l’employeur vis-à-vis du manager auteur des faits de harcèlement moral.
Dit autrement, les méthodes managériales pratiquées au sein d’une entreprise, indépendamment du rang du manager, engagent la responsabilité de l’entreprise.
L’employer n’est pas fondé à sanctionner les pratiques brutales du manger qu’il cautionnait :
« La cour d’appel a relevé, s’agissant des faits de harcèlement moral imputés au salarié, que les méthodes managériales de ce dernier envers une autre salariée n’étaient ni inconnues, ni réprouvées par sa hiérarchie avec laquelle il avait régulièrement partagé ses constats relatifs à l’insuffisance de sa collègue et avait conduit en lien étroit avec elle un processus de changement et de réorganisation au sein de la direction dont il avait la charge. Elle a ajouté que le salarié avait agi en concertation avec son supérieur hiérarchique et le directeur des ressources humaines et que l’employeur avait d’ailleurs pris fait et cause pour lui en défendant les décisions prises en réponse aux doléances de l’époux de la salariée qui se plaignait de harcèlement.
La cour d’appel a pu en déduire, sans violer le principe de la contradiction, que le comportement du salarié, qui était le résultat d’une position managériale partagée et encouragée par l’ensemble de ses supérieurs hiérarchiques, ne rendait pas impossible son maintien dans l’entreprise, et exerçant les pouvoirs qu’elle tient de l’article L1235-1 du Code du travail, a décidé que ces faits ne constituaient pas une cause réelle et sérieuse de licenciement » [7].
Toujours sur le fondement de l’article L1152-1, le Code du travail définissant le harcèlement moral comme des
« agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d’altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l’avenir professionnel des salariés ».
Il a été ainsi validé le licenciement pour faute grave d’un directeur de magasin de bricolage qui exerçait des pressions. Lequel tenait des propos insultants et dénigrants à l’égard de ses subordonnés et qui utilisait des méthodes de management humiliantes ayant mené à altérer la santé de certains [8].
D’une façon générale, la Haute assemblée impose aux juges du fond la qualification de faute grave caractérisée par des comportements attentatoires à la santé, la dignité de la personne :
- méthodes de management humiliantes caractérisant un harcèlement moral [9]
- violences, menaces à l’égard d’autres salariés [10]
- injures vis-à-vis d’un subordonné de santé fragile [11]
- propos humiliants et répétés à connotation raciste [12].
Management et obligation de protection de la santé mentale du salarié.
Process insidieux, le management inhumain, de par ses manifestations, se situe au niveau de la sécurité des relations de travail.
Il va sans dire que l’impact est indéfiniment multiple :
- démotivation, turnover
- absentéisme
- risques professionnels
- baisse de croissance
- altération de la marque employeur.
Or, à l’analyse, la brutalité peut être le signe du mal-être du manager, lui-même empêtré dans les dysfonctionnements organisationnels :
- injonctions contradictoires
- culture organisationnelle peu altruiste
- surcharge de travail
- prévention défaillante.
En guise de réaction et remède, des mesures d’évaluation et d’anticipation sont autant réalisables qu’accessibles :
- mettre en place, actualiser le DUERP [13], voir en ce sens : Charge de travail : obligation de sécurité et faute inexcusable de l’employeur
- sensibiliser et former manger et collaborateur au harcèlement, la qualité relationnelle
- respecter les principes généraux de prévention [14]
- planifier les actions de prévention [15].
Tel cap requiert de l’audace, doublée d’un courage de changement du manager et de l’organisation.
En définitive, atteinte à l’intégrité morale, la brutalité se combat par l’anticipation des écarts et préjudices qui marquent une vie. Et, sur le plan juridique, au travers la conformité aux prescriptions légales en matière de prévention et de la qualité de vie des conditions de travail. Vision éminemment éthique qui s’intègre, harmonieusement et durablement, dans le cadre des actions de la RSE.