L’article L600-7 du Code de l’urbanisme permet au bénéficiaire d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de demander au juge la condamnation de l’auteur du recours à lui allouer des dommages et intérêts, lorsque le recours est :
« mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice ».
Dans la pratique, les demandes indemnitaires du pétitionnaire présentées en application de cet article sont pour l’essentiel systématiquement rejetées.
En effet, désireux de ne pas affaiblir l’exercice du droit au recours, le juge administratif interprète restrictivement les dispositions de l’article L600-7, sans quoi la perspective de payer des dommages et intérêts pourrait décourager le justiciable de soumettre au juge la légalité d’une autorisation d’urbanisme (TA Bordeaux 27 juin 2024 n° 2306795 : « les dispositions de l’article L600-7 du Code de l’urbanisme doivent s’entendre restrictivement compte tenu de leur portée » ; voir dans le même sens : TA Paris, 22 janvier 2024 - N° 2200354).
Toujours est-il que parvenir à identifier quels sont précisément les agissements susceptibles de trahir un « comportement abusif » dans le cadre du recours contre un permis n’est pas chose aisée.
À cet égard, un jugement récent du tribunal administratif de Melun nous donne une illustration, non pas de ce qui est abusif, mais plutôt de ce qui ne l’est pas, aux termes d’une motivation suffisamment détaillée pour être signalée :
3. Aux termes de l’article L600-7 du Code de l’urbanisme : "Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire (...) est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel".
4. Mme D sollicite, sur le fondement des dispositions précitées et dans le dernier état de ses écritures, le versement par la requérante d’une somme de 63 394,56 euros au titre des préjudices financier et moral qu’elle estime avoir subi en raison du comportement abusif de Mme A. Elle fait valoir que la requête serait manifestement irrecevable, que les moyens soulevés seraient inopérants ou infondés, que Mme A a multiplié les recours dans le but de la pousser à renoncer à ses projets et que son désistement révèle le motif dilatoire de ce recours qu’elle savait voué au rejet.
5. Il ne résulte pas de l’instruction que le droit de Mme A, voisine immédiate du projet de construction en litige, à former un recours contre les permis de démolir et de construire délivrés à Mme D aurait été mis en œuvre dans des conditions qui traduiraient de sa part un comportement abusif, alors même qu’il s’inscrit dans un contexte de différend de voisinage. À cet égard, les circonstances que Mme A n’aurait pas donné suite à l’action en bornage amiable initiée par la pétitionnaire, qu’elle ait déjà introduit un recours contentieux contre le projet des précédents propriétaires de la parcelle en litige, que s’estimant victime de désordres suite aux travaux de démolition elle ait aussi initié une procédure devant le juge judiciaire, que sa requête en référé-suspension contre les décisions attaquées ait été rejetée en l’absence de doute sérieux quant à leur légalité, que le Conseil d’Etat n’ait pas admis le pourvoi enregistré contre cette ordonnance de référé, et que la requérante, à la suite de cette décision du Conseil d’Etat, se soit désistée de ses conclusions en cours d’instance ne sont pas suffisantes pour caractériser un comportement abusif de la requérante. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées par Mme D sur le fondement de l’article L600-7 du Code de l’urbanisme doivent être rejetées (Tribunal administratif de Melun 5 décembre 2024 - 2210731).
Ainsi donc, un contexte de conflit de voisinage caractérisé par l’existence de contentieux nombreux et anciens entre les parties ne suffit pas à considérer que le recours contre le permis constitue automatiquement un comportement abusif.
Cela étant, il faut souligner que dans l’affaire en cause, le requérant s’était finalement désisté de sa requête, de long mois après l’engagement du contentieux.
De tels agissements, qui n’ont donc pas été qualifiés d’abusifs pas le juge, interrogent toute de même sur l’instrumentalisation que l’auteur du recours peut vouloir donner à son action contentieuse, cela dans un contexte de conflit de voisinage qu’il peut être tentant d’alimenter pour des motifs autres que le strict contrôle de la légalité du permis.