L’arrêt "Uber" de la Cour de Cassation est-il conforme à la nature numérique de cette activité ?

Par Dominique L.Summa, Avocat.

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Explorer : # requalification du contrat de travail # subordination juridique # Économie numérique # travailleur indépendant

Par Arrêt du 4 mars 2020, la Cour de Cassation (Chambre Sociale) a requalifié le contrat de partenariat d’un chauffeur VTC Uber en contrat de travail.

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Depuis l’émergence de l’économie numérique, l’activité en travailleur indépendant a été réglementée. Outre des garanties sociales et des obligations fiscales, l’activité de transport de personnes est présumé être une activité commerciale (I).

Mais la requalification en contrat de travail est expressément permise. La Cour de Cassation vient de rejeter le pourvoi contre un Arrêt de la Cour d’Appel de Paris en retenant les trois critères du contrat de travail dans le contrat Uber (II).

Cela étant, la comparaison des obligations d’un chauffeur de taxi (G7), artisan ou salarié avec les règles du contrat Uber montre que les obligations d’un chauffeur de taxi sont comparables dans leur fonctionnement (III).

L’Arrêt du 4 mars 2000 traduit en anglais et en espagnol s’analyse davantage en un courant social dans la ligne de la Cour de Cassation.

I - Le cadre légal du travailleur indépendant (Article L8221-6 du Code du Travail).

La responsabilité sociale et l’obligation d’information fiscale de la plateforme [Article L7342-1 du Code du Travail et Article 242 bis du Code Général des impôts.].

I-1 : L’Article L 8221-6 du Code du Travail créé par la Loi n°2015-991 du 7 août 2015 relative au travail dissimulé a édicté une présomption de non-existence d’un contrat de travail pour les activités exercées à titre indépendant.

Plusieurs activités sont visées dont celles du transport :
"Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l’Article L214-18 du Code de l’éducation ou de transport à la demande conformément à l’Article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs
".

Cette présomption pouvant être renversée par la preuve de l’existence d’un lien de subordination juridique constitutif d’un contrat de travail.

I-2 : La responsabilité sociale (Article L7342-1 du Code du Travail).

La Loi Travail n°2016-1088 du 8 août 2016 a créé une responsabilité sociale de la plateforme - concept sans personnalité morale - pour répondre aux demandes des travailleurs indépendants. Les garanties sont énumérées aux Articles L7342-2 à 6 du Code du Travail :
- Prise en charge de la cotisation de l’assurance accident du travail sauf si assurance collective ;
- Contribution à la formation professionnelle ;
- Protection d’un droit de grève ;
- Droit de constituer une organisation syndicale.

I-3 : L’obligation d’information fiscale de la plateforme (Article 242 bis du Code Général des impôts.)

Cet article oblige les plateformes à fournir un relevé annuel des recettes de l’utilisateur en janvier de chaque année aux administrations fiscales et sociales (URSSAF).

II- Malgré ces garanties, le législateur conserve une attitude méfiante à l’égard des activités économiques numériques qu’il considère favorisant une exploitation du travailleur, à la merci du donneur d’ordres, de ses prix et d’heures de travail excessives.

C’est pourquoi, la présomption de travail indépendant peut être renversée. C’est l’objet de l’Article L8221-6 II du Code du Travail :
"II.- L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanent à l’égard de celui-ci."

"Dans ce cas, la dissimulation d’emploi salarié est établie si le donneur d’ordre s’est soustrait intentionnellement par ce moyen à l’accomplissement des obligations incombant à l’employeur".

Dans son avis écrit, le Premier Avocat Général a rappelé que le législateur n’a jamais apporté de définition du contrat de travail, que c’est la Chambre sociale qui l’a défini comme celui par lequel une personne physique s’engage à travailler pour le compte d’une autre personne, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération.

Le premier Avocat Général a évoqué que ce lien de subordination ne saurait être déterminé par la faiblesse ou la dépendance économique du travailleur.

Et qu’il avait été défini depuis l’Arrêt Société Générale du 13 novembre 1996 comme étant l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

"La subordination s’induit donc de la trilogie direction, contrôle, sanction" (Page 10).

Le Premier Avocat Général a considéré que ces trois critères étaient bien constitués dans le contrat dit de partenariat.

Dans son analyse, le premier Avocat Général a remarquablement démontré la difficulté à ranger dans l’une des deux catégories : travail indépendant ou travail salarié ,compte tenu de la spécificité de la relation essentielle mais tierce dans la relation du travail de la plateforme numérique.

Rappelant que la société Uber, société américaine mais filiale BV pour l’Europe, avait contesté ressortir de l’activité de transport de personnes estimant n’être qu’un intermédiaire mettant en relation. Position qui ne fut pas retenue en considération que la société Uber organisait la relation de transport et proposait cette relation.

Les décisions judiciaires anglaises et espagnoles concernant la société Uber convergeant également vers une relation de dépendance en dépit des règles contractuelles, de la charte Uber, déclarées par le Juge anglais comme étant des documents complexes rédigés par des avocats pour échapper aux règles du contrat de travail.

La dichotomie indépendant ou salarié restant malgré tout le meilleur classement dans l’attente d’un statut légal spécifique à ces plateformes.

Le Premier avocat général a ainsi estimé que le contrat et la charte Uber étaient des contrats fictifs dissimulant une situation de subordination juridique du chauffeur à l’égard de la plateforme.

La circonstance que le chauffeur ait la liberté de se connecter quand bon lui semblait étant elle aussi une fiction pour le chauffeur obligé de se connecter longtemps et d’accepter les offres qui lui étaient proposées et qui devaient être acceptées dans l’instant sauf à être considéré par l’algorithme comme étant un compte dormant.

Les tarifs de la course, le trajet imposé par l’algorithme, caractérisaient un contrôle de l’exécution du travail.

Les refus de prendre les courses entraînant la suspension du compte constitutif d’une sanction. La circonstance de l’existence de plusieurs incidents avec la clientèle et le chauffeur ayant entraîné la résiliation du compte par la société Uber n’étant pas retenue comme une justification.

Il y avait bien une relation de subordination indépendamment de la liberté pour le chauffeur d’avoir plusieurs emplois concurrentiels et de sa liberté de se connecter ou non. Les trois critères étaient réunis : Direction, contrôle, Sanction.

La Cour de Cassation a repris cette analyse et a rejeté le pourvoi de la société Uber. Il est à signaler que la Cour a déclaré irrecevable l’intervention volontaire du syndicat Confédération Générale du travail - Force ouvrière qui ne justifiait pas d’un intérêt pour la conservation de ses droits.

III- Le Statut libéral du taxi G7 : Comparaison avec le chauffeur Uber.

Le statut de l’artisan taxi G7 est-il plus libre ? Tout d’abord, il faut avoir un casier judiciaire vierge, être titulaire du permis B, être titulaire d’un diplôme de secouriste, obtenir un certificat de capacité professionnelle de conducteur de taxi. La formation et l’examen sont payants.

La compagnie G7 assure la formation de ses chauffeurs.

Le métier s’exerce principalement en tant qu’artisan, 97% des taxis le sont. Immatriculés à la Préfecture, les taxis sont soumis à des règles administratives et des sanctions disciplinaires.

Les revenus sont variables selon la zone géographique, les activités. Mais les revenus sont en moyenne entre 1.500 à 3.000 euros net.

L’activité s’exerce avec la plateforme. Une application permet de se connecter rapidement. Le prix de la course peut être demandé au préalable mais les courses sont tarifées et le prix s’affiche au compteur.

Les chauffeurs propriétaires de licences sont peu nombreux, la plupart exerce en louant des voitures. Il y a des actions en requalification en CDI.

Il faut rappeler le problème des licences dont le nombre est gelé afin de permettre aux propriétaires de céder à des prix exorbitants leurs licences. D’où le manque de taxis à Paris et le succès des VTC en principe moins chers.

Conclusion.

Cet arrêt s’inscrit dans la ligne sociale de la Cour de Cassation qui voit des liens de subordination dans presque toutes les activités litigieuses qu’elle est amenée à juger. Cela étant, les commentaires de certains chauffeurs Uber sur RMC le lendemain de cette décision étaient loin de leur convenir.

La liberté des contrats plateformes, tant dans l’inscription que la gestion et l’arrêt est un avantage qui donne un complément de revenus aux allocataires sociaux lesquels constituent la majorité des chauffeurs. L’activité numérique a transformé la relation travail et n’ira pas en arrière : télétravail, e-learning, commerce, la numérisation de l’économie et de la vie sociétale ne peuvent plus être ignorées.

Dominique L.SUMMA
Avocat

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