L’arrêt de l’exécution provisoire : un exemple de l’arbitraire du juge.

Par Vincent Mosquet, Avocat.

4959 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # arbitraire judiciaire # exécution provisoire # recours pour excès de pouvoir # code de procédure civile

L’article 525-2 du Code de procédure civile a été créé par le décret n°2014-1338 du 6 novembre 2014 - art. 4. Il est ainsi rédigé : « Lorsqu’il est saisi en application des articles 524, 525 et 525-1, le premier président statue en référé, par une décision non susceptible de pourvoi. » Aucun débat n’a bien évidemment précédé l’adoption de cette disposition prise par le pouvoir réglementaire et l’on ne peut que se demander si le contentieux de l’arrêt de l’exécution provisoire était à ce point considérable qu’il devenait nécessaire d’interdire à la Cour de cassation d’unifier la doctrine des juges du fonds en ce domaine.

-

Ce texte a pour effet de conférer au Premier Président de la Cour d’appel, qui n’a pas toujours exercé de fonction devant une cour d’appel et qui généralement délègue ses pouvoirs à différents magistrats pas toujours aguerris aux procédures d’appel, un pouvoir arbitraire.

Tout recours n’est pas cependant totalement exclu (1) et l’on peut se demander si cette disposition s’applique aux décisions rendues sur le fondement de l’article R 661-1 du Code de commerce (2).

1) Le recours pour excès de pouvoir.

Faisant application de ce nouvel article 525-2 du code de procédure civile, la chambre commerciale de la cour de cassation a jugé dans un arrêt du 20 juin 2018 non publié au bulletin [1] que l’ordonnance de référé par laquelle le premier président, saisi en application du premier texte susvisé, rejette la demande d’arrêt de l’exécution provisoire n’est pas, en application du second, susceptible de pourvoi en cassation, sauf en cas d’excès de pouvoir.

Précédemment dans un arrêt du 28 septembre 2017 [2], la deuxième chambre civile de la cour de cassation avait simplement dit que lorsqu’il est saisi en application de l’article 524 du code de procédure civile, le premier président statue en référé par une décision non susceptible de pourvoi.

Les deux arrêts ont été rendu au visa des seuls articles 524 et 525-2 du code de procédure civile et l’on ne peut que se demander ce qui a amené la chambre commerciale à apporter une réserve en cas d’excès de pouvoir.

Cette réserve a-t-elle un sens ? Il aurait pu être considéré que le recours est toujours ouvert en cas d’excès de pouvoir. Cette réserve est d’ailleurs fréquemment mentionnée par la cour de cassation, mais généralement pour dire que le recours n’est pas ouvert dans l’hypothèse qui lui est soumise. Ainsi la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 7 juin 2018 [3] a jugé au visa des articles 1843-4 du code civil et 462 du code de procédure civile, que la décision par laquelle le président du tribunal de grande instance procède à la désignation d’un expert chargé de déterminer la valeur de droits sociaux est sans recours possible ; que cette disposition s’applique, par sa généralité, au pourvoi en cassation comme à toute autre voie de recours ; qu’il n’y est dérogé qu’en cas d’excès de pouvoir.

Dans un arrêt du 12 avril 2018, elle a jugé au visa des articles 380-1, 606, 607 et 608 du Code de procédure civile que, sauf excès de pouvoir, la décision de sursis à statuer, qui ne tranche pas le principal et ne met pas fin à l’instance, ne peut être frappée d’un pourvoi que pour violation de la règle de droit gouvernant le sursis à statuer. Or l’article 380-1 dit seulement que la décision de sursis rendue en dernier ressort peut être attaquée par la voie du pourvoi en cassation, mais seulement pour violation de la règle de droit.

Cependant la deuxième chambre civile dans une affaire relative au renvoi pour cause de suspicion légitime par un arrêt du 1er février 2018 [4] a jugé que la décision par laquelle le président d’une juridiction visée par une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime qui, après avoir estimé cette demande fondée, distribue l’affaire à une autre formation de la juridiction est une mesure d’administration judiciaire qui n’est pas susceptible de recours, fût-ce pour excès de pouvoir.

L’article 358 du code de procédure civile civile abrogé par le décret du 6 mai 2017 prévoyait que la décision n’est susceptible d’aucun recours ; elle s’impose aux parties et au juge de renvoi.

Lorsqu’une décision n’est susceptible d’aucun recours, il faut donc se demander si néanmoins au cas d’espèce un excès de pouvoir a pu être commis et si cet excès de pouvoir ouvre un recours.

S’agissant d’une création purement prétorienne, la notion d’excès de pouvoir dépend uniquement de l’appréciation de la cour de cassation tant pour la recevabilité du moyen que sur son bien fondé.

En matière d’arrêt de l’exécution provisoire, et si le recours pour excès de pouvoir est jugé recevable, et en l’absence de décision positive de la Cour de cassation, il n’est pas possible de prévoir les hypothèses dans lesquelles le recours sera admis.

La condition du recours étant l’existence d’un excès de pouvoir, il faudrait donc envisager une hypothèse dans laquelle le premier président ou son délégataire a arrêté l’exécution provisoire alors qu’il n’en avait pas le pouvoir. Il n’existe pas en effet de circonstances dans lesquelles le premier président est obligé d’arrêter l’exécution provisoire. Il n’excède donc jamais ses pouvoirs lorsqu’il rejette une demande. La décision de rejet ne sera donc jamais susceptible de recours et les premiers président peuvent donc être tentés, ce qu’ils font déjà majoritairement, de rejeter de manière quasi systématique les demandes
Le plus souvent la demande d’arrêt de l’exécutoire ne soumet au premier président que l’appréciation des conséquences manifestement excessives que pourraient avoir cette exécution provisoire. Elle n’entraine pas pour le magistrat la nécessité d’avoir une appréciation sur le bien-fondé de l’appel.

Sachant que compte tenu des délais de traitement des dossiers par la cour de cassation, la cour d’appel aura bien souvent statué au fond avant que la cour de cassation ne se soit prononcée sur le pourvoi formé contre la décision du premier président, l’opportunité d’ouvrir un recours reste contestable. Elle l’est d’autant plus lorsqu’il s’agirait d’ajouter à l’arbitraire du première président, sur l’appréciation des conséquences manifestement excessives, celle de la cour de cassation sur la recevabilité du recours.

2) Les particularités de l’article R 661-1 du Code de commerce.

L’appréciation de la qualité des moyens de fonds est nécessaire lorsqu’est demandé l’arrêt de l’exécution provisoire de certaines décisions rendues en matière de procédure collective. L’article R 661-1 du Code de commerce dispose :
- Que les jugements et ordonnances rendus en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire sont exécutoires de plein droit à titre provisoire …
- Mais que par dérogation aux dispositions de l’article 524 du code de procédure civile, le premier président de la cour d’appel, statuant en référé, ne peut arrêter l’exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article que lorsque les moyens à l’appui de l’appel paraissent sérieux.

La décision sur la demande d’arrêt de l’exécution provisoire rendue sur le fondement de ce texte est-elle soumis aux dispositions de l’article 525-2 du code de procédure civile ?
Dès lors que le premier président statue par dérogation aux dispositions de l’article 524 CPC, et que l’article 525-2 ne vise pas l’article R 661, il pourrait être jugé que la fermeture du pourvoi en cassation ne concerne pas les demandes d’arrêt de l’exécution provisoire rendue sur le fondement ce dernier texte.

Dans une ordonnance du 15 mars 2016, le Premier président de la cour d’appel de Limoges arrêtant l’exécution d’un jugement prononçant la résolution d’un plan et la liquidation judiciaire du débiteur a jugé que sa décision était rendue statuant en matière de référé publiquement par mise à disposition au greffe contradictoirement et par décision non susceptible de pourvoi conformément à l’article 525-2 du code de procédure civile. [5] Sachant qu’il ressort des motifs que le commissaire à l’exécution du plan et le liquidateur judiciaire ne s’étaient pas opposés à la demande et que c’est cette considération qui a amené le premier président à arrêter l’exécution provisoire, cette décision ne mériterait en rien les honneurs d’une publication sauf s’il l’on voulait publier l’idée que la décision n’est pas susceptible de recours.
Les responsables de cette publication peuvent vouloir ainsi dissuader de former des pourvois en ce domaine.

Toutefois à ce jour, la Cour de cassation n’a pas jugé elle-même que le pourvoi ne serait pas recevable.Et si elle vient à le juger, la question de l’excès de pouvoir pourra sans doute se poser. En effet, la mission confiée au premier président n’est pas de dire si les moyens soumis à la cour d’appel sont fondés, mais s’ils apparaissent sérieux.
Or le plus souvent, les magistrats saisis des demandes d’arrêt de l’exécution provisoire de ces jugements ne recherchent pas si les moyens sont sérieux mais s’ils sont fondés.
Or la nuance est importante : un moyen peut être sérieux et nécessitait la réflexion de trois magistrats.Il ne sera fondé que s’il est en définitive retenu.

C’est souvent au prix d’une longue motivation que le magistrat unique, dans le cadre de l’examen de la demande d’arrêt de l’exécution provisoire, décide seul que les moyens ne lui paraissent pas fondés alors même que l’importance de la réflexion et la qualité de la motivation montrent qu’ils étaient sérieux.
La réflexion qui consiste à constater l’existence moyen sérieux est nécessairement différente celle qui consiste à se prononcer au fond.
L’article R 661 invite d’ailleurs à rechercher si les moyens apparaissent sérieux et ce d’une manière abstraite. Il n’est pas demandé au premier président ou à son délégataire de dire si lui-même retiendrai ces moyens mais s’ils peuvent être retenus éventuellement pas d’autres que lui.

Il appartiendra à la Cour de dire si les moyens sont fondés et le magistrat qui rejette la demande d’arrêt de l’exécution provisoire au motif que les moyens de fond ne lui paraissent pas fondé préjuge de la décision de la Cour et excède ses pouvoirs.
Il serait opportun que la cour de cassation puisse le dire ! Mais, si elle décide que le pourvoi en cassation n’est pas ouvert ou que le magistrat qui donne son avis sur la qualité des moyens au lieu de se limiter à en constater le caractère sérieux ne commet pas d’excès de pouvoir, elle confirmera ainsi sa tendance à privilégier l’arbitraire du juge au lieu de l’orienter vers la rigueur nécessaire à la qualité des décisions.

Vincent Mosquet
LEXAVOUE NORMANDIE
www.lexavoue.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

41 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1N° de pourvoi 17-14006

[2N° de pourvoi 16-19743

[3N° de pourvoi 17-18722

[4N° de pourvoi : 17-14730, Publié au bulletin

[5Cette décision est publiée par Legifrance.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27842 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs