L’apport de la Convention européenne des droits de l’homme dans le droit des victimes.

Par Marc Lecacheux, Avocat.

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Explorer : # droits de l'homme # protection des victimes # obligations positives # uniformisation des législations

C’est une vérité d’évidence que d’affirmer que nous sommes dans une ère de défiance des peuples européens vis-à-vis de l’Union européenne et dont le « Brexit » ne serait que l’un des avatars les plus visible. Les institutions européennes seraient trop technocratiques et éloignées des aspirations des citoyens européens.
Néanmoins, ne perdons pas de vue que cette Union européenne que nous connaissons aujourd’hui, s’est d’abord et avant tout créée à partir de valeurs de paix et de justice promues par le Conseil de l’Europe crée le 5 mai 1949 après le second conflit mondial et en pleine guerre froide (rapport Kennan juillet 1947, Rapport JDANOV en URSS le 22 septembre 1947). Dès lors, l’Europe qui s’est créée après la seconde guerre mondiale était porteuse de valeur humaniste qui s’est concrétisée par la signature de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) et par la création d’une cour ad hoc destinée a sanctionné les violations de cette charte fondamentale par les États membres.

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C’est dans ce contexte de protection des droits de la personne humaine que l’étude du droit des victimes saisi par la Convention européenne des droits de l’homme est intéressant.

On constate dans l’abondante littérature juridique, médicale et sociologique, que la notion de victime est abordée uniquement sous l’angle du droit national. Comme si le droit européen n’avait aucune prise sur cette thématique contemporaine.
Cependant on peut s’interroger sur le fait qu’elle fait échapper la victime à cet ordre public européen qu’exprime l’arrêt Loizidou contre Turquie du 23 mars 1995.

Est-ce une volonté délibérée des pays membres de préserver leur pratique juridique souvent éloignée d’un pays à l’autre ? Ou bien est-ce simplement une attitude de retrait de la part des institutions européennes soucieuses de préserver l’autonomie des pays membres dans ce domaine ? Arc-boutée derrière le principe de subsidiarité ?

Pourtant, la finalité des règles européennes n’est-elle pas d’assurer une uniformisation des règles de droit au sein de l’Union pour assurer une égale protection des droits des citoyens ?

En effet, laisser subsister une telle variété de législations au sein de l’Union, risque d’entraîner « une protection des droits des victimes à géométrie variables » surtout depuis l’arrivée en 2004 de nouveaux membres dans l’Union européenne.
A titre d’exemple le traitement judiciaire des violences conjugales est totalement négligée en Hongrie et la Turquie ne semble pas avancée sur la question des crimes d’honneur.

Force est de constater que la victime en Europe n’est toujours pas traitée de manière égalitaire dans tous les pays : ce qui contrevient aux articles 6 (droits à un procès équitable, à une durée de la procédure raisonnable), à l’article 13 (droit aux juges) à l’article 2 (droit à la vie).
Ce qui constitue donc une atteinte à la dignité des victimes ainsi qu’une violation des droits fondamentaux (protection contre atteinte à l’intégrité physique ou morale…)

Nous allons tout d’abord analyser, le champ d’application de cette Convention de manière générale (§1) pour ensuite nous recentrer sur son application concrète aux victimes (§2).

1. Le champs d’application de la Convention

Le Conseil de l’Europe à mis en place dès les années 1950 un mécanisme original de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales directement inspirée par la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

Il est d’ailleurs frappant de constater que le préambule réaffirme cet attachement de l’Europe à la philosophie des droits de l’Homme :
« Résolus en tant que gouvernements d’Etats européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit, à prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains droits énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’Homme ».

Ainsi comme le précise un auteur, cette convention constitue :
« Le modèle le plus ancien et le plus accomplie de protection des droits fondamentaux » (G COHEN-Jonathan aspects Européens des droits Fondamentaux, Montchrestien).
En effet, elle ne se contente pas de proclamer des droits civils et politiques mais organise un système juridictionnel de protection et de contrôle du respect de ces droits.

Ces droits devant être protégés de manière concrète et effective, la CEDH rappelle sa volonté « de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » (CEDH 9 octobre 1979 AIREY C/ Irlande Série A n°32).

En cas de violation par un pays membres des droits d’un citoyen, celui pouvant après épuisement des voies de recours internes (article 35-1) demander le droit à satisfaction équitables si la violation de ses droits n’est pas justement réparée en droit interne (ART 41) ou le droit à réparation pour violation de ses droits (ART 5-5).
CEDH 7 mai 1984 Neumeier C Autriche.
CEDH 29 novembre 1988 BROGAN C RU.

L’exécution des décisions étant contrôlée par le Conseil de l’Europe.

La convention définie de manière large, les personnes protégées par la convention.
En effet, l’article 1 dispose :
« Les hautes parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente convention ».

Elle ne crée donc pas de discrimination entre les individus ni même entre les victimes qu’il s’agisse de nationaux ou de ressortissants étrangers, qu’ils aient ou non la nationalité d’un État contractant, ou encore aux apatrides.
Ainsi, aucune restriction n’est admise, quel que soit le statut des requérants en droit interne, incapable majeur ou détenus ont la possibilité de saisir directement la Cour.

Il s’agit donc d’un droit individuel d’actionner le juge européen des droits de l’homme, mécanisme original en droit international.

Quels sont les types de droits protégés ?

Tout d’abord, ce que la doctrine désigne par les droits intangibles ou primordiaux, sorte de « noyaux durs des droits » de l’homme auxquels les États ne peuvent porter atteinte :
- Le droit à la vie (article 2), droit de ne pas subir de torture ni de traitements inhumains et dégradants (article 3), de ne pas être mis en esclavage ou en situation de travail forcé et de bénéficier de la règle de la légalité des délits et des peines.

Ces droits sont ceux qui se rattachent au respect de la dignité de la personne humaine dans sa dimension objective et universelle, notion cardinale qui a d’ailleurs été rappeler dans la jurisprudence interne (CE commune de Mor sang sur orge du 27 octobre 1995 et CE 9 janvier 2014 Ministre de l’intérieur /Société de production la Plume et autres).

Tous ces droits s’inscrivent parfaitement dans la typologie actuelle des victimes, ils ne peuvent donc faire l’objet d’une protection amoindrie comme certains autres droits protégés par la convention qui peuvent faire l’objet de dérogations (droit à un procès équitable, droit de disposer d’un recours effectif) voire de limitations (respect de la vie privée et familiale, liberté d’expression, liberté de réunion ou d’association) l’ingérence de l’autorité publique n’étant justifiée que par le caractère « nécessaire dans un société démocratique ».

2. L’effet verticale et horizontale de la protection de la Convention européenne de Sauvegarde des droits de l’homme

La Convention institue un mécanisme de protection dit verticale, c’est-à-dire que la Cour ne statut que sur les violations des droits d’un individus par l’État ou les autorités étatiques.

Elle est donc incompétente pour assurer le respect de la protection des droits d’un individu en dehors du contexte étatique de violation des droits.

Néanmoins, la Cour incite les pays européens à la protection effective des droits par l’intermédiaire « d’obligation positives ».
La notion est donc utilisée pour rendre concrets des droits garantis par la Convention.

Dans le domaine de la protection de la vie privée et familiale, consacré par l’article 8, l’affaire Marck fait figure d’arrêt incontournable en imposant à l’état d’agir de manière à permettre le développement normal des relations entre parents et enfants.

C’est dans ce contexte que la cour a peu à peu élargit sa protection aux relations entre particuliers (effets horizontal).

En effet, dans son arrêt James, Young et Webster du 13 aout 1981 la Cour de Strasbourg a estimé que les obligations positives peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (Arrêt X et Y / Pays-Bas du 25 mars 1985).

Par ailleurs, la Cour affirme dans son arrêt du 21 juin 1988 « que ces obligations positives devaient s’appliquer jusque dans les relations interindividuelles ».

Il s’agit donc d’une étape fondamentale et d’un tournant historique dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme puisque le conseil de l’Europe impose à l’État l’obligation non seulement de s’abstenir de donner la mort mais aussi de prendre des mesures nécessaires à la protection des personnes relevant de sa juridiction (LCB C Royaume- Uni 9 juin 1998).

En effet, elle oblige les états contractants à modifier leurs législations nationales dans un sens plus protecteur des relations entre particuliers, l’état est dans l’obligation de protéger un particulier contre la violation de ses droits fondamentaux par un autre particulier.

Le manquement d’un état à des obligations positives de ce type pourrait le conduire à sa responsabilité internationale du fait d’un particulier.
Cet effet horizontal est d’ailleurs directement inspiré de la théorie du drittwirkung allemand.
En conséquence, les relations privées sont bel et bien placées sous le regard de la Cour européenne.

Ce concept d’application horizontal de la Convention a eu l’occasion de prospérer au fil des nombreuses jurisprudences de la Cour : CEDH OSMAN 28 octobre 1998 (élargissement de l’article 2 aux relations interindividuelles) - COMM 28 février 1983 Mme W / Royaume-Unis. - CEDH LCB c Uk 9 juin 1998 - CEDH SILIADIN 26 juillet 2005 - CEDH STORK du 16 JUIN 2005.

L’article 2 impose aux autorités publiques de prendre des mesures concrètes protégeant l’individu dont la vie est menacée :
« L’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui »

3. Une application concrète de la Convention aux victimes

D’emblée il est a observé que la Cour s’est penché récemment sur la question spécifique des erreurs médicales en lieu et place des traditionnelles victimes violences policières (CEDH 27 sept 1995 MAC CANN /RU série A n°324).

Ainsi, ces obligations positives s’appliquent aussi aux malades et aux victimes d’erreurs médicales (CEDH Calvelli et Ciglio C Italie 17 janvier 2002 32967/96) :
« Ces principes s’appliquent aussi dans le domaine de la santé publique. Les obligations positives énoncées ci-dessus impliquent donc la mise en place par l’État d’un cadre règlementaire imposant aux hôpitaux, qu’ils soient publics ou privés, l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades… » (Considérant n°49 décision)

Pour ce qui concerne les femmes victimes de violences conjugales et domestiques la Cour a adopté une nouvelle orientation axée non plus seulement sur les seules violations d’ articles 2 et 3 la Convention mais sur une interprétation audacieuse de l’article 14 à savoir l’interdiction de toute discrimination liée au genre (gender).

Cette évolution peut être a rapprochée de certaine législation européenne ayant mis en place des procédure ad hoc pour réprimer les violences conjugales, comme la loi organique n°14/1999 du 9 juin 1999 relative à la protection des victimes de mauvais traitements.
En effet, pour la Cour la violence de genre est considérée comme une forme de discrimination à l’égard des femmes (CEDH OPUZ/ Turquie n°33401/02), pour ce faire elle s’appuie non seulement sur sa propre jurisprudence (voir Arrêt Demir et baykara du 13 novembre 2008 AJDA n2009 872), sur le protocole n°12 égalité devant la loi mais aussi et surtout sur des normes internationales (Convention internationale de 1979 sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes).

Marc Lecacheux
Avocat au barreau de Paris
marclecacheux.avocat chez yahoo.fr

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