Village de la Justice : Qu’est-ce que vous dites/faites grâce à cette autre casquette ou cette méthode, que vous ne pourriez pas dire autrement à vos clients ?
Karine de Luca : « Lorsque j’enregistre un épisode de podcast, je suis dans ma liberté complète. Je n’ai pas un client en face de moi avec sa souffrance, donc il est possible que mon discours soit encore plus en intégrité et authenticité.
Dans ce podcast, c’est ma liberté et mes convictions qui s’expriment.
Par exemple, l’épisode sur la responsabilité est un sujet important qu’il est parfois difficile d’entendre de la part de son avocat. Ce podcast me donne la liberté de m’exprimer sans détour ni retenu.
Je peux aussi par ce biais pointer du doigt des comportements déviant des personnes en situation de séparation. Je m’adresse à tout le monde, et cela change tout.
- Karine De Luca
J’ai parfois un sentiment de mission avec cet outil, la mission de faire changer les choses, changer les regards sur la séparation. Ce qui est parfois plus difficile avec un client qui, au moment où il vient me voir, est enfermé dans sa souffrance. »
Xavier Fruton : « J’utilise des jeux avec mes clients, dans mes missions d’avocat, quand bien même ils ne le demandent pas spécifiquement, ou dans mes missions de médiation, en aparté exclusivement, et systématiquement en facilitation.
J’utilise notamment le jeu des besoins [3]. Il est décliné également sur les sensations (que j’utilise bien plus avec les 7- 10 ans) et les émotions que j’utilise plutôt avec les hommes ou les clients qui vivent des mélanges émotionnels intenses entre perte, changement et désillusion.
Sur chaque carte, il y a le besoin écrit et une illustration. Cela permet de rendre accessible à tous en passant par les 3 principaux canaux du "vakog" [4] : le kinesthésique (le touché avec la manipulation des cartes), l’auditif (avec la subvocalisation et la verbalisation qui s’en suit) et le visuel (grâce aux dessins évocateurs).
S’il peut y avoir une appréhension au départ, principalement pour les hommes et les personnes plus âgées, tous finissent par se prêter au jeu.
J’utilise des règles du jeu de manière très différente en fonction de ce qui est à travailler [5]
Si l’on reste sur les besoins, je peux demander dans un premier temps de faire deux piles, celle des besoins qui « parlent » soit parce qu’à atteindre soit actuellement mis en difficulté et les autres.
Ensuite, avec la pile des besoins qui parlent, je demande de les réunir en 3 à 5 grandes familles. Généralement, il va y avoir la pile personnelle/intime, la pile relation amicale/famille et celle de la sphère professionnelle. Je demande enfin pour chacune de ses grandes familles de sortir le besoin qui est pour le client à travailler en priorité, c’est-à-dire celui qui en étant satisfait aura le plus d’impact sur la vie de celui qui se prête au jeu. Avec les 3 ou 5 besoins prioritaires, on cherche ensemble les actions à mettre en place pour les satisfaire.
Généralement, je dessine au tableau blanc un schéma sur les positions et les besoins que je peux résumer dans cette phrase : « Un besoin peut être satisfait par une multitude de choix appelé position. Et parce qu’on recherche tous l’efficacité (ou qu’on est tous fainéants), nous allons privilégier une position qui satisfait le plus de besoins en même temps. »
V.J : Et à vous, qu’est-ce que cela vous apporte en tant qu’avocat, en quoi cela améliore votre exercice de la profession ?
Karine de Luca : « Cela a transformé mon métier pour plusieurs raisons :
Mon intégrité s’exprime maintenant beaucoup plus avec les clients tout au long de la procédure, et je peux dire que travailler en intégrité constamment cela permet un véritable épanouissement au travail.
Ils connaissent mon fonctionnement car souvent lorsqu’ils me choisissent pour les accompagner, ils ont écouté le podcast et ils ont compris mon approche.
Cela me permet d’accompagner des clients alignés avec mes valeurs, et ça c’est extraordinaire car je travaille dans le plaisir avec mes clients et non pas en confrontation. Il est important de travailler avec ce que j’appelle "nos clients idéaux", c’est là qu’on fait un travail extraordinaire et ce podcast m’apporte mes clients idéaux. C’est-à-dire des hommes et des femmes qui prennent leur responsabilité sur la séparation et qui souhaitent aussi profiter de ce divorce pour se transformer et aller vers un mieux-être.
Il y a un climat de confiance dès le début de notre travail, car ils me connaissent déjà finalement. C’est un vrai confort de travailler de la sorte.
Le podcast me permet aussi de renvoyer certains épisodes aux clients : quand je les vois bloquer sur un point, je leur adresse le lien de certains épisodes... et je gagne aussi du temps. »
- Xavier Fruton
Xavier Fruton : « Je pense tout d’abord que ce type de jeu brise la glace et des barrières. Il est difficile pour un enfant de parler à un parfait inconnu que l’on rencontre pour la première fois et qui va l’accompagner pour une audition le surlendemain devant le juge aux affaires familiales.... Il est tout autant difficile pour un adulte, patron d’une PME, de se reconnecter à ses émotions ou ses besoins quand ce qui prime est la survie de son entreprise, la rentabilité, l’efficacité ou encore l’image renvoyée aux autres et particulièrement ses employés... C’est tout aussi éprouvant de dénouer les multiples émotions dans le cadre d’une succession, entre celles qui relèvent de l’enfant, celles de l’adulte parfois blessé, celles héritées de son parent parfois en dissonance avec les siennes ou celles vécues par ses frères et sœurs...
Je pense qu’avec plusieurs rendez-vous, il serait possible d’arriver au même résultat. Mais le jeu va permettre une prise de conscience du client et une révélation plus rapide à l’avocat de ce qui se joue à l’intérieur du client et qu’il peut de prime abord cacher par pudeur, masque social, principe de cohérence…
Travailler autour d’un support dont le résultat final est choisi et sélectionné par le client permet également d’éviter de calquer ou dupliquer une solution d’un autre dossier, qui aurait pu éventuellement fonctionner également dans ce dossier, mais qui ne correspondrait pas à ce client et qui n’est pas à son image. Cela permet une meilleure coopération avec son client et d’arrêter ensemble une stratégie qui lui est propre au plus proche de ses attentes et besoins.
Enfin, cela m’apporte une meilleure assurance. Celle déjà de ne pas être passé à côté d’un élément essentiel. Combien de fois certains confrères découvrent d’autres éléments cachés, volontairement ou non, par leur client à la suite de leur assignation et les premières conclusions en défense.
Utiliser plus généralement la ludopédagogie et l’échange qui va avec permet également de découvrir la façon spécifique de chaque client de voir le monde. Cela me permet de proposer une stratégie qui tend vers une solution pérenne, loin de l’imaginaire, du fantasme ou des « il faut faire comme ça » qu’il a pu entendre de ses proches ou lire sur internet. Cela permet également d’amener au client la compréhension que certaines solutions ne sont pas judiciaires, et que même une décision que l’on pourrait qualifier objectivement de gagnée peut aboutir à une profonde insatisfaction, car le vrai problème n’a pas été identifié.
Je pourrais conclure que prendre ce temps lors du premier rendez-vous ou lors d’un deuxième rendez-vous spécifique permet d’en gagner énormément sur la suite tant pour le client que pour le professionnel qui accompagne son client. »