Casus
Le de cujus (Raymond Larenaudie, † 1841) laisse une succession dont le passif tient à l’aval qu’il a donné au créancier bénéficiaire (Toussaint de Gérard, pour de Folmont, et Pélissié †, représenté par Martina-Manuela de Castro, sa veuve, et ses enfants) pour un effet tiré contre son frère (Louis Larenaudie) ; l’actif successoral se compose d’un bien immeuble (le domaine d’Auzolles, à Lagrèze), adjugé à un tiers. Actif et passif se répartissent entre trois héritiers : Le premier, héritier réservataire (mère du défunt), dont nous pouvons faire abstraction ; le second, légataire universel ayant accepté (épouse du frère du défunt) et le troisième, légataire universel ayant accepté, qui est aussi le tiré (Louis Larenaudie, frère du défunt).
Chacun des héritiers prend sa part du prix d’adjudication du bien successoral (encore insuffisant pour que la dette du défunt soit entièrement honorée), et il doit supporter, sur ce prix, la part qu’il prend également de la dette du défunt (en avril et juin 1841 deux jugements du tribunal de commerce de Toulouse condamnent au paiement les deux légataires conjointement suivant leurs droits dans la succession).
La difficulté provient de ce que le second héritier, l’épouse du défunt, légataire universelle, est en outre créancière du troisième héritier, le frère du défunt, Louis, à cause de reprises. Dans le conflit qui en résulte, pour la répartition de la portion du prix échue à ce dernier, entre le créancier bénéficiaire, Toussaint de Gérard, et l’épouse, c’est celle-ci qui l’emporte.
La difficulté ne surgit qu’ensuite, lorsqu’il s’agit pour Toussaint de Gérard, créancier successoral avaliste, de saisir, en tant que créancier successoral de l’épouse, cette créance personnelle qu’elle a contre Louis (ou, si l’on veut, la portion de prix qu’elle perçoit et qui entre dans son actif personnel).
Procédure
En première instance, Toussaint de Gérard demande et obtient par un jugement du Tribunal civil de Cahors, le 28 avril 1848, que dame Larenaudie soit colloquée au dernier rang. Celle-ci fait appel, et la Cour d’appel d’Agen, dans un arrêt infirmatif du 7 déc. 1849, la colloque au premier rang. Enfin Toussaint de Gérard se pourvoit en cassation.
Question
Tout dépendait du point de savoir si Toussaint de Gérard, créancier successoral, avait des droits sur l’actif personnel de l’héritière, et l’on sait que contrairement à la Cour d’appel d’Agen, le tribunal de Cahors et la Cour de cassation décidèrent que oui.
Nous n’allons pas à aborder ici la position (qui figure au second titre des motifs, premier attendu de principe) que l’arrêt prend relativement à ceux, divers successeurs et légataires, qu’il inclut dans le domaine du titre successif et qu’il soumet au régime uniforme qu’il promeut. En revanche nous allons envisager la question de la portée de l’obligation personnelle, qu’il traite au second titre de ses motifs, deuxième attendu de principe.
Ce qui nous intéresse, c’est la formule que donne la Cour de cassation (nous soulignons) :
l’obligation personnelle (…) a (…) pour cause la confusion des biens du défunt avec les biens du successeur.
- Commentaire. Une querelle classique opposa, au XIXe s., Aubry et Rau à C. Demolombe. Demolombe aurait été le défenseur de l’idée familiale de continuation de la personne, et Aubry et Rau ceux du patrimoine ; et l’arrêt Toussaint de Gérard aurait consacré la seconde conception. Aubry et Rau, 4ème éd., Paris, 1867-1879 : « Personne ne pouvant avoir plus d’un patrimoine, il en résulte que dès l’instant du décès du défunt, les biens composant son hérédité se confondent dans le patrimoine de l’héritier. » Cette « confusion des patrimoines » est donc consacrée, au passage, dans l’arrêt Toussaint.
Puis elle explique : le titre successif…
a (…) pour résultat de réunir entre (les) mains (du successeur) et de confondre avec ses propres droits actifs ou passifs, les droits actifs ou passifs du défunt.
Commentaire. Cela est très juste et vrai. Avec chaque héritier, c’est une seule et même personne, au lieu de deux avant l’ouverture de la succession, qui supporte dettes successorales et dettes personnelles, il en résulte, sur l’actif de l’héritier globalement pris, un conflit entre créanciers successoraux et créanciers personnels. Sont en cause, respectivement, le droit du créancier personnel sur l’actif successoral (1) et celui du créancier successoral sur l’actif personnel (2).
1° Droit du créancier personnel sur l’actif successoral.
C’est ici qu’il faut donner la formule par laquelle l’idée de confusion se trouve précisée dans l’arrêt Toussaint :
les biens par (le successeur) recueillis deviennent, à l’instant même où il en obtient la saisine, le gage de ses propres créanciers.
Commentaire. C’est encore très juste et vrai. La relation que l’héritier noue avec les biens successoraux est exactement de même nature que celle que le défunt entretenait avec eux ou qu’il entretenait déjà avec ses biens personnels. Rappr. Inst. Just., 2.19.1 et 7 : « Pro herede enim gerere, est pro domino gerere : veteres enim heredes pro dominis appelabant » (Car faire acte d’héritier, c’est faire acte de maître : les anciens se servaient du mot heres pour signifier maîtres).
2° Droit du créancier successoral sur l’actif personnel.
La formule de l’arrêt Toussaint, ici, est discutable :
(les) propres biens (du successeur) deviennent le gage des créanciers de la succession.
Selon nous ce n’est pas juste, pour une formule qui se veut l’énoncé d’un principe du droit successoral, et nous ne voyons pas dans cet effet la cause de l’obligation personnelle du successeur.