La décision du juge des référés qui accorde au débiteur, preneur à bail commercial, des délais sur le fondement des articles L 145-41 du Code de commerce et 1244-1 et 1244-2 du Code civil, a-t-elle autorité de chose jugée au principal ?
A –/ Sur le réflexe de répondre « non » sur le fondement de l’article 488 du Code de procédure civile
La tentation de répondre "non" est un réflexe, puisque l’article 488 du Code de procédure civile dispose que l’ordonnance de référé n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée. Ce principe justifie déjà que lorsqu’aucun délai n’a été accordé par la juridiction des référés, il est possible d’en faire une nouvelle fois la demande devant la juridiction du fond. Il est ainsi fréquemment jugé que la décision de la juridiction des référés refusant d’accorder au preneur des délais n’a pas autorité de chose jugée au principal et ne constitue pas une fin de non recevoir d’une demande aux mêmes fins formée devant eux (CA Paris, 16e ch. A, 25 oct. 2006 : Jurisdata n° 2006-323318, cité in Jurisclasseur Fasc. 1284, "Bail commercial", 02 04 2007, § 48). Aussi, le preneur voit parfois son obstination récompensée (délais accordés in fine par la Cour d’appel, précédemment refusés par le juge des référés, par la Cour d’appel juridiction des référés, et même par le tribunal de grande instance : CA DOUAI, ch. 2, Section 2, 26 juin 2007, jurisdata n°2007-354473).
B -/ Sur la tentation de répondre oui sur le fondement de l’article 145-41 du Code de commerce
La jurisprudence est désormais bien établie : lorsqu’une ordonnance de référé passée en force de chose jugée a accordé au preneur des délais pour régler un arriéré de loyers en suspendant la réalisation de la clause résolutoire, la juridiction saisie au fond, qui constate que ces délais n’ont pas été respectés, ne peut en accorder de nouveaux sans violer l’article L. 145-41 du Code de commerce (Cass. com., 18 octobre 1960 Bull. civ. IV n° 325 ; Cass. civ. 3ème 14 octobre 1992, pourvoi n° 90-21.657, Bull. civ. III n° 271 ; Cass. civ. 3ème, 2 avril 2003, pourvoi n°01-16.834, Bull. civ. III n°77 ; AJDI 2003, p. 583, note J.-P. Blatter ; Administrer juin 2003, p. 29, obs. Boccara ; la décision vient encore d’être confirmée par un arrêt de la Cour de cassation en date du 15 octobre 2008, pourvoi n°07-16.725, inédit).
La décision du juge des référés se voit ainsi accorder un caractère définitif dont doit tenir compte le juge saisi au fond.
Cela signifie-t-il pour autant qu’une décision du juge des référés qui accorde des délais peut avoir autorité de chose jugée au principal, sur le fondement de l’article L 145-41 du Code civil ?
Le commentaire de cette décision dans le Rapport 2003 de la Cour de cassation est d’une particulière netteté :
« lorsqu’une ordonnance de référé passée en force de chose jugée a accordé au titulaire d’un bail à usage commercial des délais pour régler un arriéré de loyers et le loyer courant en suspendant la réalisation de la clause résolutoire, le juge du fond qui constate que ces délais n’ont pas été respectés, ne peut en accorder de nouveaux sans violer l’article L. 145-41 du Code de commerce. Il s’agit donc d’une exception aux dispositions générales de l’article 488 du nouveau Code de procédure civile qui, bien que strictement limitée aux dispositions prévues par l’article L 145-41 du Code de commerce, est de nature à renforcer l’efficacité des ordonnances du juge des référés » (www.courdecassation.fr/_rapport/rapport03/jurisprud/droit_immobilier/JP-III-roit_immobilier_baux.htm)
La Cour de cassation considère donc que les dispositions de l’article L 145-41 du Code de commerce constituent une exception à la règle de l’article 488 du Code de procédure civile c’est-à-dire au caractère « provisoire » de l’ordonnance rendue par le Juge des référés, c’est à dire aurait un caractère définitif ?
C/ Sur les conséquences de la solution proposée
Si l’on acquièsce à cette affirmation, il en résulte une première conséquence bien connue : le débiteur qui obtient la suspension de la clause résolutoire et des délais ne peut solliciter une nouvelle fois, devant les juges du fonds, de nouveaux délais s’il vient à ne pas respecter ses obligations dans les délais impartis par la juridiction des référés. Tel est le sens des décisions de la Cour de cassation précédemment citées.
A contrario, il devrait en résulter une seconde conséquence, plus méconnue mais plus démonstrative de l’autorité de chose jugée de la décision du juge des référés : le débiteur qui obtient la suspension de la clause résolutoire et respecte les délais qui lui sont accordés, ne doit pas pouvoir être inquiété par le créancier qui saisirait le juge du fond pour solliciter la remise en cause des délais accordés par le juge des référés et l’acquisition de la clause résolutoire, au motif que la décision du juge des référés n’a pas autorité de chose jugée au principal.
L’on peut interpréter en ce sens certaines décisions rendues par la Cour de cassation, mais cela n’est qu’implicite (Cass. 3ème civile, 9 janvier 1991, pourvoi n°90-10.127, Bull civ. III n°16, Dalloz 1992 p 133 note Santa-Croce, l’auteur faisant également référence à un précédent arrêt Cass. 3ème civile, 4 juillet 1978, pourvoi n°76-15003, Bull. civ. III, n° 275).
En revanche, l’on observera les rares décisions rendues par les juges du fonds sur la question.
Une première décision rendue par le Tribunal de grande instance de PARIS, 11 décembre 2008, 18è ch 2e section, RB n°08/1069, inédit), a rejeté la fin de non recevoir soulevée par le preneur à bail sur le fondement de l’autorité de la chose jugée de la décision du juge des référés lui accordant des délais, estimant que le juge du fonds n’était pas liée par l’appréciation faite par le juge des référés du bien fondé des délais accordés.
Une décision de la Cour d’appel de PARIS, 16e ch A n°06/20191 jurisdata n°2009-007079, vient en revanche clairement affirmer sur le fondement de l’article L 145-41 du Code de commerce, qu’à partir du moment où le juge des référés a accordé des délais en suspendant les effets de la clause résolutoire, le juge du fond, si ces délais ont été respectés, ne saurait constater l’acquisition de la clause résolutoire.
En conclusion sur ce point, il s’agit bien une question de recevabilité de la demande et la solution proposée par la Cour d’appel mérite d’être approuvée. Elle est conforme à la lettre de l’article L 145-41 du Code de commerce, qui institue une véritable exception à l’article 488 du Code de procédure civile, comme l’a rappelé le rapport de la Cour de cassation de 2003 précité.
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Charles-Henry SEIGNEUR
Avocat à la Cour
DESS juriste d’affaires – DEA de droit privé