La décision commentée ci-après est une ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 8 novembre 2016.
Dans cette affaire, M.X a assigné, par exploit d’huissier en date du 11 novembre 2015, la société V. Paris, la société Y. France et la société Z., société de droit allemand ayant son siège à Stuttgart devant le tribunal de grande instance de Nanterre, pour les voir condamner à procéder au remplacement de son véhicule, outre à lui payer diverses sommes au titre du prix du véhicule, de réparations et frais engagés, sur le fondement de la garantie des vices cachés.
La société Z, de droit allemand a estimé que l’action du demandeur relevait du Règlement Bruxelles 1 bis dit Règlement n°125/2012 du 12 décembre 2012. En application de ce Règlement, elle a soulevé une exception d’incompétence devant le juge de la mise en état. Elle soutenait, en outre, que l’action du demandeur relevait de la matière délictuelle et doit être exercée devant le tribunal du lieu de la fabrication du véhicule. Elle soutient enfin que le lieu de la matérialisation du dommage au sens de l’article 7-2 du Règlement Bruxelles 1 bis se situait en Allemagne.
L’exception d’incompétence a été rejetée par le juge de la mise en application de l’article 8.1 du Règlement Bruxelles 1 bis.
Cette solution doit être approuvée pour deux raisons :
La première découle de l’application de l’article 8-2 en cas de pluralité de défendeurs (I).
La seconde découle de l’option que l’article 7-2 du même Règlement offre au demandeur en matière délictuelle (II).
I. Pluralité de défendeurs et compétence du tribunal du domicile d’un défendeur
Le premier argument avancé par la demanderesse de l’action en irrecevabilité pour exception d’incompétence est fondé sur l’article 4 du Règlement Bruxelles 1 bis.
Le Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, prévoit, par son article 4, que par principe « les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ».
Toutefois, ce principe est parfois écarté. C’est le cas lorsqu’il existe une pluralité de défendeurs.
L’article 8 du Règlement dispose qu’ :« une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut aussi être attraite :
1) S’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un deux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ».
Il convient de souligner que ce texte pose deux conditions :
le tribunal saisi doit être celui du domicile d’un des défendeurs. C’est-à-dire que l’article 8 § 1 peut être invoqué dans le cadre d’une action intentée dans un État membre contre un défendeur domicilié dans cet État et un codéfendeur domicilié dans un autre État membre, même lorsque ladite action est considérée comme étant, dès son introduction, irrecevable en vertu d’une réglementation nationale envers le premier défendeur [1] ;
il doit exister un lien de connexité entre les demandes formulées contre les codéfendeurs.
La Cour de justice a décidé dans l’arrêt Kalfelis du 27 septembre 1988 que l’article 6.1 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 n’est applicable que s’il existe entre les demandes émanant d’un même demandeur mais formulées contre différents défendeurs, « un lien de connexité, tel qu’il y a intérêt à les juger ensemble afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément » [2].
Il suffit donc qu’un risque existe que les décisions séparées qui seraient rendues par des tribunaux différents soient inconciliables. Cette condition supplémentaire imposée par la jurisprudence de la Cour a été intégrée expressément dans le texte des règlements Bruxelles I et Bruxelles I bis, ainsi que dans la version révisée de 2007 de la convention de Lugano.
S’agissant de l’appréciation de l’existence d’un lien de connexité, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé qu’il incombe à la juridiction nationale d’apprécier, au regard de tous les éléments du dossier, l’existence d’un tel lien entre les différentes demandes portées devant elle, c’est-à-dire du risque de décisions inconciliables si ces demandes étaient jugées [3]
La Cour de cassation française a ainsi jugé que pour l’application de l’article 6§1, devenu article 8§1 du Règlement européen 1215/2012 du 12 décembre 2012, il doit exister entre les différentes demandes formées par un même demandeur à l’encontre de différents défendeurs un lien de connexité tel qu’il y a intérêt à les juger ensemble afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées [4]
Cette solution a été confirmée récemment par un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 18 avril 2016, dans une affaire de contrefaçon.
La procédure ayant, probablement, été engagée sous l’article 6.1 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, puisque la Cour vise l’article 6§1 pour justifier sa décision.
En effet, la Cour a censuré la décision des juges du fond au visa de l’article 6§1 du Règlement 44/2001 qui énonce qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite dans un autre État membre « s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément » [5].
En l’espèce, il y a trois défendeurs dont deux sociétés sont de droit français, (la société V. France et la société Y. PARIS) ayant leur siège social sur le territoire français.
La société Z., quant à elle, a son siège dans un État membre de l’Union européenne, l’Allemagne.
En outre, les demandes dirigées contre la société V France, la société Y. PARIS ainsi que la société Z. sont liées par un rapport étroit de sorte qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions inconciliables.
Monsieur X a agi sur le fondement de la garantie des vices cachés concernant son véhicule acquis le 12 mai 2007. Il a soutenu que la faute du constructeur est engagée et que la faute de ce dernier l’a induit en erreur sur l’état du véhicule.
Il a sollicité la condamnation solidaire des sociétés V, Y et Z.
Le juge de la mise en état a retenu la compétence du tribunal de grande instance de Nanterre en justifiant qu’il « existe un lien particulièrement étroit entre les demandes, qui nécessite qu’elles soient examinées ensemble devant la juridiction saisie, compétente à raison du domicile de deux des sociétés défenderesses, et qui apprécier le bien-fondé des demandes telles formées ».
Une telle approche peut être approuvée car elle permet à l’évidence de respecter pleinement l’objectif poursuivi par l’article 8.1 du Règlement Bruxelles 1 bis. Le fait que la même réglementation d’origine communautaire soit applicable à des litiges relevant de juges d’États membres différents n’écarte pas tout risque de décisions inconciliables, compte tenu des aléas judiciaires tenant, notamment, à la présentation des dossiers par les plaideurs et à la plus ou moins grande maîtrise du droit applicable par le juge dans un domaine spécialisé.
II. La compétence optionnelle fondée sur l’article 7.2 du Règlement
Le deuxième argument soulevé par la demanderesse est le lieu où dommage s’est produit. La société Z prétend que le tribunal compétent serait celui de l’Allemagne au motif que le dommage s’est produit à l’usine. De ce fait, elle donne une interprétation extensive en s’écartant de l’esprit du Règlement et de la jurisprudence de la CJUE.
L’article 7 du Règlement dispose que :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ».
Cette règle de compétence est fondée sur « l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès » [6] ; le juge de ce lieu « est normalement le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige, de facilité d’administration des preuves » [7].
L’article 7 § 2 du nouveau règlement UE no 1215/2012 du 12 décembre 2012, Bruxelles I bis donne désormais compétence non seulement au tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit, mais aussi à celui où il risque de se produire. Ceci permet ainsi de faire entrer dans le champ de l’article 5 § 3 les actions préventives qui peuvent avoir une grande utilité pratique.
Il en résulte que l’article 7.2 du Règlement dont se prévaut la société Z ouvre une option au demandeur qui peut donc saisir les juridictions françaises du lieu du dommage.
Cette compétence optionnelle qui découle de l’arrêt Mines de Potasse d’Alsace de 1976 entre lieu du fait générateur et lieu où le dommage est subi pourra également être utilisée en cas de « simple risque de réalisation d’un dommage ».
C’est ainsi que la CJCE a jugé que « l’expression “lieu où le fait dommageable s’est produit” doit être entendue en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal. Il en résulte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal soit du lieu où le dommage est survenu, soit du lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage » [8]
Il en résulte que le demandeur a donc une option entre les juridictions de ces deux lieux, ou bien encore avec le tribunal du domicile du défendeur [9].
Le juge du lieu où le fait dommageable s’est produit est en effet le plus apte à statuer, notamment pour des motifs de proximité du litige et de facilité d’administration des preuves [10].
Enfin, il convient de relever que la compétence spéciale énoncée à l’article 5, point 3 de la Convention de Bruxelles, et désormais article 7, point 2 du Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit, ce qui justifie une attribution de compétence à cette dernière pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès.
En l’espèce, le lieu où le fait dommageable s’est produit est la France. En effet, c’est sur le territoire français que la dureté des amortisseurs a été ressentie ; que les problèmes de vibrations et de suspension ont été décelés.
En outre, c’est sur le territoire français qu’ont eu lieu les réparations ainsi que les diagnostics effectués sur la voiture de Monsieur X par les sociétés V. et Y.
Enfin, c’est sur le territoire français que les opérations d’expertise judiciaire ainsi que les contrôles techniques ont eu lieu.
L’ordonnance du juge de la mise en état doit donc être approuvée.
Discussions en cours :
Bonjour Monsieur,
Que se passe-t-il lorsqu’une action est intentée contre un groupe de défendeurs (personnes physiques) et que l’un d’entre eux est domicilié au Royaume-Uni ? Cela permet-il d’écarter complètement le Règlement 1 bis ?
Merci beaucoup pour votre réponse.
bonjour,
Dans l’arrêt Kalfelis rendu le 27 septembre 1988, la Cour de justice européenne s’est fondée sur l’article 6.1 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et non pas sur le Règlement de Bruxelles de 2000 puisqu’il n’a pas été encore adopté.
Bonsoir Madame, Monsieur,
Merci d’avoir attiré mon attention sur l’erreur de plume.
Vous avez parfaitement raison, la CJCE s’est fondée sur l’article 6&1 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 et non sur l’article 6&1 du règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 comme je l’ai écrit de manière erronée.