I - Le droit du salarié au repos et à la préservation de sa santé physique et morale est de valeur constitutionnelle
Aucun accord collectif ni aucun contrat de travail ne peut s’opposer à ce principe qui fixe une obligation impérieuse pour l’employeur dont il est redevable envers ses salariés. La Cour de cassation en fait son cheval de bataille et le CPH aussi.
II - Le forfait jours ne concerne que les salariés autonomes
L’un des axes de contrôle des forfaits jours par les juges va être d’évaluer, sur la base des faits et des documents produits, la qualification de « salarié autonome » avec un droit de requalification qui privera d’effet le forfait.
Un salarié ne peut être « autonome » si l’employeur lui assigne des horaires de travail ou des listes de tâches détaillées (CPH de Limoges).
Conseil RH : assurez-vous que seuls les salariés bénéficiant d’une réelle liberté dans l’organisation de leur travail et dans leurs horaires sont en forfait jours. Assurez-vous aussi que vos consignes de travail à ces salariés matérialisent effectivement leur autonomie et considérez ces consignes comme des éléments de preuve déterminants dans la construction de votre dossier employeur.
III - Le forfait jours s’inscrit dans un accord collectif au contenu exigeant
L’accord collectif applicable à l’entreprise (la convention collective ; l’accord d’entreprise à Limoges) doit prévoir la possibilité de conclure des forfaits jours. Il doit également prévoir les conditions précises et détaillées de contrôle par l’employeur des temps de repos et de la charge de travail des salariés en forfait jours.
Que dit le Conseiller à la Cour de cassation ? La Cour consacre le pouvoir des partenaires sociaux, négociateurs et signataires des accords collectifs, de mettre en place le système qui sera la Loi des parties au contrat de travail en forfait jours. « Soyez inventifs ! », dit-il. Comment et quand contrôler ? Voilà l’un des thèmes de négociation à privilégier dans les accords collectifs. L’autre thème fort étant la définition de la charge de travail acceptable dans le cadre d’un forfait jours.
Dans les faits de l’arrêt du 29 juin 2011, l’accord collectif de la métallurgie demandait aux entreprises de respecter une charge de travail « raisonnable ». Faute de plus de précision, c’est ce caractère « raisonnable » que les juges ont évalué…
Conseil RH : employeurs, relisez votre accord collectif et appliquez-le scrupuleusement à vos salariés.
IV - Le contrat de travail du salarié prévoit le forfait jours
Le salarié doit accepter le mode de travail en forfait jours. C’est bien au sein du contrat de travail que l’employeur a intérêt à rappeler en détail les consignes de son accord collectif de référence.
Conseil RH : employeurs, rappelez avec précision ce qu’impose votre accord de référence à l’entreprise et au salarié ! Rappelez que vous sanctionnerez si nécessaire ceux de vos salariés qui n’obéiront pas !
Si, par exemple, votre salarié ne respecte pas l’auto déclaration de ses horaires hebdomadaires, adressez-lui un avertissement lui rappelant qu’il omet d’exécuter ce que prévoit son contrat de travail, au lieu de tolérer ses incartades. Sur le terrain de l’inexécution contractuelle, l’entreprise aura la possibilité, si le comportement du salarié ne s’améliore pas, de considérer qu’il y a insubordination fautive appelant une sanction disciplinaire.
V - L’enjeu : former les managers à l’évaluation de la charge de travail des salariés en forfaits jours
Les managers de proximité seront les garants de la conformité des forfaits jours aux exigences posées par l’accord collectif et les organes de contrôle périodique de la charge de travail des salariés en forfaits jours.
D’où l’importance (1) de leur information sur leur rôle capital et sur les conséquences financières que pourrait avoir leur négligence, et (2) de leur formation à cette fonction et aux outils qu’ils utiliseront pour l’accomplir.
Conseil RH : pour l’entreprise, l’information et la formation des managers de proximité sont aussi un moyen de prouver qu’elle se donne les moyens d’exercice de son contrôle de la charge de travail des salariés en forfaits jours.
VI - Limoges ?
Le Conseil de Prud’hommes de Limoges a rendu le 6 septembre 2011 (n° 10/00548) la première décision connue prenant appui sur l’arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2011 pour juger une affaire où le salarié en forfait jours s’opposait à son employeur.
Le salarié, manager du rayon boucherie d’un hyper marché depuis huit ans, licencié pour faute grave, conteste l’existence de son forfait jours et réclame alors à son employeur 173.000 euros.
Le jugement analyse la relation de travail et commence par émettre un doute sur la qualification de « salarié autonome », au regard des éléments de faits démontrant les exigences posées par l’employeur (par exemple, le salarié ne peut quitter son poste les jours de permanence en magasin qu’après « accord du cadre de permanence »).
Le jugement recherche ensuite si, comme le prévoit l’accord collectif d’entreprise, l’employeur a contrôlé la charge de travail du salarié au cours des entretiens annuels : ce contrôle est inexistant dans leurs comptes rendus.
L’employeur ne fournit aucun relevé déclaratif hebdomadaire des jours travaillés et des jours de repos du salarié, alors que l’accord prévoyait que le salarié les remettait chaque semaine suivante à l’employeur.
L’accord prévoyait aussi que l’employeur remettait chaque mois au salarié avec son bulletin de paie un compte individuel récapitulant les jours travaillés et des jours de repos. L’employeur est incapable de fournir ces comptes mensuels.
Enfin, l’accord d’entreprise instaurait à la charge de l’entreprise la rédaction d’un bilan annuel concernant la réduction du temps de travail : elle ne peut produire ces bilans.
L’absence totale de preuve du respect par l’entreprise de ses obligations au titre de l’application de l’accord d’entreprise justifie la décision des juges de Limoges de se ranger derrière l’arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2011 et de déclarer que le forfait jours est invalide. Le salarié a donc droit au paiement des heures supplémentaires qu’il a accomplies sur les cinq dernières années.
Problème de preuve : le salarié ne peut produire de relevé hebdomadaire de ses heures pour permettre le calcul de ses heures supplémentaires. Le Conseil de Prud’hommes de Limoges s’écarte alors de la solution de paiement des heures supplémentaires dégagée par l’arrêt du 29 juin 2011. Il invoque l’article L. 3121-47 du Code du travail, comme le salarié dans sa demande, et alloue à ce dernier une somme « réparatrice et compensatrice forfaitaire » pour les seuls dépassements qui ont pu être constatés les jours de « permanence alimentaire » (horaires : de 4 h 55 à 20 h) et les remplacements d’autres managers dont l’employeur a reconnu qu’ils n’étaient pas rémunérés… soit quand même 30.000 euros .
Conseil RH : employeurs, si le décompte des heures travaillées s’avère impossible, le juge peut malgré tout condamner l’entreprise en utilisant l’article L. 3121-47 du Code du travail :
« Lorsqu’un salarié ayant conclu une convention de forfait en jours perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, il peut, nonobstant toute clause contraire, conventionnelle ou contractuelle, saisir le juge judiciaire afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué dans l’entreprise, et correspondant à sa qualification ».