Les timides « réserves » du Conseil constitutionnel en matière de contrôle d’identité dans sa décision du 24 janvier 2017.

Par Mostafa Amda.

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Explorer : # contrôle d'identité # discrimination # liberté de circulation # réserves d'interprétation

Par une décision du 24 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les textes de loi qui lui étaient soumis sous forme de deux QPC (Question prioritaire de constitutionnalité) au regard la légalité des contrôles d’identité.
Néanmoins, les Sages ont dû tempérer leur décision sur un sujet aussi délicat qu’est celui des « contrôles d’identité au faciès ».

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L’état du droit

Le contrôle d’identité peut être définie comme l’opération qui consiste à inviter une personne à justifier, sur-le-champ, de son identité soit en présentant un document officiel revêtu de sa photographie ou tout autre pièce probante, soit en faisant appel au témoignage d’un tiers digne de foi.
Les contrôles d’identité sont effectués par les officiers de police judiciaire (OPJ) et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire (APJ) et (APJ adjoints).
Les conditions des contrôles d’identité sont réglementées par les articles 78-1 et suivant du Code de procédure pénale. L’article 78-1 alinéa 2 fait obligation à toute personne se trouvant sur le territoire national de se soumettre à un contrôle d’identité.

Mais la question substantielle qui se pose en cette matière est celle de connaître les conditions dans lesquelles les contrôles d’identité peuvent être effectués. À cette interrogation, les articles 78-2 et suivants du Code de procédure pénale prévoient trois catégories de contrôle d’identité : les contrôles judiciaires, les contrôles de recherche d’infraction précise ainsi que les contrôles de police administrative.

S’agissant des contrôles à finalité judiciaire, ils ne peuvent intervenir que lorsqu’il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que l’intéressé a :
- soit commis ou tenté de commettre une infraction.
- soit qu’il se prépare à commettre un crime ou un délit.
- soit qu’il est susceptible de fournir des renseignements utiles à une enquête en cas de crime ou de délit.
- soit enfin qu’il fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

À défaut de respecter ces conditions, le contrôle est irrégulier et la nullité s’étendra sur toute la procédure puisque c’est le contrôle d’identité qui fonde celle-ci.

À titre d’exemple, le contrôle d’identité est régulier dans le cadre d’une enquête de flagrance lorsque : l’OPJ est confronté à un outrage ou à des violences (Cour d’appel de Paris, 9 Juillet 1985) ou lorsque l’OPJ aperçoit un individu qui déambule dans un état d’ivresse manifeste susceptible de provenir notamment de l’utilisation de produits stupéfiants. (Chambre criminelle de la Cour de cassation, 7 avril 1993)
En revanche, le contrôle d’identité est régulier dans le cadre d’une enquête liminaire lorsqu’il concerne l’auteur d’une contravention notamment à la circulation routière (Chambre criminelle de la Cour de cassation, 26 mai 2004)

Concernant les contrôles de recherche d’infraction, ceux-ci comprennent les opérations sur réquisition du procureur de la République (article 78-2 alinéa 6 du Code de procédure pénale) ainsi que la lutte contre le travail clandestin (article 78-2-1 du Code de procédure pénale)
S’agissant des premières, plus connues du grand public sous l’appellation d’« opérations coup de poing », elle autorise les officiers sus-mentionnés de contrôler dans les lieux et pour une période de temps déterminée sur réquisition écrite du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions.
En outre, dans le cadre de la lutte contre le travail clandestin, les contrôles son autorisés, à peine de nullité, sur réquisition écrite du procureur de la République pour une durée maximum de 6 mois, précisant par ailleurs l’infraction recherchée

Enfin, en ce qui concerne les contrôles de police administrative, il faut distinguer les missions de police administrative dite de police préventive, des missions de police judiciaire, dite répressive.

Le contrôle administratif intervient de façon préventive avant la Commission de toute infraction et il existe trois formes de contrôle de police administrative.
D’abord, dans la cadre des contrôles de police administrative de l’article 78-2 alinéa 7 du CPP, l’identité de la personne est contrôlée pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment la sécurité des personnes ou des biens. Ainsi, des policiers ne sont pas en droit de contrôler l’identité d’un individu du seul fait que celui-ci , a leur vue, marque un temps d’hésitation et accélère le pas (CA Paris 12ème chambre B 12 décembre 1991). A été également déclaré nul le contrôle d’identité effectué sur une personne au seul motif qu’elle parle une langue étrangère dans un lieu propice au vol (Cass crim 10 novembre 1992).

Ensuite, l’article 78-2 alinéa 8 du CPP évoque un autre type de contrôle de police administrative. Cet article du Code de procédure pénale prévoit que dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les états parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kms en deça, pouvant aller jusqu’au 1er péage autoroutier au delà de cette limite, l’identité de toute personne peut être contrôlée en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi.
La même disposition autorise les contrôles dans les zones accessibles au public, des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté. La loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme a complété cet article afin d’autoriser des contrôles d’identité systématiques à bord des trains effectuant des liaisons internationales sur la portion du trajet située entre la frontière et le 1er arrêt au delà des 20 kms de la frontière, voire au delà sur les lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale, désignés par arrêté ministériel et présentant des caractéristiques particulières de desserte.

Enfin et c’est là toute la difficulté de la matière, il existe le contrôle dit de police administrative des étrangers. L’article 8 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifié par la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée d’accueil et de séjours des étrangers en France exige que les personnes de nationalité étrangère soient en mesure de présenter les pièces ou documents sous couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France.
Si la réglementation spécifique relative aux étrangers est autonome par rapport au droit commun du contrôle d’identité, elle ne peut être mise en œuvre que si des « éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressée » font apparaître sa qualité d’étranger (Chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 avril 1985).
Ces éléments objectifs peuvent être la conduite d’un véhicule immatriculé à l’étranger ou le port d’un livre ou d’un écrit en langue étrangère.
En revanche, ni la tenue vestimentaire, ni l’apparence physique, ni le fait de s’exprimer dans une langue étrangère, ni à fortiori la couleur de peau ne justifient le contrôle.
A ce titre, l’épineux sujet des contrôles dit au faciès font très souvent l’actualité.

Des avancées juridiques timides en matière de lutte contre les contrôles au faciès

Dans sa décision très attendue du 24 janvier 2017, le Conseil constitutionnel a confirmé sa jurisprudence antérieure et semble n’avoir fait qu’appliquer la loi en matière des contrôles d’identité.
Néanmoins, le Conseil a accompagné sa déclaration de conformité de deux « réserves d’interprétations ». En effet, les gardiens de la loi fondamentale ont précisé que les dispositions prévues par la loi « ne sauraient, sans méconnaître la liberté d’aller et de venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions. Elles ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace. »

Depuis des décennies, d’innombrables accusations de contrôle d’identité au faciès, à savoir des contrôles visant des personnes qui semblent étrangères, en dehors de tout indice d’infraction, étaient portés par des associations à l’encontre des forces de l’ordre.
Il faut dire que le sujet est politiquement très sensible et bien souvent la question de la preuve fait défaut. Et pour cause, en cas d’absence d’infraction, aucune trace du contrôle d’identité n’existe. La preuve aurait pu être rapporté par un récépissé du contrôle, promesse électorale de François Hollande qui n’a cependant jamais vu le jour.
On peut dès lors qualifier les réserves proposées par le Conseil constitutionnel de timides, ne poussant pas le législateur a réformé la matière et notamment le régime de la preuve. Pour se convaincre d’une réforme nécessaire, il suffit de se référer à une récente enquête du Défenseur des droits qui est venue dénoncer que « les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes ont une probabilité vingt fois plus élevée d’être contrôlés que l’ensemble de la population ».

Mostafa Amda
Droit des affaires, droit international

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Discussion en cours :

  • par Zia OLOUMI, avocat , Le 1er février 2017 à 08:06

    Article de synthèse intéressant, mais comportant une erreur sur l’ordonnance de 1945 qui a été Abrogé par l’Ordonnance 2004-1248 2004-11-24 art. 4 1° JORF 25 novembre 2004 en vigueur le 1er mars 2005 portant mise en place du Code des étrangers.
    L’article 8 de l’ordonnance est donc devenu L611-1 et L611-1-1 du CESEDA.

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