Imprimante 3D : contrefaçon par reproduction ?

Par Charlotte Galichet, Avocat.

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Explorer : # contrefaçon # propriété intellectuelle # impression 3d # copie privée

L’imprimante 3D n’est plus une fiction et elle entrera sous peu dans nos foyers. Dès lors qu’il y a reproduction, et si cette reproduction concerne un objet protégé par la loi (droit d’auteur ou droit des dessins et modèles enregistrés), l’impression en 3D sera qualifiée de contrefaçon.
Article actualisé par son auteure en avril 2023.

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Techniquement, l’image d’un produit réalisé informatiquement, permettra d’« imprimer » un objet ou les différents composants d’un objet à assembler.

Cette image du produit est obtenue à partir d’un fichier appelé « fichier source » qui constitue la représentation numérique de l’objet.

Ce fichier source peut s’acquérir de différentes manières, soit par :

  • L’utilisation de logiciels de conception graphique ;
  • La numérisation d’un objet préexistant via un scanner 3D ;
  • Le téléchargement de fichiers mis à disposition sur une plateforme en ligne (telles que Youmagine, Cults, Thingiverse, MyMinifactory).

La cartouche d’encre est remplacée par du plastique, du plâtre, du tissu ou même du chocolat.

Cette technologie est déjà été utilisée pour imprimer des coques pour smartphones mais aussi dans les domaines médical et militaire et permettra demain à tous de fabriquer « à domicile » de multiples objets.

Fin 2022, la NASA a même financé, à hauteur de 57,2 millions de dollars, l’entreprise ICON, spécialisée dans la construction par impression 3D, pour que celle-ci développe des technologies de fabrication adaptées à l’environnement lunaire. La mission a en effet pour objectif de réaliser, directement depuis la lune, des infrastructures (aires d’atterrissage, routes, habitations) à partir de roches et poussières présentes sur la surface de la lune.

Se pose alors la question des droits de propriété intellectuelle. Dès lors qu’il y a reproduction, et si cette reproduction concerne une œuvre protégée par la loi (droit d’auteur, marque, ou droit des dessins et modèles enregistrés), l’objet imprimé en 3D sera qualifié de contrefaçon.

La problématique juridique n’est pas si différente de celle posée en son temps par le photocopieur.

Mais il convient de l’étudier, tout d’abord, sous l’angle de l’usage privé (I), pour ensuite la traiter du point de vue des intermédiaires professionnels de l’impression 3D (II).

I) S’agissant de l’utilisation de l’impression 3D par un particulier.

Dans quelle mesure l’exception de copie privée sera-t-elle applicable ? Selon l’article L122-5 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle, cette exception ne s’appliquera que si la personne est déjà propriétaire d’un original ou d’un fichier licitement acquis.

Toute personne pourra donc acheter une bague ou une robe, la transformer en fichier 3D et l’imprimer pour l’offrir à un parent. Naturellement, la fabrication en plusieurs exemplaires destinés à la revente sera qualifiée de contrefaçon.

Il y aura par ailleurs possiblement contrefaçon lorsque l’imprimante 3D servira à fabriquer un objet destiné à se greffer sur un objet protégé car, en effet, toute modification d’une œuvre originale est soumise à l’autorisation préalable de son auteur (droit au respect de l’œuvre, article L121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle).

En matière de droit des marques, il n’est pas certain que l’impression 3D d’un produit revêtu d’une marque ou d’un produit constituant une marque tridimensionnelle (comme par exemple la forme de la bouteille d’Orangina) soit qualifié de contrefaçon.

Aujourd’hui, la jurisprudence européenne mais aussi la jurisprudence de la Cour de cassation depuis mai 2011, exigent, pour entrer en voie de condamnation, que la marque fasse l’objet d’un « usage dans la vie des affaires ». Cela signifie a contrario que la copie de marque « à domicile » ou « à titre privé » ne permettra pas aux ayants-droits de combattre les impressions 3D, si elles n’ont pas vocation à être commercialisées.

Après la musique et la problématique du peer-to-peer, les objets industriels ont donc vocation à devenir de simples fichiers téléchargeables. Le contentieux de la contrefaçon risque également d’évoluer dans le cadre de la « quatrième révolution industrielle » que nous vivons actuellement.

C’est d’ailleurs plutôt les intermédiaires professionnels de l’impression 3D, à savoir notamment les plateformes d’échanges numériques de fichiers, que le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) surveille (Rapport sur L’impression 3D et le droit d’auteur, 2016).

II) S’agissant de l’utilisation de l’impression 3D par les professionnels.

Tout d’abord, la représentation d’une œuvre, à savoir la communication d’une œuvre par un procédé quelconque, sans l’autorisation de son auteur, constitue un acte de contrefaçon.

Un site de vente de fichiers sources représentant numériquement des œuvres protégées sans l’autorisation de leurs auteurs pourrait donc à ce titre être reconnu responsable de contrefaçon.

Les plateformes d’échanges numériques de fichiers sources pourraient l’être également si elles ont connaissance de l’illicéité de la reproduction.

Mais majoritairement, ces plateformes d’échanges peuvent être qualifiées « d’hébergeurs » au sens de la loi dite « LCEN » du 21 juin 2004 si elles sont alimentées par leurs utilisateurs, en ce qu’elles « assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services » et peuvent donc échapper en ce sens à toute responsabilité au titre de la contrefaçon.

Car aux termes de l’article 6-I-2° de la loi dite LCEN, ces hébergeurs

« ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où ils en ont eu cette connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».

Ainsi, seule la connaissance du caractère contrefaisant du fichier mis à disposition sur la plateforme peut permettre d’engager la responsabilité de celle-ci au titre de la contrefaçon.

Échappent également à toute responsabilité au titre de la contrefaçon, les fabricants, distributeurs et vendeurs d’imprimantes 3D (sauf à ce que leur intention de commettre ou d’inciter à commettre des actes de contrefaçon soit caractérisée), ceux-ci ne pouvant être tenus responsables de l’utilisation frauduleuse de l’imprimante 3D par l’utilisateur final de celle-ci.

En conclusion, si l’imprimante 3D révolutionne la façon de concevoir et de produire des objets, il est toutefois important de veiller au respect des droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés, afin de ne pas engager sa responsabilité au titre de la contrefaçon.

Pour les professionnels intermédiaires de l’impression 3D, il convient de prévoir une information des clients (à travers les CGV par exemple), d’une part, sur le respect de la propriété intellectuelle et, d’autre part, sur la responsabilité encourue en cas d’usage frauduleux des services.

Charlotte Galichet
Avocat au Barreau de Paris
c.galichet chez avocatspi.com
www.avocatspi.com

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  • par Christophe , Le 9 janvier 2019 à 18:34

    Bonjour,

    Si je comprends bien, un fabriquant d’accessoires pour smartphone doit donc préalablement demander l’autorisation à la marque concernée pour fabriquer par exemple une coque qui viendrait se greffer à son produit.

    " Il y aura par ailleurs contrefaçon lorsque l’imprimante 3D servira à fabriquer un objet destiné à se greffer sur un objet protégé"

    Ce principe est-il toujours valable si la marque de smartphone réalise elle-même des accessoires se greffant à ses produits, modifiant par là même l’objet protégé ?
    Je me demande si dans ce cas de figure refuser à d’autres le droit de commercialiser des accessoires pourrait-être une atteinte au droit de la concurrence et de la consommation.

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