1- Une évolution jurisprudentielle significative depuis 2002
Depuis 2002 et les arrêts dits « amiante », la Cour de cassation considérait que l’employeur était tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise et que sa responsabilité était engagée dès qu’un risque d’atteinte à la santé et à la sécurité était avéré (Cass. soc. 28.02.2002, n° 00-11.793).
En matière de harcèlement moral, la Haute Cour jugeait que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité de résultat dès qu’un salarié était victime de harcèlement moral, l’absence de faute de sa part ne pouvant l’exonérer de sa responsabilité vis-à-vis de ses salariés (Cass. soc. 21.06.2006, n° 05-43.914 ; Cass. soc. 10.05.2012, n° 11-11.152).
Dès lors, que l’employeur ait pris des mesures conservatrices et protectrices en vue de faire cesser les agissements de harcèlement moral dont un salarié avait été victime n’excluait pas la violation de l’obligation de sécurité de résultat (Cass. soc. 03.02.2010, n° 08-44.019).
Toutefois, fin 2015, la Cour de cassation a amorcé une évolution dans l’application faite à l’obligation de sécurité de résultat en matière de santé et de sécurité au travail.
Elle décidait en effet que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail » (Cass. soc. 25.11.2015, n° 14-24.444).
Restait à savoir si cette évolution affecterait le harcèlement moral en tant que manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat
L’arrêt rendu le 1er juin 2006 répond à cette interrogation.
2- Une possible exonération de la responsabilité de l’employeur…
Par son arrêt du 1er juin 2016, la Cour de cassation étend au harcèlement moral l’évolution jurisprudentielle dans l’obligation de sécurité de résultat amorcée fin 2015 et reconnaît désormais à l’employeur la possibilité, à certaines conditions, de s’exonérer de sa responsabilité lorsqu’un salarié est victime de harcèlement (Cass. soc., 01.06.2016, n° 14-19.702).
Au visa des articles L 1152-1, L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, la Cour de cassation énonce que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ».
La chambre sociale admet donc clairement que l’employeur puisse ne pas voir sa responsabilité engagée de façon systématique en cas de harcèlement moral dans l’entreprise.
Toutefois - que les entreprises ne se réjouissent pas trop vite -, les conditions imposées par la Cour de cassation, qui sont doubles, demeureront difficiles à réunir.
3- … à des conditions strictes toutefois
Si l’employeur peut désormais s’exonérer de sa responsabilité en matière de harcèlement moral, ce n’est pas à n’importe quelle condition.
En effet, pour la chambre sociale, il appartient à l’employeur de justifier :
non seulement qu’il a pris, en aval, toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement moral et qu’il l’a fait cesser effectivement ;
mais également qu’il a mis en place, en amont, une politique de prévention de qualité guidée par les articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail.
Et c’est sans doute cette dernière condition qui posera le plus de difficulté aux employeurs.
Dans l’espèce soumise à la Cour de cassation le 1er juin 2016, il a ainsi été considéré que l’employeur n’avait pas pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail alors même qu’il avait introduit dans son règlement intérieur une procédure d’alerte en matière de harcèlement moral qu’il avait mis en œuvre pour y mettre fin.
Il justifiait en outre avoir diligenté une enquête interne sur la réalité des faits dès qu’il avait eu connaissance du conflit personnel du salarié avec son supérieur hiérarchique et mis en œuvre une réunion de médiation avec le médecin du travail, le directeur des ressources humaines et trois membres du CHSCT au terme de laquelle une mission de médiation entre les deux salariés en cause, d’une durée de trois mois, avait été confiée au DHR.
Ces mesures n’ont pas été jugées suffisantes, l’employeur ne justifiant pas notamment avoir mis en œuvre des actions de formation et d’information propres à prévenir la survenance de harcèlement moral, conformément au 2° de l’article L 4121-1 du Code du travail.
La solution dégagée par la Cour de cassation, si elle concilie la nécessité d’une protection du harcèlement moral et les droits de la défense de l’employeur, s’avère très exigeante pour ce dernier s’agissant des actions de prévention dont il devra justifier.
Dans la pratique, elle devrait conduire les entreprises non pas seulement à agir a posteriori en prenant des mesures immédiates en cas de signalement d’un comportement de harcèlement moral, mais aussi à prévenir en développant les actions de formation et d’information du personnel, notamment d’encadrement, pour les sensibiliser à la problématique du harcèlement moral et à revoir plus globalement, dans une démarche concrète, son organisation de travail, les conditions de travail et les relations sociales dans l’entreprise.