Clauses de non-concurrence ; l'exigence d'une contrepartie financière : pas si sûr… Par Nicolas Sidier et Maximilien Matteoli, avocats

Clauses de non-concurrence ; l’exigence d’une contrepartie financière : pas si sûr...

Rédaction du village

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Les clauses de non-concurrence n’ont pas fini d’alimenter d’abondants contentieux… En témoigne un arrêt du 15 mars 2011 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui a invalidé une clause de non-concurrence, insérée dans un pacte d’actionnaires, au motif qu’elle n’était assortie d’aucune contrepartie financière.

La portée de cet arrêt et ses compétences ne doivent pas être minorées et soulèvent de nombreuses interrogations.

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Par plusieurs arrêts, la Chambre commerciale de la Cour de cassation était venue préciser qu’à l’instar des clauses de non-concurrence insérées dans un contrat de travail [1], les clauses de non-concurrence insérées dans un pacte d’actionnaires n’étaient valides que si elles étaient proportionnées aux intérêts légitimes de la société et limitées dans le temps et dans l’espace (Com, 24 novembre 2009, n°08-17650).

En revanche, il semblait admis que les clauses insérées dans les pactes d’actionnaires n’étaient pas soumises à l’exigence d’une contrepartie financière. C’est en ce sens que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait statué pour juger que «  la validité d’une clause de non-concurrence insérée dans un pacte d’actionnaires n’est pas subordonnée à l’existence d’une contrepartie financière  ».

Hors pour la première fois, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 15 mars 2011, a censuré cette position en jugeant, au visa du principe fondamental du libre exercice d’une activité professionnelle et de l’article 1131 du Code civil relatif à la cause de l’obligation, en affirmant que : « lorsqu’elle a pour effet d’entraver la liberté de se rétablir d’un salarié, actionnaire ou associé de la société qui l’emploie, la clause de non-concurrence signée par lui, n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour la société de verser à ce dernier une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives  ».

Des conditions plus strictes

En l’espèce, un salarié s’était vu attribuer 40 actions de la société qui l’employait depuis de nombreuses années en contrepartie d’une somme symbolique. Concomitamment, le salarié avait signé un pacte d’actionnaires comportant une clause de non-concurrence lui interdisant de participer ou de s’intéresser directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, à des activités de même nature que celles exploitées et développées par la société, étant précisé que cette interdiction s’appliquait pour une durée de trois années après l’expiration du pacte. Cette clause était stipulée sans contrepartie financière.

La Cour de Cassation a considéré que la cause de l’obligation qui en découlait pour l’intéressé était de limiter son droit de se réinstaller, ce qui l’amène à conclure qu’au regard de l’existence d’un contrat de travail, elle aurait dû être intégrée non pas dans le pacte d’actionnaires mais dans le contrat de travail lui-même et donc comporter une contrepartie financière.

Il faut, à cet égard, relever que la clause ne créait qu’une obligation pour le salarié, mais visiblement sans aucune réciprocité.

L’insertion de la clause de non-concurrence dans le pacte d’actionnaires et non dans le contrat de travail constituait ainsi un détournement de l’exigence d’une contrepartie financière aux obligations de non-concurrence imposées aux salariés.

Il faut comprendre que c’est cette qualité de salarié qui a conduit la Chambre commerciale à transposer la jurisprudence de la Chambre sociale et que la portée de la décision du 15 mars 2011 doit être limitée aux seules clauses de non-concurrence contenues dans des pactes d’actionnaires mais stipulées à l’encontre de salariés.

Le devenir des clauses de non-concurrence

La généralité du fondement retenu soulève de nombreuses questions quant à la portée de la décision.

Il est certain que la nullité s’applique aux conventions déjà conclues et que la validité de l’engagement ne pourra passer que pour un accord des parties. La jurisprudence sociale a déjà montré l’inutilité d’un « passage en force », c’est-à-dire d’une régularisation unilatérale.

La question se pose de savoir si cette décision est transposable aux mandataires sociaux non salariés de la société. Dans des biens des cas, ces derniers consacrent en effet à la société l’essentiel voire l’intégralité de leur activité professionnelle.

S’il leur est alors fait interdiction, en vertu d’une clause de non-concurrence, de participer ou d’exercer une activité similaire à celle de la société, il existe véritablement une atteinte potentielle au libre exercice d’une activité professionnelle, qui justifierait l’allocation d’une contrepartie.

Mais cela risque aussi de constituer une atteinte au principe de la révocabilité « ad nutum » qui, il est vrai, subit déjà de nombreuses attaques.

L’arrêt ne répond pas non plus à la question de la nature de la contrepartie financière et notamment, au point de savoir si celle-ci doit nécessairement donner lieu à un versement en numéraire et être postérieure à la rupture ou si l’on peut considérer que des aménagements sur le prix d’acquisition des titres ou encore le droit aux bénéfices ne pourraient constituer cette contrepartie.

A notre sens, cette jurisprudence amorce l’intégration progressive d’un principe de proportionnalité dont les praticiens devront tenir compte lors de la rédaction des clauses de non-concurrence dans les pactes d’actionnaires, mais il serait prématuré pour ne pas dire hasardeux de conclure que toutes les clauses de non-concurrence sont désormais soumises à l’exigence d’une contrepartie financière.

Rédaction du village

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Notes de l'article:

[1Dans une série d’arrêts rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation du 10 juillet 2002, la Haute juridiction avait décidé qu’une clause de non-concurrence, quoique limitée dans le temps et dans l’espace, était nulle dès lors qu’elle ne prévoyait pas de contrepartie financière au profit du salarié (Cass. soc. 10 juillet 2002, Bull.civ. V, n°239)

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