Revenons sur les faits.
Après de longues années d’attente, le directeur général de l’Afssaps prend une décision le 27 octobre 2010 définissant les règles de bonnes pratiques relatives à la préparation, à la conservation, au transport, à la distribution et à la cession des tissus, des cellules et des préparations de thérapie cellulaire. (JO du 16 novembre 2010 et BO du ministère de la santé du 15/12/2010, p. 91).
Cette décision définit de nouvelles règles de bonnes pratiques mais surtout abroge partiellement de vieux arrêtés et notamment l’arrêté du 16 décembre 1998 portant homologation des règles de bonnes pratiques relatives au prélèvement, au transport, à la transformation, y compris la conservation, des cellules souches hématopoïétiques issues du corps humain et des cellules mononucléées sanguines utilisées à des fins thérapeutiques.
Par voie de conséquence, il maintient quelques dispositions et notamment l’ensemble des dispositions relatives au « prélèvement de cellules souches hématopoïétiques issues du sang placentaire ».
Il est donc décidé de conserver de vieilles dispositions réglementaires alors qu’entre temps les dispositions législatives de références ont été profondément modifiées en 2004 lors de la révision des lois de bioéthique, soit !
Ce vieil arrêté prévoit un suivi de la mère et de l’enfant à la suite d’un don du sang placentaire : « En application de la réglementation en vigueur, la mère et l’enfant sont convoqués au moins six semaines après l’accouchement dans le cadre de la visite post-partum. Lors de cette visite, un prélèvement sanguin est pratiqué sur la mère en vue d’un examen sérologique ».
Voilà pour le rappel des faits !
Ceci ne vous aura pas échappé, nos lois de bioéthique vont être révisées dans très peu de temps. Si l’on se réfère au site de l’Assemblée nationale, les discussions sur le projet de texte doivent débuter le 8 février 2011.
Mais avant cela, afin d’éclairer nos députés, quelques personnalités ont été auditionnées par la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique.
Ainsi, madame Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice de l’Agence de la biomédecine a été auditionnée le 1er décembre 2010.
Extraits :
« M. le président Alain Claeys. Dans son rapport dressant le bilan d’application de la loi de 2004, l’Agence de biomédecine revendique une plus grande autonomie et la possibilité de disposer d’un pouvoir normatif. Pourquoi cette demande ?
Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. L’obligation dans laquelle nous sommes d’attendre la publication d’un texte aussi élevé dans la hiérarchie normative qu’un arrêté ministériel pour régler de simples questions de pratiques médicales, dans des domaines où celles-ci sont en constante évolution, nous fait tout simplement perdre du temps. Prenons l’exemple du don de sang placentaire. Beaucoup de mères sont volontaires dans les maternités pour donner ce sang, susceptible de sauver la vie de malades très gravement atteints. Pour assurer le caractère irréprochable du greffon, un arrêté ministériel de 1998 impose de confirmer, deux mois après l’accouchement, les tests sérologiques effectués sur le prélèvement lors de l’accouchement. Cela exige de faire revenir la donneuse et provoque de ce seul fait une perte de 20 % à 30 % des dons. Le recours à une technique nouvelle, le dépistage génomique viral qui donne un résultat instantané et permettrait de faire l’économie de cette deuxième convocation de la donneuse, exige que l’arrêté de 1998 soit modifié, procédure longue et compliquée. »
Analysons ces propos.
1. Régler de simples questions de pratiques médicales (…) nous fait tout simplement perdre du temps !
En l’espèce, il ne s’agit ni plus ni moins que de définir les règles de sécurité sanitaire portant sur le prélèvement et l’utilisation des éléments et produits du corps humain.
En d’autres termes, il convient, juste, de déterminer les analyses de biologies médicales devant être réalisées sur des échantillons de références et/ou les tissus et cellules destinés à être utilisés à des fins thérapeutiques afin de garantir leur sécurité. Trois fois rien !
A noter que ces règles ont été précisées au cours du mois de décembre 2010 par différents textes réglementaires et pas seulement des arrêtés ! Nous pouvons notamment citer le décret n°2010-1625 du 23 décembre 2010, l’arrêté du 23 décembre 2010 pris en application des articles R. 1211-14, R. 1211-15, R. 1211-16, R. 1211-21 et R ; 1211-22 du code de la santé publique, etc.
Il est important de comprendre que pour pouvoir se passer de cette confirmation, deux mois après l’accouchement, il convient de modifier le type d’analyses réalisées initialement sur l’échantillon de référence, à savoir l’échantillon de sang prélevé sur la mère au moment de l’accouchement.
Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter aux dispositions de la directive 2006/17/CE du 8 février 2006 et plus particulièrement à son annexe II.
Cette annexe prévoit que le prélèvement d’un nouvel échantillon sanguin de référence après le prélèvement des tissus et cellules n’est pas nécessaire si l’échantillon de référence prélevé initialement (sur la mère au moment de l’accouchement) a fait l’objet d’un examen selon la technique d’amplification de l’acide nucléique pour le VIH, le HBV et le HCV.
Il est donc impossible de se contenter de supprimer purement et simplement la réalisation de ce nouveau dépistage, deux mois après la naissance de l’enfant, si l’on n’a pas prévu d’encadrer cette exception en la conditionnant à la réalisation d’un examen biologique particulier.
Il ne s’agit donc pas de simplement modifier l’arrêté de 1998 afin de « faire l’économie de cette deuxième convocation de la donneuse » mais également de modifier les dispositions réglementaires fixant les conditions de réalisation des analyses de biologies médicales.
Est-ce de la compétence de l’Agence de la biomédecine de définir les règles de sécurité sanitaire portant sur le prélèvement et l’utilisation des éléments et produits du corps humain ?
Actuellement, la liste des maladies infectieuses et les conditions de réalisation des analyses sont fixées par un arrêté du ministre chargé de la santé (Art. R. 1211-16 du CSP).
C’est également par voie d’arrêté du Ministre chargé de la santé que sont fixés :
1° La nature et les conditions de réalisation des analyses de biologie médicale pour la recherche des marqueurs d’infection ;
2° Lorsque cela est techniquement possible, la nature et les conditions de réalisation des analyses de biologie médicale pour la recherche des marqueurs d’infectivité ;
3° La nature de l’analyse consistant à rechercher le génome du virus ;
4° Les modalités d’exploitation des résultats des analyses définies par le présent article. (Art. R. 1211- 17 du CSP)
En résumé, l’Agence de la biomédecine ne souhaite plus se contenter « de promouvoir la qualité et la sécurité sanitaire, (…), pour les activités relevant de sa compétence » mais également fixer ces règles de qualité et surtout de sécurité sanitaire en lieu et place de son autorité de tutelle.
2. Faut-il octroyer de nouveaux pouvoirs à l’ABM ?
L’article L. 1418-1 du CSP, prévoit que l’ABM doit participer à l’élaboration et, le cas échéant, à l’application de la réglementation et des règles de bonnes pratiques et doit également formuler des recommandations pour les activités relevant de sa compétence.
Elle est en outre chargée de délivrer des avis aux autorités administratives pour les activités relevant de sa compétence.
Sans disposer d’un pouvoir normatif propre, nous pouvons noter que l’ABM dispose d’ores et déjà d’un rôle certain dans le processus normatif.
A titre d’illustration, nous pouvons citer l’article L. 1245-6 du CSP :
« Les règles de bonnes pratiques qui s’appliquent au prélèvement, à la préparation, à la conservation, à la distribution, au transport et à l’utilisation des tissus, des cellules et des préparations de thérapie cellulaire ainsi que des produits du corps humain utilisés à des fins thérapeutiques sont définies par décision de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé après avis de l’Agence de la biomédecine. »
Il incombe donc à l’ABM, lorsqu’elle est interrogée par l’Afssaps sur un projet de règles de bonnes pratiques, d’attirer son attention sur les conséquences de ce texte vis-à-vis des pratiques médicales.
En l’espèce, l’ABM a dû alerter l’Afssaps sur le fait que le projet de règles de bonnes pratiques qu’elle envisageait de publier soulevait une difficulté en ce qu’il maintenait pour partie les dispositions de l’arrêté de 1998 et notamment celles imposant d’effectuer un nouveau prélèvement sanguin sur la jeune maman lors de la visite post-partum.
Malheureusement, l’ABM n’a pas été entendue et lorsque le directeur de l’Afssaps a pris sa décision le 27 octobre 2010 fixant ces règles de bonnes pratiques, il a omis de reprendre cette remarque judicieuse visant à supprimer ce prélèvement sanguin supplémentaire destiné à confirmer les examens sérologiques réalisés au moment de l’accouchement.
Malgré cet oubli du directeur général de l’Afssaps, faut-il pour autant attribuer un pouvoir normatif à l’ABM ?
3. La réponse apportée par l’autorité de tutelle (le ministère chargé de la santé)
Heureusement pour l’ABM, l’histoire se finit bien et l’autorité de tutelle est venue mettre un peu d’ordre entre les deux agences impliquées dans cette fâcheuse histoire !
En effet, il n’aura fallu que 3 semaines au ministre chargé de la santé pour répondre favorablement aux doléances de la directrice de l’ABM exprimées devant les députés composant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique.
Le 23 décembre 2010, le ministre de la santé prenait un arrêté (JO du 26 décembre 2010) modifiant l’arrêté du 16 décembre 1998.
Cet arrêté comprend 2 articles, ci-après reproduits :
"Art. 1er. − Le II du paragraphe 2 de l’annexe de l’arrêté du 16 décembre 1998 susvisé est ainsi modifié :
Au 2.5.2 relatif à la qualification clinique post-néonatale, la phrase : « Lors de cette visite, un prélèvement sanguin est pratiqué sur la mère en vue d’examens sérologiques » est supprimée.
Art. 2. − Le directeur général de la santé est chargé de l’exécution du présent arrêté, qui sera publié au Journal officiel de la République française."
Rappelez-vous les propos de la directrice de l’ABM : « un arrêté ministériel de 1998 impose de confirmer, deux mois après l’accouchement, les tests sérologiques effectués sur le prélèvement lors de l’accouchement. (…) faire l’économie de cette deuxième convocation de la donneuse, exige que l’arrêté de 1998 soit modifié, procédure longue et compliquée. »
Effectivement c’est compliqué. Mais comme nous l’avons rappelé préalablement, il convenait de mettre à jour l’ensemble des dispositions réglementaires permettant de garantir la sécurité sanitaire des tissus et cellules destinés à être utilisés à des fins thérapeutiques. Compte tenu du passif français en matière de sécurité sanitaire, il est normal que la modification de telles règles nécessite une certaine prudence.
Par contre, au niveau de la rapidité, nous restons sans voix !
Et dire que nous réclamons depuis plusieurs mois la publication d’un arrêté fixant le modèle de dossier justificatif permettant de solliciter l’autorisation d’activité pour les banques de tissus et cellules !
Je pense que l’on a rarement pu constater autant de célérité entre l’annonce d’un souhait de voir une disposition réglementaire modifiée et sa modification effective !
Notons que cet arrêté répond de façon précise aux vœux de la directrice de l’agence de la biomédecine.
S’agit-il d’une illustration du proverbe « ce que femme veut, Dieu le veut » ou une réponse de l’autorité de tutelle qui pourrait se résumer en ces termes « A quoi bon conférer un pouvoir normatif à l’ABM, il suffit de le demander gentiment et nous prenons les dispositions réglementaires sollicitées ! »
Les prochaines discussions qui entoureront la révision de la loi relative à la bioéthique, qui débutent le 8 février 2011, devraient nous éclairer...
Thomas Roche, avocat au Barreau de Lyon