Vol avancé par la compagnie : les passagers ont droit à une indemnisation.

Par Anaïs Escudié et Guilhem Della Malva, Juristes.

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Explorer : # indemnisation des passagers aériens # vols avancés # règlement européen # droits des passagers aériens

En matière de droit européen du passager aérien, les cas de retard et d’annulation ont été amplement traité par la jurisprudence découlant du règlement n°261/2004. Ce n’était pas encore le cas des vols avancés, c’est-à-dire des situations dans lesquelles les passagers découvraient à l’avance (ou non !) que leur vol devait en fait décoller plus tôt que prévu.
Le 21 décembre 2021, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a rendu plusieurs arrêts permettant enfin d’éclaircir le traitement de ces litiges pourtant communs.

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La compagnie est responsable de l’indemnisation des passagers si le vol est avancé.

A l’occasion de plusieurs affaires jointes (dont C‑188/20, C‑196/20), des passagers dont les vols avaient été avancés ont donné l’occasion à la CJUE d’affirmer des règles de droit pour un litige qui n’est initialement pratiquement pas évoqué par le règlement européen. Celui-ci traite principalement des retards et annulations, le législateur européen évacuant la question des vols avancés qui peuvent pourtant tout autant porter préjudices aux passagers.

Les juges se sont appuyés sur l’article 2 du règlement, lequel donne les définitions des termes du règlement.
Celui dispose qu’une annulation est « le fait qu’un vol qui était prévu initialement et sur lequel au moins une place était réservée n’a pas été effectué ».
Il est notable, d’après les juges, que cette définition ne requiert pas « l’adoption d’une décision explicite d’annuler celui-ci ».

Or, devant une telle opportunité d’interprétation, la CJUE relève que le législateur de l’Union Européenne a bien évoqué le cas des vols avancés, notant que ceux-ci provoquent effectivement des désagréments pour les passagers de même que les retards et les annulations. C’est effectivement le cas à la lecture de l’article 5, paragraphe 1, lequel prévoit une limite à l’heure de décollage d’un vol avancé dans l’hypothèse d’un réacheminement (ainsi, le nouveau vol proposé à la suite d’une annulation ne doit pas décoller plus d’une heure ou deux heures avant l’horaire initial de décollage, selon les cas).

Dès lors, et rappelant que « l’objectif principal poursuivi par le règlement no 261/2004 consiste, comme cela ressort notamment de son considérant 1, à assurer un niveau élevé de protection des passagers », les juges de la CJUE n’hésitent pas à affirmer la règle suivante :

« Un vol est considéré comme étant "annulé" lorsque le transporteur aérien effectif avance ce vol de plus d’une heure ».

En cas d’avancement de l’horaire de décollage d’un vol de plus d’une heure par rapport à l’horaire initialement prévu, les dispositions du règlement concernant les annulations de vol sont applicables.
Il s’agit notamment des articles 5 et, par renvoi, de l’article 8.
Ainsi :
- La CJUE en déduit que le vol initial a été annulé, et que l’information des passagers à propos de l’avancement de leur vol constitue un réacheminement proposé par la compagnie. Les passagers ont alors notamment le droit de refuser ce réacheminement et de réclamer un remboursement ;
- La CJUE rappelle également que le droit à l’indemnisation n’est pas automatique, et reste soumis aux règles de l’article 5, qui lie ce droit à la date d’information des passagers de l’avancement de leur vol.

Enfin, les juges ont prévu l’application des règles du règlement en matière de montant de l’indemnisation dans cette situation.

Ainsi, il est affirmé que :

« L’article 7, paragraphe 2 […] doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas applicable à une situation dans laquelle l’heure d’arrivée d’un vol avancé se situe dans les limites visées à cette disposition ».

En effet, cette disposition prévoit la possibilité pour le transporteur de diviser par deux le montant de l’indemnisation dans le cas ou un vol de réacheminement des passagers arrive à destination avec un retard limité par rapport à l’heure initialement prévue d’arrivée dans la réservation. Cette précision est bienvenue, afin d’éviter de réduire l’effet de la règle citée plus haut, qui permettrait sinon aux compagnies de réduire systématiquement l’indemnisation en cas d’avancement de vol.

Autres apports des arrêts du 21 décembre 2021.

Par ailleurs, les multiples arrêts rendus le 21 décembre 2021 ont été l’occasion pour la CJUE d’éclaircir d’autres points concernant l’interprétation du règlement n°261/2004.

En matière d’annulation, se pose nécessairement la question de l’information des passagers par la compagnie. Les compagnies aériennes sont visées par l’obligation d’information des passagers de l’annulation de leur vol, conformément à l’article 5 du règlement. Or, cette question peut devenir plus compliquée lorsque les passagers ont réservé un vol par un intermédiaire, sans jamais avoir échangé avec la compagnie aérienne qui doit effectuer ce vol.

Les juges européens affirment dans l’arrêt « Airhelp c. Laudamotion » (aff.C‑263/20) que :

« le passager aérien, qui a réservé un vol par l’entremise d’un intermédiaire, est considéré comme n’ayant pas été informé de l’annulation de ce vol lorsque, bien que le transporteur aérien effectif ait transmis l’information relative à cette annulation à cet intermédiaire […] au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, ledit intermédiaire n’a pas informé le passager de ladite annulation dans le délai visé [1] et que le même passager n’a pas expressément autorisé le même intermédiaire à réceptionner l’information transmise par ledit transporteur aérien effectif  ».

Ce dernier point nous apparait crucial. Jusque-là, il pouvait être interprété de la jurisprudence « Krijgsman contre SLM » (aff. C‑302/16) du 11 mai 2017 que le simple fait pour un transporteur d’avoir informé l’intermédiaire de l’annulation du vol dans les délais de l’article 5 ne l’exemptait pas de son obligation d’indemniser le passager s’il ne parvenait pas à démontrer que ce dernier avait bien été informé (par l’intermédiaire notamment).
Or, ce nouvel arrêt apporte comme condition supplémentaire, afin d’être en droit d’obtenir une indemnisation, que le passager ait également, dans cette situation, expressément autorisé l’intermédiaire à réceptionner l’information transmise par le transporteur. Il nous semble donc que cette nouvelle jurisprudence apporte une restriction à l’arrêt « Krijgsman » précédemment cité.

Concernant la notion même d’annulation, la CJUE a précisé dans son arrêt « EP, GM c. Corendon Airlines » (aff. C‑395/20) que :

« un vol n’est pas considéré comme étant « annulé » […] lorsque le transporteur aérien effectif reporte l’heure de départ de celui-ci de moins de trois heures, sans apporter d’autre modification à ce vol  ».

La compagnie avait en l’espèce informé les passagers 9 jours avant le décollage d’un report de leur vol correspondant à un délai de 2 heures 50 sur l’horaire initialement réservé. Un nouveau retard le jour de la réalisation du vol a provoqué une arrivée avec un délai supérieur à 3 heures par rapport à l’horaire indiqué dans la réservation initiale. Les juges semblent vouloir inciter les parties à bien distinguer annulation et retard, conformément à l’esprit du règlement européen n°261/2004.

Toutefois, cet arrêt nous apparaît problématique en ce qu’il ne précise pas de quelle manière les passagers peuvent exiger une indemnisation, s’ils disposent d’ailleurs bien de ce droit.
En effet, à défaut de pouvoir invoquer une annulation de leur vol, ils devront alors exiger une indemnisation pour retard important de leur vol. Or, ceci pose nécessairement la question suivante : afin d’évaluer le retard de leur vol, les passagers doivent-ils prendre en compte la date initiale d’arrivée dans leur réservation, ou le nouvel horaire imposé par la compagnie à l’occasion de la modification de leur vol ?

Nous espérons que la CJUE apportera plus de précisions sur ce point à l’occasion d’une prochaine saisine.

Anaïs Escudié, Présidente de RetardVol et
Guilhem Della Malva, Juriste

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[1A l’article 5.

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