La détermination de la qualité d’associé se révèle plus complexe dès lors que des personnes différentes ont vocation à exercer des droits sur des mêmes parts sociales ou actions. On peut citer les applications les plus fréquentes que sont le régime de l’indivision ou celui des régimes matrimoniaux de titres détenus par un des époux.
Dans le cas d’un démembrement de propriété, la loi pose un principe général à l’article 1844 alinéa 3 du Code civil selon lequel :
« Si une part est grevée d’un usufruit, […] Le droit de vote appartient au nu propriétaire, sauf pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices, où il est réservé à l’usufruitier. Toutefois, pour les autres décisions, le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent convenir que le droit de vote sera exercé par l’usufruitier ».
Il n’existe pas d’autre exception que celle posée par l’alinéa 4 du même article en ce que les statuts peuvent prévoir que les décisions concernant l’affectation des bénéfices reviennent au nu-propriétaire.
Le droit spécial applicable aux sociétés anonymes prévoit quant à lui en son article L225-110 du Code de commerce que « Le droit de vote attaché à l’action appartient à l’usufruitier dans les assemblées générales ordinaires et au nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires », avec encore la possibilité d’y déroger statutairement (alinéa 4).
On notera simplement que le droit de vote de l’actionnaire usufruitier n’est pas lié à une prérogative financière, ce qui mérite d’être relevé puisque la réécriture de l’article 1844 du code civil dans sa nouvelle version en vigueur depuis le 21 juillet 2019 en donne également la possibilité.
Aux vues de ces textes, on peut se poser la question de savoir si l’on doit désormais reconnaître ou non la qualité d’associé à un associé usufruitier ?
La Cour de cassation y a récemment répondu par la négative (I) même si ses prérogatives sont accrues (II).
I) L’usufruitier n’a pas la qualité d’associé.
A l’occasion d’une demande d’avis sollicité le 23 Juin 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est penchée sur la notion d’associé usufruitier.
La chambre commerciale a affirmé que l’usufruitier n’a pas la qualité d’associé même s’il en a toutes les prérogatives [1]. Comme évoqué ci-après dans un arrêt de la 3ème chambre civile du 5 juin 1973, cet avis s’inscrit dans la continuité et la volonté des chambres de la Cour de cassation de s’aligner sur la qualification d’associé et notamment celle d’associé usufruitier. Les chambres civiles ayant déjà largement prit position.
A l’appui de son raisonnement, et à juste titre, la chambre commerciale a rappelé l’article 578 du Code civil selon lequel :
« L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance »
Cet avis est partagé par la doctrine puisqu’il ressort de la jurisprudence qu’une des caractéristiques principales nécessaire à la qualification d’un associé est sa qualité d’apporteur rémunéré par des titres sociaux.
Pour ne citer que lui, Alain Viandier [2] en avait déjà prévu les contours dès 1978 en ce qu’il expliquait que deux éléments étaient nécessaires pour qualifier un associé : l’apport qu’il fait et son intervention dans la vie de la société [3]. Il rajoutait également que « le nu-propriétaire ne cesse pas d’être apporteur du fait de la constitution de l’usufruit […] aussi garde-t-il (seul) la propriété des actions ou parts sociales… »
Ainsi, à défaut d’être apporteur, l’usufruitier ne peut valablement se voir reconnaitre la qualité d’associé reconnue seulement au nu-propriétaire [4].
II) L’instauration d’un « quasi associé ».
Dans tous les cas, l’usufruitier reste titulaire des prérogatives inhérentes à chaque associé afin d’exercer son droit de jouissance et d’ « en conserver la substance ».
Comme on l’a vu, depuis le 21 juillet 2019 ces prérogatives ne sont plus uniquement d’ordre financière. Le nu-propriétaire pouvant disposer du droit de vote concernant l’affectation des bénéfices.
Cette nouvelle rédaction de l’article 1844 du Code civil est à mon avis contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qu’elle interdit de priver l’associé usufruitier du droit de voter les décisions concernant les bénéfices. Toute clause statutaire contraire serait nulle au vu de l’article 1844 alinéa 3 du Code civil et contreviendrait à l’article 578 du même code qui attache à l’usufruit le droit d’user de la chose et d’en percevoir les fruits [5].
L’alinéa 4 de l’article 1844 du Code civil qui prévoit cette dérogation ne devrait donc pas trouver à s’appliquer. On peut se poser la question de savoir si les sociétés commerciales et notamment les sociétés anonymes en vertu de l’article L.225-110 du Code de commerce, le droit spécial primant sur le droit général, puissent y déroger. Il semble que oui.
A cela, l’avis rendu par la chambre commerciale du 1er décembre 2021 rappelle également qu’en vertu de l’article 39 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 : « un associé non-gérant peut provoquer toute délibération des associés sur une question déterminée ».
La Haute Juridiction a précisé la notion de « question déterminée » qui doit s’entendre comme toute délibération « susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance ».
Ainsi l’associé usufruitier, en plus d’avoir un droit de vote qui tend à s’agrandir, est désormais apte à pouvoir provoquer certaines délibérations. Il s’agit d’une précision importante en ce que jusqu’alors ce droit appartenait au nu-propriétaire peut importe l’objet de la délibération en cause. On pourrait presque prétendre à qualifier l’associé usufruitier de « quasi associé ».