L’auteur de la chronique reproche à la juridiction administrative d’avoir reconnu de manière détournée la qualité de réfugié à un demandeur d’asile sur une base climatique, étendant ainsi le droit d’asile au-delà de ce que prévoit la loi « au point de verser sans la moindre gêne dans l’activisme juridique, en se substituant aux politiques ».
Le même auteur poursuit en reprochant aux juges de s’être arrogé le pouvoir de redéfinir à la lumière de leurs convictions idéologiques les principes fondateurs de nos sociétés, de participer à la manipulation des esprits, de se faire les complices des « activistes immigrationnistes », en procédant à une instrumentalisation idéologique de la crise climatique pour détourner le droit d’asile de son objectif fixé par la loi et les conventions internationales, savoir la protection des réfugiés politiques.
Or, s’il y a bien instrumentalisation idéologique, elle est à rechercher non du côté des juges, mais du côté de Monsieur Bock-Côté, qui pour répandre un venin nauséabond, a d’abord abdiqué le minimum de rigueur que l’on est en droit d’attendre d’un universitaire : lire la décision avant de la critiquer. La présentation qui en est faite est fondamentalement mensongère.
La décision clouée au pilori ne se situe pas sur le terrain du droit d’asile. Le juge administratif de Bordeaux, comme celui de Toulouse, ne s’est nullement substitué à la loi pour se livrer à l’« activisme juridique ». Le juge n’a au contraire qu’appliqué la loi, et rempli ainsi son devoir.
Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prescrit aux Préfets de délivrer de plein droit une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » « à l’étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié » [1].
Cet article est à rattacher à la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne dont l’article 1er prescrit le respect et la protection de la dignité humaine, et dont l’article 7 précise que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ».
En l’occurrence, les juges ont retenu que l’intéressé souffrait d’une grave pathologie respiratoire nécessitant un traitement spécifique quotidien, que son père était d’ailleurs décédé de la même pathologie à l’âge de 54 ans, que la mortalité liée à cette maladie est 12,92 pour 100 000 habitants contre 0,82 en France, et que l’intéressé se trouverait confronté dans son pays d’origine à la fois à une aggravation de sa pathologie en raison de la pollution atmosphérique, à des risques d’interruption du traitement particulièrement lourd nécessité par son état.
Les juges retiennent qu’au Bangladesh « où les professionnels de santé déplorent un manque de matériel et des pénuries de médicaments », l’intéressé ne pouvait être regardé comme pouvant bénéficier effectivement d’un traitement approprié de sorte que la délivrance d’un titre lui était due de plein droit et que le refus de renouvellement de son titre de séjour par le Préfet méconnaissait les prescriptions de la loi précitées.
Contrairement à ce qu’affirme Monsieur Bock-Côté en conclusion de sa chronique, qui va jusqu’à qualifier la décision de coup d’Etat, les juges ont simplement mais entièrement appliqué la loi, sur la base d’un examen précis et circonstancié de la situation du demandeur et du fonctionnement du système de santé de son pays d’origine.
Notre droit est régulièrement critiqué, souvent à raison, pour énoncer des principes dépourvus d’effectivité.
Soyons fiers de voir qu’en l’occurrence, notre loi transcrit dans le concret le principe, érigé en principe constitutionnel, de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
Et rendons hommage aux juges pour l’application qu’ils en ont faite.