Dans un arrêt du 13 avril 2023 [1], la Chambre sociale a ainsi réaffirmé :
- Le caractère directement invocable à l’égard d’un employeur délégataire de l’exploitation d’un réseau de transport en commun intérieur de la directive 2003/88/CE ;
- Le droit d’un salarié de revendiquer l’application de l’article 7 de cette directive lui ouvrant droit à des congés payés d’au moins quatre semaines par an du fait de sa qualité de travailleur, peu important qu’il ait été absent à raison d’un arrêt de travail pour maladie.
En droit français, l’article L3141- 3 du Code du travail conditionne l’acquisition des congés payés à du travail effectif, ce qui, selon l’article L3141-5 du même code, exclut les périodes d’arrêt maladie d’origine non professionnelle, sauf disposition conventionnelle contraire.
Cette restriction est contraire au droit européen, plus particulièrement à l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.
Cet article entend en effet garantir un socle minimal de quatre semaines de congés payés à chaque travailleur de l’Union, considérant que tout salarié en arrêt de travail pour maladie acquiert des congés payés pendant son absence, sans opérer de distinction entre l’origine professionnelle ou non de la maladie.
Pourtant, près de 20 ans après son entrée en vigueur, ce texte n’a toujours pas été intégralement transposé en droit français, ce qui pose plusieurs problèmes :
- Il n’a pas d’effet horizontal à l’égard des particuliers. Les salariés d’une entreprise privée ne peuvent donc pas l’invoquer en tant que tel à l’encontre de leur employeur [2].
- Il a en revanche un effet vertical à l’égard des employeurs de droit public ou assimilés. Les salariés de ces employeurs peuvent donc s’en prévaloir directement à leur encontre devant les juridictions françaises [3].
Il y a en conséquence un déséquilibre sur ce point entre les salariés du public et ceux du privé.
Certes, les salariés des employeurs de droit privé peuvent toujours tenter d’invoquer la directive devant les juridictions françaises. Néanmoins, le juge étant supposé trancher le litige en appliquant le droit français, les articles L3141- 3 et suivants du Code du travail s’imposent à lui, sauf situation particulière.
Dans une affaire très commentée, la convention collective applicable comportait deux clauses relatives aux congés payés : l’une prévoyant que les absences pour longue maladie avec maintien de salaire sont assimilées à du temps de travail et l’autre que les absences pour maladie d’une durée supérieure à 12 mois n’ouvrent pas droit à congé. La Chambre sociale a pu faire prévaloir la première clause en rappelant que le juge doit interpréter le droit national à la lumière du droit européen [4].
En revanche, à défaut de particularité de ce type, le salarié auquel l’employeur de droit privé ne garantit pas l’acquisition de congés payés durant un arrêt de travail pour maladie simple ne dispose que de l’option suivante :
- Engager la responsabilité de l’Etat pour obtenir une indemnisation correspondant au montant des jours de congés payés perdus, dans la limite des quatre semaines par an garanties par la directive [5] ;
- Invoquer la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont l’article 31 prévoit que tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés, et dont la Cour de Justice de l’Union européenne reconnaît l’effet direct horizontal à l’égard des particuliers depuis 2018 [6].
Ces dernières années, la France s’est alignée sur le droit de l’Union en matière de congés payés par petites touches successives :
- La Cour de cassation a consacré le droit au report des congés payés lors de la reprise du travail du salarié absent pour maladie [7] et étendu la règle d’acquisition des droits à congés payés durant une absence consécutive à un accident de travail aux accidents de trajet [8] ;
- La loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives a imposé l’ouverture du droit à congés payés des salariés dès le premier jour de travail, là où il fallait 10 jours de travail effectif chez le même employeur auparavant [9] ;
- Le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelles les dispositions du Code du travail privant de congés payés les salariés licenciés pour faute lourde [10].
Mais sur l’acquisition de droits à congés payés durant une absence pour maladie simple, le législateur persiste à faire la sourde oreille, et ce malgré les suggestions de réforme répétées de la Cour de cassation dans ses rapports annuels [11].
Dans un contexte de désaffection pour le travail et de vives tensions sociales, un alignement du droit national sur le droit de l’Union européenne, sur un sujet particulièrement cher au cœur des salariés français, permettrait de garantir une égalité de traitement entre les travailleurs tout en restaurant la sécurité juridique des entreprises et en préservant l’Etat français d’actions en responsabilité et en manquement.
Discussions en cours :
Bonjour Maître, est ce que suite à la décision de la cour de cassation du 13 septembre 2023, les fonctionnaires (de la fonction publique hospitalière )sont aussi concernés et peuvent-ils aussi avoir droit à des congés payés sur les périodes liées à une maladie ?
D’avance merci pour votre réponse bonne journée à vous
Bonjour Maître,
Merci pour ce très intéressant article ! Vous pourrez dire comme Le Cid (puisqu’il s’agit de votre premier article) "Mes pareils à deux fois ne se font point connaître, / Et pour leur coup d’essai veulent des coups de maître".
Un point qui me paraît intéressant et que vous n’avez pas abordé alors qu’il est quand même connexe au sujet, c’est la question de l’articulation entre la maladie et les congés payés.
Si un salarié ayant prévu des congés payés tombe malade juste avant ceux-ci, de telle façon que son arrêt de travail déborde, les législations françaises et européennes concordent : le salarié peut obtenir le report de ses congés payés qu’il avait posés.
Mais si un salarié en congés payés tombe malade au cours de ceux-ci, les législations française et européenne divergent.
La législation européenne estime que le salarié a droit à reporter ses congés payés (CJUE, C-78/11, 21 juin 2012).
En revanche, les juridictions françaises continuent de refuser le report (Cour de cassation, Chambre sociale, du 8 novembre 1984, 82-42.372, Publié au bulletin), même après cet arrêt : Cour d’appel de Paris - Pôle 06 ch. 05 - 1 décembre 2016 - n° 15/10234 ; Cour d’appel d’Amiens - 5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE - 10 mai 2023 - n° 22/03191 (l’arrêt Cour d’appel de Versailles - ch. 06 - 17 décembre 2020 - n° 18/01042 aborde la question mais on ne peut rien en tirer puisque l’arrêt débutait le premier jour des congés).
Bien cordialement
Merci pour votre retour. Effectivement j’aurais pu l’ajouter. Peut-être l’occasion d’un nouvel article ? Bien cordialement
Je le lirais avec grand intérêt !
Bien cordialement
Chère Maître,
Merci pour votre article.
Cependant certains employeurs dont des Avocats refusent de régulariser cette question tant qu’il n’y a pas de publication.
Mais sauf erreur, la jurisprudence se veut loi. Elle n’est pas seulement normative ; elle reconnaît qu’elle l’est.
donc doit-il y avoir une publication ?
Merci par avance pour votre réponse.
Bien à vous.
Lilou