(Découvrir / Exposition) : « L’art dégénéré », le procès de l’art moderne sous le nazisme au Musée Picasso Paris.
Sous Hitler, la culture est utilisée comme un outil de domination politique, suivant une double logique : d’un côté, l’affirmation d’une culture nationale officielle et prétendument épurée, de l’autre, l’exclusion systématique des œuvres artistiques jugées incompatibles avec les critères raciaux et idéologiques imposés par le pouvoir. Cette opposition donna lieu à un clivage entre l’art promu par le régime et celui qualifié de « dégénéré ».
- Affiche 1937 Adolf Dressler, couverture de l’exposition « Entartete Kunst » © Mahj Christophe Fouin
Selon Goebbels, cet art dit « dégénéré » serait l’œuvre d’artistes issus de milieux prétendument inférieurs, en particulier les Juifs, assimilés aux bolcheviks dans la propagande nazie. Le régime présente ces œuvres comme déformées et corrompues, en opposition totale avec l’idéal de perfection physique et de pureté incarné par des artistes comme Arno Breker. Pour illustrer sa vision du déclin racial et culturel, le IIIe Reich prend le contrôle du monde artistique en confisquant 20 000 œuvres dans les musées allemands. Parmi celles-ci, environ 730 sont épargnées des destructions et soigneusement sélectionnées pour être exposées sous la direction de Goebbels, dans une mise en scène pitoyable destinée à appuyer la rhétorique du régime. La méthode des « expositions de la honte » est désormais appliquée à grande échelle, culminant avec l’exposition « Entartete Kunst » de 1937 à Munich, consacrée à cet « art dégénéré », qui est aujourd’hui considérée, à juste titre, comme une opération majeure de la propagande nazie. Six cents œuvres y furent présentées de manière infamante.
Pablo Picasso incarnait parfaitement la figure de « l’artiste dégénéré » aux yeux du régime nazi. Avec « Guernica », réalisé cette même année, il s’imposa également comme un emblème de la lutte contre le fascisme. Il était donc naturel que le Musée national Picasso-Paris s’empare de cette histoire marquante. Ce projet inédit, initié il y a trois ans par la directrice du musée, Cécile Debray, a pu voir le jour grâce aux recherches minutieuses menées par le commissaire d’exposition Johan Popelard, véritable explorateur des archives et Francois Dareau chargé de recherches au musée.
- George Grosz Metropolis 1916/1917, Museo Nacional Thyssen-Bornemisza © Estate of George Grosz, Princeton, N.J. / Adagp Paris
La visite débute par un mur du souvenir qui porte les noms de plus de 1 400 artistes persécutés par la politique culturelle du régime nazi, et par quatre fragments exposés de sculptures, abîmés par les bombardements de Berlin en 1944 et redécouverts en 2010 lors de travaux du métro de la ville. Ces vestiges incarnent avec force la destruction de l’art sous le poids du totalitarisme et de la guerre, rappelant combien la création fut brisée par la violence de l’Histoire.
L’exposition se poursuit par une exploration du contexte historique ayant conduit à l’ascension du nazisme et à sa politique de répression culturelle. Un volet central est consacré à l’exposition « Entartete Kunst », mettant en lumière des œuvres marquantes de Vincent Van Gogh, Paul Klee, Emil Nolde, George Grosz et bien sûr Picasso. Une autre section se penche sur la persécution spécifique des artistes juifs, parmi lesquels Jankel Adler, Marc Chagall et Otto Freundlich.
Les peintures, dessins et sculptures autrefois saisis retrouvent toute leur splendeur, devenant ainsi un puissant témoignage de résistance posthume. Cette exposition poignante nous rappelle que l’art, même lorsqu’il est censuré ou menacé, conserve intacte sa force de contestation et son pouvoir d’éveiller les consciences.
- Emy Roeder, Schwangere, 1918, Staatliche Museen zu Berlin – Photo Achim Kleuker © Museum im Kulturspeicher Würzburg
« L’art dégénéré », jusqu’au 25 mai 2025
Musée National Picasso, 5 rue de Thorigny, Paris 3 - Métro Saint-Paul ou Saint-Sébastien-Froissart
Informations : www.museepicassoparis.fr
Photo en logo : Vue d’une salle de l’exposition « L’art dégénéré » dont une tête en laiton de Rudolf Belling, © Musée National Picasso Paris, photo Voyez-Vous, Vinciane Lebrun