La pâtisserie "Sachertorte" : rêve pour le marketing, cauchemar pour la marque.

Par Tommaso Stella et Carlotta Olive, Étudiante.

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Explorer : # dégénérescence de marque # propriété intellectuelle # marketing # sachertorte

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La {Sachertorte}, un gâteau célèbre de Vienne, a une histoire marquée par des rivalités sur sa paternité. À partir de cet exemple, l'objet de cet article est de montrer la problématique d'un nom propre devenu générique, entraînant ainsi des défis juridiques pour sa protection. L’interaction entre marketing et propriété intellectuelle est cruciale pour préserver l’identité de la marque.
Description rédigée par l'IA du Village

Une journée maussade, un café éclairé et une tasse de thé bien chaude, voilà les meilleures conditions pour déguster l’un des desserts les plus appréciés et les plus répandus au monde : la Sachertorte [1] ; enfin, il y a ceux qui, comme Nanni Moretti dans Bianca (1984), n’y renonceraient pas, même une chaude journée de juillet.

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1. Origines et vicissitudes de la Sachertorte.

Bien qu’il existe de nombreuses versions de ce gâteau, la bucketlist des passionnés de pâtisserie doit inclure un billet pour Vienne, la ville où la recette de ce gâteau emblématique a été inventée.

Peu de gens connaissent les vicissitudes qui se sont succédées depuis 1832, lorsque le tout jeune Franz Sacher proposa pour la première fois sa Sachertorte au diplomate Klemens von Metternich, avec un énorme succès.

Des années plus tard, une lutte pour la paternité du gâteau autrichien –et en particulier de la marque « sachertorte originale »– s’engage entre deux entreprises, l’Hôtel Sacher (fondé par le fils de Franz, Eduard Sacher) et le café Demel (le café où Eduard a lui-même perfectionné la recette de son père). Finalement, dans les années 1960, les deux parties se sont mises d’accord pour créer deux traditions : l’ « original sachertorte » pour le premier, l’ « Eduard Sacher Torte » pour le second – chacun avec son propre savoir-faire.

Ce qui est certain, c’est que, malgré la valeur symbolique d’une tradition non seulement familiale, mais aussi nationale, lorsque nous lisons le nom Sacher, nous pensons tous au parfait glaçage au chocolat qui enveloppe la génoise et à la fine couche de confiture d’abricot qui la garnit.

Depuis longtemps disputée, la marque Sacher, qui génère par ailleurs un chiffre d’affaires colossal, est aujourd’hui apposée sur d’innombrables gâteaux et vitrines – des plus petites boulangeries de quartier aux plus grandes chaînes de supermarchés – et alimente depuis des années les blogs de cuisine.

Cependant, le prix à payer pour une telle notoriété en termes de protection juridique pour un simple gâteau a été élevé : en raison de la dégénérescence du terme, le mot Sacher n’est plus protégé en tant que marque pour les gâteaux.

2. La dégénérescence de la marque : aussi rare qu’il n’y paraît ?

La « dégénérescence » d’une marque est le phénomène de la perte du caractère distinctif, c’est-à-dire le cas où une marque enregistrée finit par être utilisée dans la vie des affaires comme une désignation générique du produit ou du service auquel elle se réfère.

Il convient de noter que la fonction principale d’une marque est de distinguer les produits et services comme provenant d’une source commerciale particulière.

Si le caractère distinctif est donc une condition préalable à l’enregistrement du signe, sa nature est loin d’être statique : en effet, une marque initialement « forte » ou « renommée », même lorsqu’elle devient synonyme d’« excellence », peut, comme en l’espèce, perdre son caractère distinctif au fil du temps, jusqu’à ce qu’elle épuise sa fonction.

Dans certains cas, le comportement du titulaire de la marque (c’est-à-dire son activité ou son inactivité) peut compromettre le temps et les ressources consacrés à la protection de la marque et entraîner ainsi sa déchéance.

La négligence consiste principalement en une absence de réaction ou une réaction insuffisante aux phénomènes de contrefaçon de sa propre marque, tandis que la conduite active concerne les cas où c’est le titulaire lui-même qui encourage l’usage dans une fonction descriptive, par exemple par le biais de campagnes de marketing intensives qui utilisent la marque pour identifier directement le produit.

D’une part, de nombreuses entreprises réagissent aux violations de leurs droits par des mises en demeure ou des actions en justice ; à titre d’exemple, on peut citer la lutte acharnée de Google contre l’inclusion du terme « googling » dans les dictionnaires, visant précisément à empêcher sa dégénérescence.

D’autre part, certains préfèrent se concentrer sur l’éducation des consommateurs quant à la présence d’une marque déposée sur des mots largement utilisés ; pensons à la campagne visant à promouvoir l’utilisation correcte de la marque « Kleenex », qui, dans les pays anglo-saxons, est devenue synonyme de mouchoir en papier, peu importe le fabricant.

L’expérience a cependant montré qu’une marque peut se transformer en nom générique, même pour des faits indépendants de la volonté de son titulaire.

La doctrine elle-même a constaté au fil des années que ce phénomène résultait souvent de la diffusion de produits extrêmement innovants pour lesquels il n’existait pas encore de terme d’identification approprié parmi les consommateurs – par exemple, Cellophane, Thermos, Velcro.

Parfois, la musicalité et la praticité peuvent aussi conduire un consommateur à désigner un produit par son nom de marque… Après tout, qui n’est pas coupable d’utiliser du Scotch (et non du simple ruban adhésif) ou du Scottex (et non du simple essuie-tout) ?

Ici, ces caractéristiques positives – popularité, innovation, musicalité, commodité – sont à la fois une fierté et un risque. Si nous pensons à la Sacher, nous les retrouvons toutes : une gourmandise extrêmement réussie, innovante lors de sa création, différente d’un simple gâteau au chocolat… Et, avec un son qui évoque l’élégance et le classicisme.

Autant son origine est teintée d’une intense défense de la marque, autant le nombre de concurrents qui utilisent le mot pour décrire ce type de gâteau, rend difficile une réponse rapide de la part du propriétaire, et soulève des doutes quant à son caractère distinctif.

En effet, si nous le commandons sur la carte de n’importe quel restaurant dans le monde, pouvons-nous vraiment, en tant que consommateurs, nous attendre à recevoir le gâteau préparé par l’hôtel le plus exclusif de Vienne ?

Nos doutes ne sont pas étrangers aux examinateurs de l’EUIPO qui, à plusieurs reprises et dernièrement en 2023, ont refusé l’enregistrement des marques « Sacher » et original « sachertorte » demandées par le célèbre hôtel au motif qu’elles étaient dénuées de caractère distinctif par rapport aux produits de pâtisserie [2].

Il a suffi à l’office de mener quelques recherches sur Internet pour considérer que ces signes seraient perçus par les consommateurs comme une simple description d’un type de gâteau ou d’un gâteau préparé selon l’une des diverses recettes qui se sont répandues au fil des ans et qui sont également décrites dans divers dictionnaires [3].

Si l’on regarde l’épilogue de l’histoire de la marque Sacher, on peut néanmoins saluer la passion qui, surtout au début, a conduit la famille viennoise à défendre son joyau et à préserver sa recette jusqu’à aujourd’hui, même à travers les instruments de la propriété intellectuelle, à une époque où ces actifs ne recevaient pas la même attention qu’aujourd’hui.

3. Conclusions : marketing et propriété intellectuelle : un duo gagnant.

Cette réflexion vise en définitive à attirer l’attention sur le dynamisme de la discipline des marques et sur son interaction avec la réalité économique sous-jacente.

Face à un mot devenu générique dans le commerce, en effet, un droit ancré, entre autres, sur la distinctivité, perdrait tout fondement – désavantageant ainsi le reste des concurrents et les privant ainsi d’une façon usuelle de désigner un certain type de produit.

Les péripéties du gâteau Sacher obligent à s’interroger sur la nature du monopole que la loi attache à la marque elle-même (avant qu’il ne soit trop tard !).

En effet, une marque se substituant au nom d’un article peut sembler à première vue une brillante opération de marketing, mais se révéler à long terme un cauchemar pour en assurer la protection.

Le marketing, qui consiste à satisfaire et à fidéliser ses clients, à comprendre son public, est certainement à la base du succès de toute entreprise et est essentiel, surtout pour les produits, tels que la Sachertorte, qui présentent un attrait particulier.

La propriété intellectuelle, et en l’occurrence la marque, permet ensuite de s’assurer que les mêmes consommateurs captés par la publicité connaissent l’origine de ce produit et sachent le distinguer des imitations.

L’union des deux disciplines permet de véhiculer des messages sur l’identité, l’histoire et les valeurs de son entreprise et de déterminer dans une certaine mesure son essor ou son déclin. Lorsque ces deux branches prennent donc des directions différentes, c’est l’arbre tout entier qui en pâtit.

C’est pourquoi, pour une marque « menacée » de dégénérescence, il est essentiel de disposer à la fois d’un support juridique adapté et d’une stratégie marketing appropriée, outils désormais indispensables à la pérennité de ces droits et à la capacité d’innovation de toute entreprise.

Carlotta Olive
Étudiante à l’Université Bocconi

Tommaso Stella
Avocat au Barreau de Paris
Associé chez Lien Avocats
https://www.lien.legal/fr/pageaccueil/

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Notes de l'article:

[1NDLR : La Sachertorte ou tarte Sacher est une pâtisserie d’origine viennoise.

[2Voir par exemple les notifications de refus provisoire partiel du 22/12/2017 et du 08/02/2023.

[3Sachertorte, n. : a rich chocolate cake of a kind originally made in Vienna (da Oxford English Dictionary).

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