3 questions à Karim Berbra, Avocat et auteur du rapport.
Village de la Justice : Quelles sont les origines du projet ? Comment avez-vous embarqué votre barreau dans le projet ?
« Je suis en avocat en droit du travail, et je traite en particulier des questions de santé et de sécurité au travail. Comme la notion de RPS est assez nébuleuse, j’ai décidé de m’y former par le biais d’un DU de conseiller en RPS, pour lequel je devais rédiger un mémoire.
- Karim Berbra
J’ai pensé que je pouvais y évoquer la population des travailleurs indépendants, notamment celles des avocats, projet validé par l’équipe enseignante. Pour "apporter de l’eau à mon moulin", j’ai donc sollicité le conseil de l’ordre de mon barreau, Rouen, pour diffuser un questionnaire auprès de mes confrères. Et j’ai été ravi de voir une participation de 45% (237 avocats/ 534), et une belle représentativité des profils (âge, collaboration, etc. »)
Pensez-vous qu’on puisse généraliser votre rapport à l’ensemble des avocats ?
« Non, si on veut être rigoureux scientifiquement : non. Car tous les barreaux n’ont pas la même structure, la même population etc. Il faudrait étudier la sociologie de chaque barreau, le profil des avocats (collaborations, salariés). »
Quelles suites à ce rapport ?
« La suite est en projet : ce serait une deuxième phase d’étude qui passerait par des entretiens collectifs pour étudier les éléments structurels, les causes organisationnelles au sein du cabinet... à suivre, donc ! »
Synthèse des résultats de l’enquête rédigée par Karim Berbra.
(Pages 16 à 19 du rapport)
Les résultats mettent clairement en lumière que les avocats du Barreau de Rouen sont exposés à plusieurs facteurs de risques psychosociaux.
Intensité et complexité du travail.
Les avocats indiquent très majoritairement, « toujours » ou « souvent », prendre du retard dans leur travail (63,56 %), ressentir une surcharge de travail (67,51 %), travailler dans l’urgence (69,62 %), travailler à une cadence élevée tout au long de la journée (73 %), être interrompu dans leur travail (77,22 %), être vigilant sur beaucoup de choses durant leur travail (96,20 %), et que leur travail exige qu’ils se souviennent de beaucoup de choses (97,47 %).
Dans ce cadre, les résultats ne mettent pas en lumière de différence significative entre les hommes et les femmes.
Les avocats âgés de 35 à 44 ans et, s’agissant des catégories professionnelles, les avocats associés apparaissent, de façon générale, comme étant les plus exposés, même si les autres tranches d’âge et catégories professionnelles ne sont pas non plus épargnées.
Horaires de travail difficiles.
Les avocats indiquent majoritairement, « toujours » ou « souvent », travailler plus de 10h par jour (54,01 %) et travailler plus de 45h par semaine (73,84 %).
Sur ces sujets :
les hommes apparaissent plus exposés que les femmes ;
les avocats âgés de plus de 55 ans sont plus exposés que les autres tranches d’âge ;
et les avocats associés apparaissent plus exposés que les autres catégories
professionnelles.
Les avocats sont également nombreux à indiquer qu’ils ressentent, « dans une grande mesure » une pression du fait de l’accès permanent à leurs mails et/ou dossiers via les outils informatiques (64,56 %), les avocats âgés de plus de 55 ans et les avocats associés apparaissant ici comme étant respectivement plus exposés que les autres tranches d’âge et les autres catégories professionnelles.
Par ailleurs, il est permis de considérer qu’une majorité d’avocats rencontre des difficultés à prendre des congés (52,32 % ont répondu « rarement » ou « parfois »), étant précisé que les hommes et, s’agissant des catégories professionnelles, les avocats exerçant à titre individuel sont ceux qui ont le plus répondu qu’ils avaient « rarement » la possibilité de prendre des congés.
Dans le prolongement, une majorité d’avocats peut également être considérés comme rencontrant des difficultés à pratiquer une activité physique et/ou de loisirs (55,08 % ont répondu « jamais », « rarement » ou « parfois »).
Enfin, seulement 24,47 % des avocats estiment que leur travail leur donne la possibilité de concilier, « dans une grande mesure » leur vie personnelle et leur vie professionnelle.
Exigences émotionnelles.
S’il est permis de se rassurer sur le fait qu’une majorité d’avocats n’a jamais été victime de violence physique, de la part d’une personne extérieure au cabinet (avocat extérieur au cabinet, client, justiciable adverse, autre professionnel du Droit), il ne peut y avoir non plus de réjouissance dès lors que, si faible soit la proportion, des avocats en ont malgré tout déjà été victimes.
De même, une grande majorité d’avocats indique n’avoir jamais été victime d’agissements sexistes, même si la part de ceux qui en ont été victimes n’est pas négligeable (entre 20 % et 30 % selon les auteurs).
A l’inverse, la proportion d’avocats victimes de violence verbale est plus importante, et ils sont même une majorité à avoir été victimes au moins une fois de telles violence de la part d’un client (51,05 %) ou du justiciable adverse (51,90 %).
Par ailleurs, les résultats permettent de mettre en lumière que, pour ces violences (physique ou verbale) et ces agissements sexistes, les femmes apparaissent sensiblement plus exposées que les hommes.
Autonomie au travail.
Les avocats considèrent majoritairement disposer d’une autonomie dans leur travail qu’il s’agisse d’une grande marge de manœuvre (68,33 %), de la prise d’initiative (87,29 %) et de la possibilité d’apprendre des choses nouvelles (74,68 %).
Les hommes peuvent apparaitre relativement plus concernés par cette autonomie que les femmes, tandis que les avocats âgés de plus de 55 ans apparaissent, eux, plus concernés comparativement aux autres catégories professionnelles.
À l’inverse, à peine plus d’un tiers des avocats (36,86 %) considèrent qu’ils peuvent, « dans une grande mesure », intervenir sur la quantité de travail. Sur ce point, ceux qui déclarent pouvoir le plus intervenir sur la quantité de travail sont :
les hommes comparativement aux femmes ;
les avocats âgés de plus de 55 ans comparativement aux autres tranches d’âge ;
les avocats exerçant en individuel comparativement aux autres catégories
professionnelles.
Enfin, 64,13 % des répondants traitent « toujours » (7,17 %) ou « souvent » (56,96 %) des dossiers techniquement/juridiquement complexes.
Ce point mériterait néanmoins un approfondissement dès lors que si le traitement de tels dossiers peut paraitre valorisant et permettre d’acquérir des compétences, cela peut néanmoins être source de souffrance si les moyens dont dispose l’avocat sont insuffisants (connaissances/compétences, accès à des bases de données/recherches, soutien éventuel d’un Confrère interne ou externe au cabinet).
À l’inverse, ne jamais traiter ou traiter rarement ce type de dossier peut également être source de souffrance si l’avocat a le sentiment d’être sous-exploité, par exemple au regard de son expérience et/ou de ses compétences.
Rapports sociaux au travail.
Les avocats considèrent majoritairement bénéficier « dans une grande mesure » :
de la reconnaissance de leur travail (au sein du cabinet (76,75 %), par les clients (71,31 %), par les autres professionnels du Droit (60,52 %)),
de l’équité dans et au travail (traitement équitable au travail (75,66 %), résolution des conflits (54,43 %), répartition interne du travail (58,64 %)),
d’une bonne coopération entre les personnes travaillant au sein du même cabinet (72,77 %),
de soutien social (de la part de personne travaillant au cabinet (71,64 %), de la part de leur proche (76,27 %).
Ce sentiment n’est plus majoritaire chez les avocats lorsqu’il s’agit d’évoquer le soutien et la coopération avec les avocats du Barreau (extérieurs au cabinet) et des avocats extérieurs au Barreau, ainsi que le soutien de l’Ordre des avocats (48,95 %).
Par ailleurs, une majorité d’avocats considèrent qu’ils ne peuvent bénéficier du soutien des institutions professionnelles autres que l’Ordre des avocats que « dans une faible mesure » (51,91 %).
De même, une très grande majorité d’avocats apparaissent réservés quant au sentiment d’équité dans les désignations faites par l’Ordre des avocats (76,87 %), les avocats collaborateurs libéraux apparaissant comme les plus réservés (88,23 %).
Enfin, s’agissant de la violence physique, verbale et des agissements sexistes par des membres internes au cabinet, les mêmes constats peuvent être faits pour les agissements dont les auteurs sont extérieurs au cabinet [2].
Conflits de valeurs.
Les avocats apparaissent peu exposés aux conflits de valeurs, tandis qu’ils considèrent dans une grande majorité que leur travail a du sens pour eux (75,33 %) et qu’ils ont le sentiment que ce qu’ils font est important (70,46 %).
Insécurité de l’emploi et du travail.
D’une façon générale, les avocats apparaissent peu inquiets à l’idée de perdre un client, de perdre leur poste actuel (64,04 %) ou même de quitter la profession d’avocat (64,10 %).
À l’inverse, ils sont nombreux à ressentir « toujours » ou « souvent une pression du fait de la facturation (70,47 %), de même qu’ils sont nombreux à être inquiets « tout le temps » ou « plusieurs fois dans l’année » à l’idée de ne pas pouvoir faire face à leurs charges financières (61,18 %).
La crainte de commettre une erreur dans leur travail est également prégnante chez une grande majorité d’avocats (65,38 %).
Domaine « santé ».
Il apparait qu’un nombre important d’avocats estiment être « tout le temps » ou « très souvent » stressé (76,37 %), les femmes apparaissant comme étant plus exposées que les hommes.
Il convient par ailleurs de relever que plus d’un quart des répondants considèrent avoir été « tout le temps » ou « très souvent » à bout de force (27,24 %), tandis qu’une même proportion d’avocats estime avoir été « tout le temps » ou « très souvent » émotionnellement épuisés (30,80 %), les hommes apparaissant, dans ce dernier cas, comme plus impactés que les femmes.
Domaine « vécu professionnel ».
Les aspects relatifs à la formation (initiale et continue) sont plutôt perçus défavorablement par les répondants, la formation initiale (CRFPA) étant plus sévèrement jugée que la formation continue.
Par ailleurs, un paradoxe mérite d’être relevé à savoir que, si seulement 21,10% recommanderait vraiment à un proche d’intégrer la profession d’avocat, 70,04% considère malgré tout cette profession comme importante pour eux.
Enfin, d’une façon générale, 83,55 % estiment être « très satisfait » et « satisfait » de leur travail dans leur ensemble, en prenant en compte tous les aspects.
Vous pourrez lire l’intégralité du rapport ici :