La responsabilité pénale des gouvernants burkinabés à l’aune de la réforme constitutionnelle.

Par Paulin Bouda, Etudiant.

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La justice n’est complète que lorsque la responsabilité pénale atteint tous les échelons du pouvoir, y compris les plus élevés. Dans la plupart des États démocratique, le chef d’État et les membres du gouvernement n’y échappent pas conformément à la Constitution. Cependant, parler de la responsabilité pénale des gouvernants était longtemps considéré comme inapproprié, voire sacrilège.

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Bien que certains actes puissent échapper à leur responsabilité, ils peuvent maintenant voir leur responsabilité pénale invoquée dans des conditions particulières conformément à la loi. Au Burkina Faso, le pouvoir constituant l’a prévu dans la Constitution de 1991 avec la Haute Cour de Justice comme la juridiction compétente pour connaître le jugement du Président du Faso et des membres du gouvernement.

Cependant, avec la loi constitutionnelle du 30 décembre 2023 plusieurs réformes ont été effectuées concernant notamment le statut pénal du chef de l’Etat et des membres du gouvernement. C’est pourquoi parler de la responsabilité pénale des gouvernants Burkinabés dans la nouvelle réforme constitutionnelle paraît utile et nécessaire.

Pour Serges Guinchard et Thierry Debard, la responsabilité pénale est l’« obligation de répondre de ses actes délictueux en subissant une sanction pénale dans les conditions et selon les formes prescrites par la loi » [1]. Le droit constitutionnel pénal est le régime juridique de la responsabilité pénale des gouvernants et doit être distingué de la responsabilité politique des gouvernants. La responsabilité politique est le régime juridique de la sanction politique d’une autorité politique pour faute politique [2]. La réforme constitutionnelle est devenue plus que jamais un mode de gouvernement. La Constitution est génétiquement modifiable et l’organe de contrôle qu’est le Conseil constitutionnel n’y est pas insensible [3]. Ainsi, la révision constitutionnelle est la modification de la Constitution par le titulaire du pouvoir constituant dérivé [4]. Le dictionnaire Larousse définit un gouvernant comme une personne qui détient le pouvoir politique [5]. Cependant, dans le cadre de notre étude nous nous intéresserons uniquement au Chef de l’État et aux membres du gouvernement. La responsabilité pénale des membres du parlement n’ayant pas fait objet de modification dans loi constitutionnelle ne sera pas alors abordée dans la présente étude.

Historiquement, entourée d’un voile d’immunité presque sacrée et affirmée par l’adage « Princeps legibus solutus est », cette immunité a connu des transformations marquées par les évolutions politiques. En effet, l’immunité était souvent considérée comme absolue, protégeant le dirigeant suprême de toute poursuite judiciaire. Néanmoins, dans l’histoire constitutionnelle burkinabée, la Constitution a toujours consacré la responsabilité pénale du chef d’État et des membres du gouvernement. Sous la Première République, elle était fortement inspirée de la Constitution de la Cinquième République française. Sous les Républiques qui succéderont à la Première, le système n’a pas fondamentalement connu de modification [6].

Le fondement juridique de la responsabilité pénale du chef de l’Etat et des membres du gouvernement se trouve dans la Constitution Burkinabée qui en est le socle et aussi dans loi n°052-2009/AN du 03 décembre 2009 portant détermination des compétences et de la procédure de mise en œuvre du statut de Rome relatif à la Cour pénale internationale par les juridictions burkinabées [7].

La suppression de la Haute Cour de Justice par la loi constitutionnelle du 30 décembre 2023 et la reconnaissance de la compétence de la chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou en matière de responsabilité pénale du chef de l’Etat et des membres du gouvernement, suscite des interrogations. Dès lors, une question fondamentale mérite d’être posée : quel est l’impact de la loi constitutionnelle du 30 décembre 2023 sur le régime de responsabilité pénale du Président du Faso et des membres du gouvernement ?

C’est cette interrogation que soulève cette thématique et auquelle cette étude tentera d’apporter quelques éléments de réponses.

« La responsabilité pénale des gouvernants Burkinabés à l’aune de la réforme constitutionnelle » est un sujet passionnant et d’actualité brûlante sur lequel nous allons nous appesantir. L’intérêt d’étudier ce sujet réside donc dans la nécessité de comprendre la responsabilité pénale des dirigeants au Burkina Faso à la lumière de la réforme constitutionnelle du 30 décembre 2023. Nous étudierons de façon rigoureuse et successive, le statut pénal du chef de l’Etat et des membres du gouvernement (I) et les mécanismes qui permettent la mise en œuvre de la responsabilité pénale des gouvernants (II).

I- Statut pénal du chef de l’État et des membres du gouvernement.

Parler du statut pénal du chef de l’État et des membres du gouvernement revient à étudier la responsabilité pénale du chef de l’État d’une part et la responsabilité pénale des membres du gouvernement d’autre part.

Selon l’article 138 (abrogé) la responsabilité du Président du Faso était tenue pour :

« les actes commis dans l’exercice de ses fonctions et constitutifs de haute trahison, d’attentat la Constitution ou détournement de denier public ».

Ainsi, nous remarquons à la lecture de l’ancien article 138 de la Constitution que le Président du Faso pouvait être responsable pénalement de trois crimes, notamment la haute trahison, l’attentat à la Constitution ou le détournement de denier public. Le Président du Faso bénéficie donc d’immunité juridictionnelle sauf pour les crimes cités dans la disposition précédente.

Le crime de haute trahison est un crime politique c’est-à-dire un agissement qui porte directement atteinte à un intérêt ou une prérogative de nature politique, telle une atteinte à l’existence de ou à l’organisation de l’Etat [8].

Il y a haute trahison lorsque le Président du Faso viole son serment, pose des actes contraires à la dignité de sa charge, est auteur, co-auteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits humains ou de cession d’une partie
du territoire national. La haute trahison est punie de l’emprisonnement à vie [9].

Selon l’article 332-17 du Code pénal :

« Quiconque détourne ou dissipe à des fins personnelles des deniers publics, effets actifs en tenant lieu, titres de paiement, valeurs mobilières, acte contenant ou opérant obligations ou décharge, matériels ou objets mobiliers appartenant, destinés ou confiés à l’État, aux collectivités ou établissements publics, aux organismes ou sociétés bénéficiant d’une participation de l’État, qu’elle détient en raison de ses fonctions, est coupable de détournement de biens publics ».

L’attentat est le fait de commettre un ou plusieurs actes de violence de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national, passage à l’action violente qui constitue, comme atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, un crime contre la nation et l’État [10].

Selon le droit positif Burkinabé :

« constitue un attentat à la Constitution tout comportement violant la Constitution et ses principes ou tout manquement, en contravention grave avec les valeurs démocratiques et républicaines » [11].

De ce fait, l’attentat à la Constitution reflète une volonté délibérée de perturber ou de renverser l’ordre constitutionnel établi, mettant ainsi en danger la structure même de l’État. C’est une forme d’agression contre les intérêts fondamentaux de la nation, visant à compromettre la légitimité des institutions et à saper les principes constitutionnels.

Cependant, avec la nouvelle réforme, l’attentat à la Constitution est supprimé de la liste. En effet, l’article 137 al 1 (nouveau) de la loi constitutionnelle du 30 décembre 2023 précise que :

« le Président du Faso n’est pas responsable des actes accomplis en sa qualité de chef d’Etat sauf pour les faits constitutifs de haute trahison ou de détournement de deniers publics ».

Il ne reste que les crimes de haute trahison ou détournement de derniers publics. Cela revient à dire que l’article 321-2 du Code pénal ne s’applique plus au Président pour les actes commis dans l’exercice de ses fonctions. Le retrait de l’attentat à la Constitution, sans pour autant le clamer, peut s’expliquer par une certaine prééminence de la dimension politique sur l’aspect normatif dans la situation actuelle du Burkina Faso.

Au sens de l’alinéa 3 de l’article 137 (nouveau) de la loi constitutionnelle du 30 décembre 2023, l’action publique pour la répression des infractions contre le Président du Faso et les membres du gouvernement ne peut être mise en mouvement qu’à la fin de leurs fonctions.

Pour ce qui est de la responsabilité de droit commun, le statut du chef de l’Etat accorde une immunité au Président du Faso. En effet, il est impossible d’engager la responsabilité pénale du chef de l’Etat au cours de son mandat pour les crimes et délits commis avant ou pendant son mandat. Cependant, les délais de prescription ou de forclusion étant suspendus [12] pendant le mandat, après le mandat il peut être poursuivi pour les crimes et délits commis avant ou pendant l’exercice de ses fonctions. C’est ce que nous apprend l’arrêt Breisacher, rendu par la Cour de cassation française le 10 octobre 2001 [13]. Il en est de même pour les actes détachables de la fonction présidentielle [14]. Quant aux membres du gouvernement : ils ont également un statut particulier, ils ne peuvent être poursuivis que devant la chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou qu’à la fin de leurs fonctions conformément à l’alinéa 3 de l’article 137 de la loi constitutionnelle précitée. Ils sont :

« pénalement responsables des crimes et délits commis dans l’exercice ou l’occasion de l’exercice de leurs fonctions » [15].

La Chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou est compétente pour les crimes et délits commis dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. Nous pouvons donc en déduire qu’en matière contraventionnelle et dans les actes commis avant, après ou en dehors de la fonction du ministre les autres juridictions sont compétentes.

II- La mise en œuvre de la responsabilité pénale des gouvernants.

La mise en œuvre de la responsabilité pénale des gouvernants revient à explorer la mise en accusation de ceux-ci devant la juridiction compétente. En effet, avant que le Président du Faso ou les ministres soient soumis devant la chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou, il faut impérativement une mise en accusation.

L’exemple emblématique est le cas de Blaise Compaoré, ancien Président du Faso.

Le Conseil national de la transition, organe législatif de la transition burkinabée en 2015, avait mis en accusation devant la Haute Cour de justice le 16 juillet 2015, l’ancien président Blaise Compaoré et plusieurs de ses ministres.

L’article 139 de la Constitution dispose :

« la mise en accusation du Président est votée à la majorité des quatre cinquième des voix des députés composant l’Assemblée. Celle des membres du gouvernement est votée à la majorité des deux tiers des voix des députés composant l’Assemblée ».

Le Président du Faso et les ministres ne peuvent être poursuivis qu’après avoir été mis en accusation par l’Assemblée nationale.
Pour le professeur Frédéric Joël Aivo, la mise en accusation permet de mettre le chef d’État et les ministres à l’abri des « poursuites abusives et d’assauts répétés motivés par des velléités politiques et susceptibles de déstabiliser l’autorité de l’Etat » [16].

La Haute Cour de Justice était une juridiction compétente pour juger le président du Faso et les membres du gouvernement pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. La Haute Cour de Justice était prévue par la Constitution de 1991 et son fonctionnement et la procédure applicable devant elle étaient régis par la loi organique n°20/95/ADP du 16 mai 1995. En effet, elle était l’unique juridiction compétente pour connaître les actes commis par le Président du Faso et les membres du gouvernement tels que cités dans la première partie de notre rédaction.

Cependant, avec la réforme constitutionnelle du 30 décembre 2023, les articles 137, 138 et 140 du titre IX (anciens) relatifs à la Haute Cour de Justice ont été abrogés. Avant la réforme, les ministres jouissaient d’une immunité juridictionnelle, limitant leur responsabilité à la Haute Cour de Justice pour les actes commis en tant que ministre. Conformément à l’alinéa 2 de l’ancien article 138 de la Constitution :

« dans tous les autres cas ils demeurent justiciables des juridictions de droit commun et des autres juridictions ».

Ainsi, les juridictions ordinaires étaient compétentes pour traiter des infractions et des actes distincts de la fonction ministérielle.

Cependant, nous pouvons lire l’article 137 al 4 nouveau en ces termes :

« le Président du Faso et les membres du gouvernement sont jugés par la chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou, spécialement composée de trois juges professionnels et de quatre juges parlementaires ».

Le constituant par cette formulation fait des membres du gouvernement des autorités justiciables devant les juridictions de droit commun notamment la chambre criminelle de la Cour d’appel de Ouagadougou. En effet, selon le législateur Burkinabé, en matière criminelle, la section de la chambre criminelle statue en premier ressort. En cas d’appel, la chambre criminelle d’appel statue en dernier ressort [17].

Sauf disposition contraire, nous en déduisons le même fonctionnement pour le cas des gouvernants. Le constituant a changé la juridiction compétente, mais le nombre de députés demeure majoritaire. Selon la nouvelle loi constitutionnelle, la cour est spécialement composée de trois juges professionnels et de quatre parlementaires.

Quant à la Haute Cour de Justice, elle comprenait : une commission d’instruction ; une chambre de contrôle de l’instruction ; une chambre de première instance ; une chambre d’appel. Elle était composée de neuf juges, dont six députés élus pour la durée de la législature par l’Assemblée nationale après chaque renouvellement général, et de trois magistrats du grade exceptionnel de la hiérarchie judiciaire nommés par ordonnance du Président de la Cour de cassation pour cinq ans. La chambre de première instance et la chambre d’appel étaient toutes deux composées de neuf juges, dont six députés et trois magistrats de grade exceptionnel.

L’inclusion majoritaire de parlementaires au sein de la cour, selon la nouvelle loi constitutionnelle, peut soulever des inquiétudes quant à l’impartialité. La prédominance numérique des députés, bien que permettant une représentation parlementaire, pourrait potentiellement compromettre l’objectivité de la cour, remettant en question la garantie d’une justice indépendante. Cependant, on pourrait saluer la loi constitutionnelle, car il n’y a qu’une différence d’un seul juge parlementaire en plus par rapport à la Haute Cour de Justice, qui comptait six juges parlementaires contre trois magistrats professionnels.

Paulin Bouda, Etudiant en droit public et relations internationales.

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Notes de l'article:

[1Serges Guinchard et Thierry Debard (sous la direction.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 24e éd. 2016-2017, p.958.

[2Abdoulaye Soma, « Le droit constitutionnel pénal », in Annuaire des Réflexions Constitutionnelles (ARC),n⁰01, Le droit constitutionnel pénal, 2015, p.11.

[3Guillaume Drago, Réformer le Conseil constitutionnel ?, Pouvoirs 2003/2 (n° 105), p. 73.

[4Serges Guinchard et Thierry Debard (sous la direction.), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 24e éd. 2016-2017, p.970.

[6Diao Saibou ; Hema F. Akim A. D. ; Kabore Grâce Sephora ; Simpore Toussaint ; Ymien K. Nadège, « La responsabilité pénale du chef de l’état », in Annuaire des Réflexions Constitutionnelles (ARC), n⁰01, Le droit constitutionnel pénal, 2015, p.44.

[7Au sens de l’article le 7 de cette loi la qualité de Chef d’État ou de membres du gouvernement n’exonère en aucun cas la responsabilité pénale.

[8Félicité Mugombozi Akonkwa, Du crime de haute trahison en droit constitutionnel congolais, Université libre des pays des grands lacs - Diplômée en droit 2002.

[9Article 321-1 de la loi N°025-2018/AN portant Code pénal du 31 mai 2018.

[10Gérard Cornu Vocabulaire juridique, PUF, Paris 1987, p. 246.

[11Article 321-2 de la loi N°025-2018/AN portant Code pénal du 31 mai 2018.

[12Article 137 al 3 de la loi constitutionnelle du 30 décembre 2023.

[13Cour de cassation Breisacher, 10 octobre 2001.

[14Diao Saibou ; Hema F. Akim A. D. ; Kabore Grâce Sephora ; Simpore Toussaint ; Ymien K. Nadège, « La responsabilité pénale du chef de l’état », in Annuaire des Réflexions Constitutionnelles (ARC), n⁰01, Le droit constitutionnel pénal, 2015, p.49.

[15Article 137 al 2 de loi constitutionnelle du 30 décembre 2023.

[16Frédéric Joël Aïvo, La responsabilité pénale des gouvernants dans les régimes politiques africains d’influence française, p.9.

[17Article 20 Loi N°015-2019/AN Portant Organisation Judiciaire au Burkina Faso.

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