Introduction
Lors de la 7ème conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) tenue à Genève en décembre 2009, la France, représentée par Mme Anne-Marie IDRAC, Secrétaire d’État chargée du Commerce Extérieur auprès du Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, a fortement et clairement défendue l’idée de la réintégration de la question de l’investissement aux futurs travaux de l’organisation.
Dans son intervention en session plénière, la représentante de la diplomatie économique française a exprimé l’idée de l’imperfection d’un système commercial multilatéral dans lequel le sujet de l’investissement international est absent.
Selon elle, « la libéralisation commerciale sera nécessairement incomplète si nous sommes incapables d’aborder au moins deux sujets :
a) l’accès aux marchés publics, qui représentent 15% du PIB dans les pays développés et 20% dans les pays en développement ;
b) l’investissement, alors que les flux d’investissements directs étrangers se sont considérablement développés et constituent une nouvelle forme d’internationalisation des entreprises, au-delà du commerce de marchandises ou de services ».
En outre, elle a pu affirmer l’impact structurellement négatif de l’exclusion d’une telle question de l’agenda de l’OMC en jugeant que « ne pas traiter ce type de sujets, serait à terme fragiliser l’Organisation et son aptitude à traiter des nouvelles formes d’obstacles au commerce ».
Plusieurs questions méritent d’être posées à propos de toute nouvelle proposition de réintégration de la question de l’investissement au sein de l’OMC :
quelles sont les origines de la question ?
dans quel cadre le sujet de l’investissement pourra être réintégré dans l’agenda de l’OMC : un éventuel nouveau cycle de négociations et sur la base du principe de l’engagement unique ou à travers une coordination tendant à retrouver un consensus politique entre les différents acteurs ?
quelle sera la finalité d’une telle réintégration du point de vue juridique : le lancement de négociations en vue de la conclusion d’un accord multilatéral sur l’investissement ou la recherche d’un compromis sur un simple cadre non contraignant ?
quelles sont les chances de réussite d’une nouvelle tentative de multilatéralisation du droit de l’investissement à travers l’OMC ?
s’agit-il enfin d’un sujet d’ordre stratégique ?
L’utilité de poser ces questions est fondée sur l’existence de certaines difficultés se rapportant à l’importance des enjeux qui ont marqué les travaux de l’OMC sur le sujet de l’investissement international tout au long du programme de Doha pour le développement.
Ces enjeux n’ont toujours pas aidé à construire un vrai consensus pour le lancement des négociations relatives à un cadre multilatéral sur l’investissement.
Ces questions peuvent aussi servir de base pour relancer le débat sur le sujet de la multilatéralisation du droit de l’investissement dans le contexte actuel des relations économiques internationales.
Ce document vise à contribuer à un tel débat en présentant un bref aperçu historique sur le sujet (1) et en essayant de proposer quelques pistes de réflexions sur les préalables et les conditions de réussite d’une réintégration de la question de l’investissement à l’agenda de l’OMC dans une première étape (2) et du lancement des négociations sur un éventuel instrument multilatéral régissant l’investissement dans une deuxième étape (3).
1- Aperçu historique
L’investissement fût l’une des quatre questions [1] qui ont été introduites dans l’agenda de l’OMC lors de la conférence de Singapour en 1996. A Singapour aussi, un groupe de travail chargé d’étudier les liens entre le commerce et l’investissement a été créé.
Mais il convient de préciser que l’historique des liens entre investissement et commerce remonte à une époque antérieure à l’Uruguay Round et à la conférence de Singapour. L’article 11-2-c de la Charte de la Havane [2] prévoit que l’Organisation [3] « pourra […] élaborer un accord général ou une déclaration de principes sur la politique et les pratiques à suivre en ce qui concerne les investissements étrangers et sur le traitement à leur accorder, et en encourager l’adoption ».
L’idée d’intégrer les négociations sur un éventuel cadre multilatéral relatif à l’investissement au sein de l’OMC remonte à 1998, une date à laquelle les négociations sur le projet de l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI) dans le cadre de l’OCDE ont commencé à rencontrer des difficultés sérieuses. Cette idée a été formulée dans une communication de la Commission Européenne en date du 24 mars 1998 dans le cadre du Groupe de Travail des Liens entre Commerce et Investissement (GTLCI) au sein de l’OMC. La partie européenne a annoncé qu’« il est possible d’instaurer un cadre très complet de règles régissant en profondeur les questions d’investissement tout en parvenant à un véritable équilibre entre les objectifs politiques des pays d’accueil, qui sont très différents entre eux et semblent parfois contradictoires ».
L’intention de rechercher un autre accord a été explicitement déclarée suite à la décision du gouvernement français d’abandonner les négociations relatives à l’ « AMI » au sein de l’OCDE. « Lors de la séance des questions au gouvernement du mercredi 14 octobre 1998, M. Lionel Jospin, Premier Ministre français, interrogé par Robert Hue au sujet de l’AMI a répondu : "…Dans ces conditions, le rapport conclut que l’accord n’est pas réformable. Mme Lalumière propose de rechercher un nouvel accord, d’une architecture différente, dans le cadre de l’OCDE ou de l’OMC. Je vous annonce que la France ne reprendra pas les négociations dans le cadre de l’OCDE le 20 octobre [1998]." » [4]
Par la suite et dans le cadre de la préparation de la conférence ministérielle de Seattle (1999), le mandat de négociation de la Commission Européenne donné par le Conseil des ministres de l’Union Européenne du 26 octobre 1999 a fixé les objectifs de l’UE dans le domaine du commerce et de l’investissement. Selon les termes du mandat, « L’OMC devrait entamer des négociations visant à instituer un cadre multilatéral de règles régissant les investissements internationaux en vue d’assurer un climat stable et prévisible pour les investissements directs étrangers dans tous les pays ».
Après l’échec de Seattle, la Communauté Européenne a procédé à une évaluation des travaux du Groupe de Travail des liens entre commerce et investissement et a présenté ses commentaires sur les principaux points qui ont fait l’objet de communications et de discussions au sein de ce Groupe. Discutant le point de vue selon lequel « des règles multilatérales en matière d’investissement limiteraient le niveau actuel de flexibilité existant dans les pays en développement », la Communauté Européenne a affirmé que « tout cadre multinational de règles en matière d’investissement devrait tenir compte de ce besoin (de flexibilité) ». [5]
Cette proposition a abouti, lors de la conférence ministérielle de Doha en novembre 2001, à l’insertion de la négociation d’un éventuel cadre multilatéral sur l’investissement dans les paragraphes 20, 21, et 22 de la déclaration.
Ces paragraphes, dont l’intitulé est les « liens entre commerce et investissement », ont fixé les principes et les orientations futures du Programme de Doha pour le Développement (PDD) quant à la multilatéralisation du droit international de l’investissement.
Le paragraphe 20, après avoir annoncé l’accord exprimé par les membres sur la nécessite d’un cadre multilatéral sur l’investissement, a fixé les échéances de la détermination des modalités de négociations (la conférence ministérielle de 2003) et de leur lancement (après la conférence ministérielle de 2003).
Le paragraphe 21 a insisté sur la prise en compte de l’aspect « développement » dans de telles négociations. Quant au paragraphe 22, il a fixé le mandat du Groupe de Travail des Liens entre Commerce et Investissement en ce qui concerne l’ensemble des sujets à traiter et la démarche à suivre.
Toutefois, l’avancement qui pouvait aider au consensus recherché à la conférence ministérielle de 2003 qui s’est tenu à Cancún (Mexique) n’a pas pu se réaliser puisque la conférence a totalement échoué. L’« accord » de Doha sur la nécessité d’un cadre multilatéral sur l’investissement, sur l’importance de la dimension développement et sur l’approche de libéralisation de type AGCS a été dilué. Deux principaux facteurs ont contribué à ce résultat : l’intensification de la divergence au sein du Groupe de Travail des Liens entre Commerce et Investissement pendant la période préparatoire de Cancún et le rôle de la société civile.
A Genève, en Juillet 2004, une "entente-cadre" ou un "accord-cadre" a été contracté afin d’éviter un nouvel échec qui pouvait porter atteinte à l’existence même de l’OMC. Le prix du compromis de juillet était l’élimination ou le retrait de trois [6] « questions de Singapour », y compris celle des négociations d’un cadre multilatéral sur l’investissement. Le conseil Général [7] de l’OMC a « décidé » que lesdites questions « ne feront plus partie du Programme de Doha pour le Développement ». Il s’agit là d’un retrait provisoire et non d’une élimination définitive.
2- Chances et conditions de réussite d’une éventuelle réintégration du sujet de l’investissement à l’agenda de l’OMC
Théoriquement, le retour de la question de l’investissement à l’agenda de l’OMC demeure possible. Un sujet qui a été intégré sur la base d’un « consensus » réalisé dans deux conférences ministérielles (de Singapour et de Doha) et retiré en vertu d’une décision du Conseil Général, pourrait être réintégré à travers un nouveau consensus. Mais, dans la mesure où la prise de décision dans l’organisation obéît à des règles précises, notamment celle du consensus, une bonne préparation s’impose pour éviter le rejet de toute proposition de réintégration durant la période qui se situera entre la fin du programme de Doha pour le développement et le lancement d’un nouveau cycle de négociations.
Le premier pas à franchir est de savoir tirer les leçons des tentatives précédentes (2.1). Une condition d’ordre procédurale aidera à la recherche du consensus souhaité : la reprise des travaux du groupe de travail des lien entre commerce et investissement (2.2). Enfin, certaines conditions de fond peuvent faciliter la réintégration du sujet de l’investissement. Il s’agit de celles relatives aux sujets qui se rapportent à l’intégration des pays en développement dans le système commercial multilatéral (2.3).
2.1- Savoir tirer les leçons des tentatives précédentes
La réussite d’une nouvelle tentative de la réintégration du sujet de l’investissement au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce doit tenir compte des causes de l’échec des tentatives précédentes et en tirer les leçons. Aussi bien l’expérience de l’OCDE que celle de l’OMC mérite l’évaluation.
Les leçons à tirer de la tentative de conclusion d’un accord multilatéral dans le cadre de l’OCDE se rapportent à sa portée, à son champ d’application et la prise en compte de la relation entre l’investissement et les autres secteurs et domaines.
Le projet de l’AMI n’était pas conçu pour être un accord de portée universelle. Il était le projet des seuls pays développés et l’adhésion volontaire d’un pays non-membre à l’OCDE ne serait pas accompagnée par la prise en compte de son niveau de développement.
Le champ d’application du projet de l’AMI était très large de façon à couvrir « non seulement le domaine traditionnel des investissements directs étrangers, mais aussi les investissements de portefeuille et des biens incorporels » [8] .
Les interactions sectorielles et les relations entre l’investissement et les autres activités et domaines n’étaient pas prises en compte par les négociateurs de l’AMI. Les impacts sociaux, environnementaux et culturels dans les autres domaines ont été ignorés. Cela a été jugé comme étant une "erreur coûteuse", dans la mesure où l’omission de ces interactions dans l’accord a abouti à l’annulation des négociations.
L’échec de l’AMI au sein de l’OCDE a obligé les Etats désireux d’un cadre multilatéral sur l’investissement de changer de forum de négociations et de se diriger cette fois vers l’OMC, une organisation dont les deux tiers de ses membres sont des pays en développement. Bien que les principales causes de cet échec aient été prises en compte [9] , la question de l’investissement a été retirée de l’agenda de Doha. Les enjeux à l’OMC étaient spécifiques dans la mesure où la dimension développement devrait constituer « l’objectif légitime » de toute mesure de libéralisation, y compris celle de l’investissement international.
Concernant l’OMC, trois leçons peuvent être tirées du Programme de Doha pour le Développement.
La première leçon est de savoir identifier les priorités et de préciser le caractère stratégique ou tactique de la question d’investissement dans les enjeux des relations interétatiques encadrées par l’OMC. Pour certains, le retrait des questions de Singapour peut être considéré comme un échec pour l’Union Européenne dans la mesure où ces questions faisaient partie du projet européen de la « mondialisation maîtrisée ». Pour d’autres, « l’inscription, puis l’abandon des Questions de Singapour ne sont pas tant une victoire des PED qu’une décision stratégique de l’UE ». [10] Or, le fait de lier la question à la seule stratégie européenne risque de ne pas refléter la réalité du multilatéralisme, les enjeux des négociations et la prise de décision dans le cadre de l’OMC. Il est vrai que l’origine des questions de Singapour était européenne et que l’Union Européenne n’a pas bloqué le retrait de l’essentiel de ces questions, mais le rôle des pays en développement, menés par l’Inde, était aussi déterminant. La dimension tactique n’a jamais était absente d’un tel jeu. Si l’intégration de la question d’investissement dans le cadre de la conférence de Singapour était stratégique pour l’Europe, son acceptation par les pays en développement était due à l’absence d’une vision claire quant aux possibilités effectives d’accès aux marchés que peut offrir le système commercial multilatéral à ces pays. Lors de la conférence de Doha (2001), le compromis trouvé était le fruit d’une démarche prudente qui a marqué la position des pays en développement. C’est dans ce cadre que la tactique indienne conditionnant le consensus sur le lancement des négociations sur un cadre multilatéral relatif à l’investissement par son caractère explicite a réussi dans une deuxième étape à neutraliser la stratégie européenne.
En effet, entre Cancún et Genève (2003-2004), une stratégie de négociation a été construite par les pays en développement : le blocage de tous les dossiers si un progrès concret dans l’accès aux marchés de leurs produits et services ne sera pas enregistré. L’enceinte de coordination a été créée à travers le Groupe des vingt-deux (G22) qui a été constitué quelques jours avant la conférence de Cancún et qui a rassemblé l’Afrique du Sud, l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Chine, Cuba, L’Egypte, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, le Nigeria, le Pakistan, le Paraguay, les Philippines, la Tanzanie, la Thaïlande, le Venezuela et le Zimbabwe.
Le retrait de la question d’investissement en juillet 2004 peut être considéré, cette fois, comme étant une tactique européenne en réaction à la stratégie du G22 qui risque de mettre en échec tout le système commercial multilatéral.
En effet, l’expérience de Doha a montré que les trois questions de Singapour qui ont été retirées du programme, en juillet 2004, n’étaient pas, lors de leur insertion à l’agenda de l’Organisation en 2001, des questions prioritaires. C’est dans ce contexte que la question de l’investissement peut être qualifiée de « bouc émissaire ». Ainsi, les membres de l’OMC ont sacrifié les futures négociations sur un cadre multilatéral relatif à l’investissement afin d’éviter un nouveau blocage des négociations commerciales multilatérales et l’échec du Programme de Doha pour le Développement. Ils ont fait deux pas en arrière (le retrait de la question d’investissement et la suspension des travaux du Groupe de Travail des Liens entre Commerce et Investissement) pour un pas en avant, à savoir la relance du programme de Doha. Les priorités de la prochaine étape sont en rapport avec l’accès aux marchés pour les pays en développement, le soutien interne et les subventions à l’exportation des produits agricoles.
La deuxième leçon tient à assurer une plus grande cohérence entre le régionalisme/ bilatéralisme et le multilatéralisme. Le PDD pour le Développement n’a pas réussi à freiner la prolifération des Accords de Coopération Régionales (ACR) et les accords bilatéraux de libre échange qui traitent, entre autres questions, de l’investissement international.
Une rationalisation de la pratique des accords bilatéraux et régionaux et un contrôle rigoureux de leur compatibilité avec l’esprit du multilatéralisme et les règles de l’OMC permettront de créer une nouvelle interface entre ces accords et le système commercial multilatéral, une interface qui tient compte de la dimension développement.
La troisième leçon concerne la préparation des échéances multilatérales à travers une meilleure coordination et concertation au niveau bilatéral. Dans ce cadre, il convient d’insister sur l’importance du rôle que peut jouer la Communauté Européenne. L’approche européenne fondée sur une mondialisation « plus humaine » nécessite une vraie concrétisation. Les forums que la Communauté peut exploiter afin d’établir l’équilibre de la gouvernance mondiale sont multiples. Les différents cadres de partenariat avec les pays en développement (partenariat Euro-Med ; partenariat avec le groupe ACP Afrique, Caraïbes Pacifique ; partenariat stratégique avec l’Inde…) prévoient des mécanismes de dialogue dans tous les domaines. En outre, l’appui des Etats-Unis dans le cadre de sa nouvelle stratégie de « smart power » et la « nouvelle ère » de ses relations avec la Chine s’avère nécessaire.
En définitive, la réintégration du sujet de l’investissement au sein de l’OMC devrait passer par cette voie bilatérale.
2.2- La reprise des travaux du Groupe de Travail des Liens entre Commerce et Investissement
Les travaux du Groupe de Travail des Liens entre Commerce et Investissement ont été suspendus avant même le retrait de la question d’investissement du programme de Doha pour le développement en juillet 2004.
Une éventuelle reprise des travaux du Groupe de Travail doit être accompagnée d’une nouvelle vision de sa mission. Deux principaux axes peuvent être envisagés dans ce sens : la nécessité de la recherche d’un minimum de consensus entre les pays membres et un rôle plus actif du secrétariat.
En ce qui concerne le premier axe, il convient de remarquer que le Groupe de Travail s’est déjà prononcé sur la nature de sa mission en limitant le champ de sa compétence à l’approfondissement de la réflexion sur les questions qui figurent au mandat fixé par la déclaration de Doha.
L’absence d’un objectif concret dans le mandat du groupe de travail a été une source d’inefficacité. Dés lors, la recherche d’un consensus entre les pays membres devrait constituer la ligne de conduite de ses travaux.
Pour ce qui est du deuxième axe, l’OMC dispose « d’un petit secrétariat, chargé de préparer les négociations, de veiller à la mise en œuvre des accords, de soutenir les procédures d’arbitrage, de produire les rapports souhaités par les parties contractantes. Sa liberté d’action est limitée ». [11] Le secrétariat s’est contenté, au sein du Groupe de Travail, de préparer les réunions et d’établir certaines notes qui résumaient les positions des membres.
Outre le renforcement de son rôle en général, et en cas de reprise des travaux du Groupe de Travail, le secrétariat de l’OMC sera invité à orienter les pays membres vers un consensus à propos du lancement des négociations relatives à un cadre multilatéral sur l’investissement.
2.3- L’exploitation des opportunités offertes par les sujets qui se rapportent à l’intégration des pays en développement dans le système commercial multilatéral
Certains sujets et programmes ont été mis en place dans l’objectif de faciliter l’intégration des pays en développement et des pays les moins avancés dans le système commercial multilatéral. Leurs liens avec l’investissement, bien qu’indirects, sont évidents. Ainsi, la reconnaissance d’une certaine flexibilité au profit de ces pays, la mise en place d’une infrastructure adéquate à la promotion de leurs échanges commerciaux, le développement de leurs compétences nationales dans le but de comprendre les enjeux du système commercial multilatéral et de maîtriser les techniques de négociations, permettront aussi aux pays en développement de mieux se préparer à une libéralisation multilatérale de l’investissement international. Le traitement spécial et différencié, la facilitation du commerce, et l’aide pour le commerce offrent des opportunités dans ce sens.
3- Les conditions de réussite du lancement des négociations sur un instrument juridique multilatéral relatif à l’investissement dans le cadre d’un nouveau cycle de négociations
Le lancement des négociations sur un instrument juridique multilatéral relatif à l’investissement dans le cadre d’un nouveau cycle de négociations nécessite une réforme structurelle de l’OMC dans le sens de l’équilibre du système commercial multilatéral. Trois pistes ayant un lien direct avec la question d’investissement peuvent être explorées : l’équilibre entre accès au marché et règles (3.1), la démocratisation du processus de prise de décision et le dialogue avec la société civile (3.2), et la coordination avec les autres organisations internationales (3.3).
3.1-Equilibre entre accès au marché et règles
L’équilibre entre accès au marché et règles a été fréquemment cité parmi les ingrédients d’un système commercial multilatéral qui prend en compte l’intérêt mutuel des parties prenantes.
Outre son rôle de libéralisation du commerce international, à travers des négociations visant l’élimination des obstacles tarifaires et non tarifaires, l’OMC assure une fonction de régulation des relations commerciales multilatérales par le biais des règles relatives à l’antidumping, aux subventions et droits compensateurs, aux sauvegardes et au commerce d’État.
Des propositions visant l’adoption de nouvelles règles commerciales axées sur le développement ont été présentées par les pays du Sud. Il s’agit notamment des mesures de protection agricoles favorisant la sécurité alimentaire et la gestion de l’offre internationale de produits de base dans le but de faire face à l’instabilité des prix à laquelle sont confrontés les producteurs pauvres.
Dans cet esprit, la réussite d’éventuelles négociations sur un cadre multilatéral relatif à l’investissement est tributaire de l’équilibre entre libéralisation et règles. Certaines règles en matière d’investissement international sont défendues par les PED. Elles se rapportent, essentiellement, aux politiques nationales (le droit de règlementer) et à la responsabilité de l’investisseur. D’autres règles (notamment la transparence et la prévisibilité) sont souvent invoquées par les pays développés. Un équilibre entre les deux catégories est aussi souhaitable.
3.2-Démocratisation du processus de prise de décision et dialogue avec la société civile
En plus de l’implication des parlementaires des pays membres, la démocratisation du processus de prise de décision au sein de l’OMC suppose un meilleur dialogue avec la société civile internationale.
La société civile a souvent joué un rôle de blocage des tentatives précédentes de conclusion d’un accord multilatéral sur l’investissement (l’expérience de l’AMI) ou de lancement des négociations sur un tel instrument (l’exemple de Cancún). La réussite de la relance de la question dépendra, entre autres choses, d’une meilleure implication de cet acteur important.
La défense des intérêts des pays en développement constitue un axe principal des activités de la société civile internationale. Un participant au forum public 2006 de l’OMC a insisté sur le fait que « le rôle de la société civile devrait être […] de soutenir les positions des pays en développement, notamment en mettant à leur disposition des capacités solides et sûres en matière de conseil et d’analyse ». [12]
Conscient d’un tel enjeu, le Directeur Général de l’OMC, dans le discours qu’il a prononcé au Forum Public de l’OMC le 4 octobre 2007 et en s’adressant aux représentants de la société civile, M. LAMY a dit : « Soyons clairs : l’OMC recherche votre contribution, elle a besoin de vous pour élaborer son programme de travail ».
3.3- une meilleure coordination avec les autres organisations internationales
Le caractère multidimensionnel de l’investissement nécessite une coordination entre l’OMC et les autres organisations internationales, notamment avec la CNUCED. Les deux organisations « devraient développer leur coopération avec d’autres organisations internationales compétentes dans le domaine du renforcement institutionnel. À cet égard, on estime qu’une contribution particulièrement intéressante peut être fournie par l’Association mondiale des organismes de promotion de l’investissement (WAIPA). Les autres organisations qui peuvent aussi apporter leur contribution sont l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) et le Service-conseil pour l’investissement étranger (FIAS), deux filiales de la Banque mondiale ». [13]
Conclusion
La voie de la multilatéralisation du cadre international sur l’investissement au sein de l’OMC est certes épineuse, mais les chances de la relance ne sont pas nulles. Un achèvement positif du Programme de Doha pour le Développement aidera à la préparation d’un éventuel nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales.
Plusieurs arguments peuvent être avancés en faveur de la compétence de l’OMC en la matière :
la coordination qui existe entre l’OMC et les autres organisations internationales, notamment la CNUCED et l’OCDE ;
la pertinence des liens entre l’investissement, le commerce et le développement ;
l’approche de libéralisation qui a été proposée et qui assure une grande flexibilité est basée sur des listes positives de type AGCS.
Le premier pas qui doit être franchi est la reconsolidation du compromis sur la nécessité d’un cadre multilatéral sur l’investissement. Un tel cadre doit être basé sur une approche globale qui tient en compte l’équilibre entre les intérêts des différentes parties prenantes : investisseurs étrangers, Etats d’accueil, opérateurs économiques de l’Etat d’accueil et société civile.
En tout état de cause, La question qui a été posée par le professeur Juillard, deux mois après l’échec de « l’AMI » dans le cadre de l’OCDE, demeure valable : « la négociation d’un accord multilatéral sur l’investissement serait-elle frappée de malédiction ? » [14] .
Maher EL EUCH
Notes et références bibliographiques
1- Les quatre questions (également thèmes ou sujets) dites de Singapour sont : commerce et investissement, commerce et politique de la concurrence, facilitation des échanges et transparence des marchés publics.
2- Charte établie dans le cadre des Nations-Unies en 1948. Elle n’est pas entrée en vigueur faute de sa ratification par les Etats-Unis.
3- L’Organisation Internationale du Commerce
4- Shahrjerdi (Payam). « L’AMI OU LE PROJET MORT/NE DE L’OCDE ». Disponible sur : http://www.ridi.org/adi/199811a5.html
5- Communication datée du 9 octobre 2000 (WT/WGTI/W/89)
6- Investissement, politique de la concurrence et transparence des marchés publics.
7- Le Conseil Général est l’organe de décision suprême pour ce qui est des affaires courantes.
8- Accord Multilatéral sur l’Investissement, rapport du Groupe de négociation (résumé). OCDE 1997, p 4
9- Un éventuel cadre multilatéral au sein de l’OMC a été conçu de façon à avoir une portée quasi-universelle, de ne concerner que les investissements directs étrangers (IDE) et de prendre en compte la différenciation entres les pays signataires.
10- ABBAS (M), « De Doha a Cancún : éléments d’analyse de la crise du multilatéralisme commercial et de l’Organisation Mondiale du Commerce », p.10.
Disponible sur : http://www.afri-ct.org/IMG/pdf/afri2005_abbas.pdf
11- DE SENARCLENS (Pierre), « Les organisations internationales face aux défis de la mondialisation ». Revue internationale des sciences sociales.2001/4 - N° 170, p 9. Disponible sur : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RISS&ID_NUMPUBLIE=RISS_170&ID_ARTICLE=RISS_170_0559
12- M. Ricardo Meléndez-Ortiz, Directeur du Centre international pour le commerce et le développement durable, Genève, Suisse. Forum public OMC 2006. Forum public de l’OMC « Quelle OMC au XXIe siècle ? » p 71
13- Note conjointe des Secrétariats de l’OMC et de la CNUCED sur la « Collaboration future entre les secrétariats de l’OMC et de la CNCED dans le domaine de l’investissement en matière d’assistance technique et de renforcement des capacités pour les pays en développement et les pays les moins avancés » datée du 27 mai 2003.
14- Juillard (P). « L’accord multilatéral sur l’investissement : un accord de troisième type ? ». In « un accord multilatéral sur l’investissement : d’un forum de négociation à l’autre ».Journée d’étude organisée par l’Institut des hautes Etudes Internationales. Paris, le 7 décembre 1998. Editions PEDONE 1999. p 48.