L’arrêt de la Cour de justice européenne tant attendu par les 300 propriétaires assignés par la Ville de Paris à la réglementation airbnb et la Ville de Paris a enfin été rendu le 22 septembre 2020.
Interrogé sur la validité du texte encadrant le dispositif contraignant de location de courte durée dans les grandes villes dont Paris au premier plan, la Cour de justice a considéré qu’une telle réglementation nationale est conforme au droit de l’union.
En cohérence avec sa politique de lutte contre les locations de courtes durées, la Ville de Paris, s’est empressée de communiquer sur une victoire totale de sa réglementation.
Mais attention, si le dispositif national est conforme au droit de l’union, la Cour de justice invite la juridiction de renvoi à trancher l’examen de la conformité de chaque dispositif local avec la réglementation européenne.
Or une lecture attentive de l’arrêt de la Cour de justice permet d’entrevoir de nombreuses conditions fixées par les juges européens dont il appartiendra à la juridiction nationale d’assurer le contrôle de conformité.
Sur 5 points majeurs, la Cour de justice invite la juridiction nationale à s’assurer de la conformité du dispositif local.
Autant de points qui devront être démontrés par la Ville de Paris et tranchés par la Cour de cassation.
I - Rappel du contexte de la saisine de la Cour de justice.
Deux sociétés distinctes offraient à la location un de leurs studios situé à Paris sur la plateforme Airbnb pour des courtes durées à une clientèle de passage sans avoir respecté préalablement la procédure d’autorisation prévus par les articles L631-7 et L631-7-1 du CCH.
C’est ainsi qu’elles ont été condamnées à la somme de 40 000 € pour avoir proposé à la location leur appartement parisien sans avoir respecté la procédure d’autorisation, outre le retour de leur bien à leur usage d’habitation.
Après le rejet de leur appel initial, les requérantes ont formé un pourvoi en cassation devant la cour de cassation au motif que la Cour d’Appel aurait violé le principe de primauté du droit européen sur la conformité du texte français.
C’est dans ce contexte que par un arrêt du 15 novembre 2018, RG n° 17-26.158, la Cour de cassation a sursis à statuer et saisi la Cour de justice de l’union européenne afin qu’elle se prononce sur la comptabilité de la réglementation nationale prévue par l’article L631-7 du CCH à la directive européenne 2006/13 régissant la libre circulation des services.
II - Incidence concrète de la question préjudicielle sur les procédures judiciaires engagées par la Ville de Paris depuis le 15 novembre 2018.
Suite à l’arrêt de la cour de cassation du 15 novembre 2018, le Tribunal judiciaire de Paris et la Cour d’appel de Paris saisis des assignations de la Ville de Paris ont jugé cohérent de prononcer également le sursis à statuer de toutes les affaires en cours dans l’attente de l’arrêt de la Cour de justice.
Si la Ville de Paris a continué d’assigner les propriétaires depuis le 15 novembre 2018, toutes les affaires enrôlées au Tribunal ont automatiquement fait l’objet de sursis à statuer prononcés d’office par les juges.
C’est la raison pour laquelle à ce jour plus de 300 affaires sont enrôlées au Tribunal et « gelées » dans l’attente d’une reprise des débats.
Il a été prévu par le Tribunal qu’une fois l’arrêt rendu de la cour de justice, la partie la plus diligente (la Ville de Paris ou l’avocat du propriétaire assigné) pouvait réengager l’affaire.
Mais comme il sera démontré ci-après, la cohérence juridique et une bonne administration de la justice supposerait que la Ville de Paris attende l’arrêt de la Cour de cassation sur la conformité de la réglementation locale parisienne avant de réengager ces affaires.
III - Les enseignements de l’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne.
Il convient de retenir deux éléments de l’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne :
1 Le dispositif national de l’article L.631-7 du Code de la construction est conforme au droit de l’union et un état peut invoquer cet article pour restreindre dans certaines l’autorisation de la commune pour conditionner un régime d’autorisation préalable en vue de pouvoir exercer une activité de location meublée touristique. La cour invoque un motif impérieux d’intérêt général tenant à la lutte contre la pénurie de logements.
2 Si le dispositif national n’est pas remis en question, le pouvoir conféré par le texte aux autorités locales de préciser leur propre régime d’autorisation reste particulièrement contrôlé par la Cour de justice.
IV - Lumière sur 5 motifs susceptibles de censurer le dispositif parisien par la Cour de cassation.
1- Sur la condition de fixer des critères clairs, non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance et enfin transparents et accessibles.
Dans son arrêt (§77), la CJUE se penche sur le texte de l’article 631-7 du CCH qui confie le soin aux autorités locales (exemple à Paris) le pouvoir de préciser dans le cadre fixé par cette réglementation les conditions d’octroi des autorisations prévues par ce régime.
Or, la Cour rappelle que ce régime d’autorisation doit reposer sur des critères qui encadrent l’exercice du pouvoir d’interprétation des autorités compétentes afin que celle ci ne soit pas utilisée de manière arbitraire.
Conformément à la directive, ces critères doivent être justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnels à cet objectif d’intérêt général, clairs non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance et enfin transparents et accessibles.
De façon intéressante, la Cour rappelle qu’il appartient au juge national, seul compétent pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale de déterminer s’i est en l’occurrence satisfait à ces exigences.
Il reviendra donc ici à la Cour de cassation saisie de la réglementation parisienne de s’assurer de la conformité de ces critères. Actuellement, cette démonstration n’a pas été tranchée par la Cour de cassation.
2- Sur l’exigence de proportionnalité du mécanisme de compensation offert aux communes.
La Cour examine dans son arrêt (§81) le mécanisme de compensation mis en œuvre et déléguée aux communes.
Rappelons que le mécanisme de compensation porte sur la faculté pour un propriétaire de changer l’usage de son bien, soit en transférant la commercialité d’un local commercial qu’il possède en habitation, soit en achetant directement cette commercialité.
La cour rappelle qu’un tel mécanisme constitue en principe un instrument adéquat de poursuite des objectifs de mixité sociale de l’habitat sur son territoire, d’offre suffisante de logements et de maintien des loyers à un niveau abordable.
Toutefois, la Cour précise que cette faculté reconnue par la réglementation nationale aux autorités locales ne doit pas aller au delà de ce qui est nécessaire pour atteindre leur objectif.
Aux fins de cette appréciation, la Cour précise « qu’il appartient au juge national de vérifier, à la lumière de l’ensemble des éléments mis à sa disposition si cette faculté répond effectivement à une pénurie de logement destinés à la location longue durée, constatée sur les territoires concernés ».
La cour réclame ici des études précises.
La Ville de Paris devra justifier de ces études pour démontrer la régularité de sa réglementation.
Il reviendra donc ici à la Cour de cassation saisie de la réglementation parisienne de s’assurer de la conformité de ces critères fixés par la Cour de justice.
Actuellement, cette démonstration n’a pas été tranchée par la Cour de cassation.
3- Sur le quantum de l’obligation de compensation.
De même la CJUE invite la juridiction nationale de s’assurer que les autorités locales concernées de déterminer le quantum et l’obligation de compensation qu’elles ont fait le choix d’imposer s’avère non seulement adaptés à la situation du marché locatif mais également compatibles avec l’exercice de l’activité de meublé touristique.
De façon très intéressante, la Cour conditionne ce quantum sous la condition que l’usage de cette faculté soit conditionnée par la prise en considération des différences objectives de situation entre les territoires concernés, et partant permette de tenir compte des spécificités propres de chaque commune, voire de chaque quartier ou arrondissement de celle-ci.
Il reviendra donc ici à la Cour de cassation saisie de la réglementation parisienne de s’assurer de la conformité de ces critères fixés par la Cour de justice.
Actuellement, cette démonstration n’a pas été tranchée par la Cour de cassation.
4- Sur la prise en considération des modalités pratiques permettant de satisfaire à l’obligation de compensation dans la localité concernée.
Une fois encore au point §89 de l’arrêt, la Cour de justice invite la juridiction nationale de prendre en considération dans l’examen de la validité du texte, les modalités pratiques permettant de satisfaire à l’obligation de compensation dans la localité concernée.
De façon concrète, il est ici évoqué par la Cour la faculté pour un propriétaire qui souhaite réaliser un changement d’usage de disposer de deux façons :
Soit en réalisant une transformation en habitation d’un local dont il est déjà propriétaire ;
Soit en achetant ce droit de transformation à un autre propriétaire qui dispose de ce crédit de transformation.
Ce mécanisme est extrêmement opaque et complexe à comprendre. C’est la raison pour laquelle des sociétés spécialisées dans Paris se chargent d’en assurer la mission pour le compte de propriétaires. Dans ses conclusions, l’avocat général avait évoqué un jeu de Monopoly grandeur nature réservé à des professionnels aguerris.
Or, la Cour nous indique que « ces mécanismes doivent toutefois répondre à des conditions de marché raisonnables, transparentes et accessibles. »
Ayant conseillé des propriétaires désireux de réaliser ce type de changement d’usage je peux confirmer que ces trois conditions sont illusoires.
La démarche est complexe, l’offre de commercialité est inexistante en raison de l’absence ou presque de commercialité à vendre et enfin du coût extrêmement élevé voir dissuasif de cette dernière.
Pourtant, et de façon surabondante, la Cour rappelle que ces conditions cumulatives devront être contrôlées par la juridiction nationale.
Plus loin encore, la Cour de justice évoque au point 99 de son arrêt, qu’il importe que les autorités locales concernées (exemple : Paris) démontrent que les termes correspondant à la notion en cause d’une manière claire, non ambiguë et objective de sorte que la compréhension de cette notion ne laisse pas place au doute quant au champs d’application des conditions et des obligations ainsi arrêtées par les autorités locales.
La Cour insiste ici en précisant qu’une telle vérification est nécessaire compte tenu tout particulièrement du fait que la question de la clarté de la notion en cause se pose dans le cadre d’une procédure à laquelle devrai s’appliquer le principe général du droit de l’union de légalité des délits et des peines.
Une fois encore, il sera difficile pour la Ville de Paris d’apporter la démonstration de cette clarté de la notion présentée aux propriétaires.
Il reviendra donc ici à la Cour de cassation saisie de la réglementation parisienne de s’assurer de la conformité de ces critères. Actuellement, cette démonstration n’a pas été tranchée par la Cour de cassation.
5- Sur la clarté et l’objectivé suffisantes de l’article L631-7-1 du Code de la construction et de l’habitation.
La Cour évoque ici (§101) l’interrogation de la Cour de cassation sur la clarté et l’objectivé suffisantes de l’article L631-7 du CCH en ce qu’il prévoit que les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et fixées les compensations par quartier et, le cas échéant par arrondissement sont déterminées au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements.
Une fois encore, si la Cour de justice estime que ces critères posés par le législateur présentent un degré suffisant de précision et de clarté, il n’en demeure pas moins que la juridiction européenne invite la juridiction de renvoi, à savoir la Cour de cassation à se faire sa propre interprétation.
Il reviendra donc ici à la Cour de cassation saisie de la réglementation parisienne de s’assurer de la conformité de ces critères.
Actuellement, cette démonstration n’a pas été tranchée par la Cour de cassation.
Conclusion :
Contrairement à l’empressement de la Ville de Paris de crier victoire sur sa réglementation, force est de constater que l’arrêt de la Cour de justice s’est contenté de confirmer la validité du texte de l’article L631-7 et L631-7-1 dans sa portée nationale mais non locale.
Comme démontré ci-avant, la Cour de justice dresse pas moins de 5 critères au moins qui devront être examinés par la Cour de cassation pour vérifier la conformité du dispositif contraignant de la Ville de Paris.
Toute reprise du contentieux devant le Tribunal judiciaire avant le rendu de cet arrêt de la Cour de cassation serait donc prématurée et particulièrement fragile sur un plan juridique.
En effet, les jugements qui seraient rendus d’ici la fin de l’année 2020 pourraient être rendus en contradiction avec la position de la Cour de cassation et nourrir un abondant contentieux en appel inutile et coûteux pour le contribuable et les propriétaires.