En l’espèce, au cours d’une consultation relative à la situation économique et financière de l’entreprise menée au niveau du CSE central, le CSE d’établissement distinct du secteur d’activité cohésion d’une Association désigne un expert-comptable intervenir au cours de la procédure d’information-consultation.
L’employeur conteste la désignation de l’expert du CSE d’établissement et saisit le président du tribunal judiciaire afin d’obtenir l’annulation des délibérations ayant conduit à la désignation de l’expert.
Le 26 novembre 2021, le président du tribunal judiciaire déboute l’employeur de sa demande d’annulation. Le président considère que la consultation du seul CSE central n’éteint pas le droit du CSE d’établissement à désigner un expert pour prêter main-forte au CSE central.
La société, déboutée en première instance, se pourvoit en cassation. La société fait grief au jugement d’avoir estimé que le CSE d’établissement non consulté pouvait tout de même désigner un expert pour assister le CSE central dans sa mission consultative.
La Cour de cassation répond à la question suivante : un CSE d’établissement peut-il désigner un expert dans le cadre d’une consultation uniquement menée au niveau du CSE central ? La cour de cassation casse le jugement rendu par le président du tribunal judiciaire confirmant le « principe de concordance » [1] entre le niveau consulté et le recours à l’expertise. Seul le CSE consulté peut recourir à une expertise.
Le CSE à structure complexe.
En l’espèce, la société de l’entreprise dispose d’un CSE central avec au moins un CSE d’établissement distinct constitué.
Pour rappel, les entreprises de plus de 50 salariés comportant au moins deux établissements distincts sont dotées d’un CSE à structure complexe [2]. Le CSE à structure complexe comprend un double niveau de représentation, un niveau central avec le CSE central, et un niveau local avec au moins deux CSE établissements distincts. La structure complexe peut être mise en place par un accord collectif majoritaire [3] ou bien en l’absence de délégué syndical par l’adoption d’un accord à la majorité des membres titulaires du CSE [4] À défaut d’accord collectif, l’employeur peut procéder à la désignation du nombre et du périmètre des établissements distincts, en prenant en considération « l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel » [5].
En l’espèce, le litige s’inscrit au cours du processus de consultation récurrente relative « la situation économique et financière de l’entreprise » [6].
La compétence du CSE d’établissement.
En droit, l’ensemble des CSE constitués au sein d’une structure complexe sont dotés des mêmes compétences, néanmoins les compétences des CSE d’établissement distinct sont limitées par l’étendue des pouvoirs conférés au chef d’établissement [7].
Toutefois, en matière consultative au sein d’une structure complexe l’ensemble des CSE de l’entreprise ne sont pas nécessairement consultés.
En ce qui concerne la consultation relative à « la situation économique et financière », les partenaires sociaux peuvent procéder à l’organisation d’une consultation conjointe du niveau central et local ou à l’inverse, les partenaires sociaux peuvent centraliser au niveau du CSE central la consultation. [8]. À défaut d’accord, la loi organise une consultation unique du CSE central, sauf si l’employeur en décide autrement, dans ce cas l’employeur pourra organiser une consultation conjointe des CSE d’établissement avec le CSE central [9].
À ce titre, le président du tribunal judiciaire ainsi que les Conseillers de la chambre sociale constatent tout d’abord que, les partenaires sociaux n’ont pas souhaité organiser les consultations étant donné « l’absence d’accord collectif », puis les magistrats notent que l’employeur n’a pas non plus souhaité organiser une consultation conjointe au niveau local et central, alors les juges en concluent que la consultation doit être « conduite au niveau de l’entreprise ».
Le recours à l’expert.
Si le président du tribunal judiciaire estime que le CSE d’établissement n’est pas consulté il indique toutefois que le CSE d’établissement n’est pas pour autant privé de sa capacité de désignation d’un expert-comptable.
D’après le juge du fond, si le CSE central mène seul cette consultation il ne prive néanmoins « pas le comité social et économique d’établissement (de la possibilité) […] d’être assisté par un expert comptable pour l’examen des comptes annuels, et donc plus largement de la situation économique et financière de l’établissement pour pouvoir notamment se comparer avec les autres établissements ».
D’après le magistrat, la compétence consultative du CSE n’est pas une condition sine qua non pour recourir à un expert CSE. La présidence estime que l’absence de compétence consultative du CSE d’établissement ne prive pas le CSE de sa capacité à pouvoir se doter d’un expert, plus encore dans la mesure où l’expert interviendra dans les limites prescrites par le législateur, c’est-à-dire dans les limites du pouvoir du chef d’établissement. En d’autres termes, l’expert contribuera à l’étude uniquement en ce qui concerne les données relatives à l’établissement.
S’il apparaît que le président du tribunal judiciaire retient une interprétation résolument favorable au CSE d’établissement, celle-ci s’avère contraire à l’esprit du droit positif issu de l’ordonnance du 22 septembre 2017. C’est avant tout chose au titre de ses compétences consultatives que le CSE d’établissement peut s’adjoindre les services d’un expert pour l’assister dans cette tâche. La loi conditionne le recours à expert à la capacité du CSE à être consulté [10]. La Cour de cassation avait ainsi eu l’occasion de l’affirmer clairement dans deux arrêts de mars 2022 (Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-16.002 ; Cass. soc., 9 mars 2022, n° 20-19.974), en précisant que : « le comité social et économique d’établissement peut faire appel à un expert (…) lorsqu’il est compétent conformément aux dispositions du Code du travail ». La doctrine précisait alors que : pour le CSE d’établissement, le droit à désignation d’un expert est conditionné à la compétence du CSE », concluant qu’il existait dès lors un « principe de concordance » entre la capacité consultative et le recours à l’expertise. [11].
Au vu de l’état du droit positif, la Cour de cassation en conclut que « (…) le comité social et économique de l’établissement ne pouvait recourir à une expertise (…) ». La Cour de cassation rend un arrêt en totale adéquation avec sa jurisprudence de mars 2022 et confirme le « principe de concordance » entre la capacité consultative et le recours à l’expertise.
Derrière cette question du recours à l’expertise, l’enjeu était résolument financier, en droit, les frais engagés lorsqu’un expert est désigné au cours d’une consultation relative à la situation financière et économique de l’entreprise sont pris en charge à 80% par l’employeur. Alors qu’en cas de désignation de l’expert « libre », lorsque l’expert est désigné hors consultation, les frais engagés sont entièrement supportés par le CSE. En l’espèce, le CSE d’établissement entendait bénéficier du dispositif de cofinancement de l’expert alors même qu’il n’était pas consulté. La Cour de cassation rappelle implicitement que si le CSE veut faire appel à un expert, il devra le faire au titre du régime de l’expert « libre » et par conséquent en assumer la charge financière.
En conclusion, cet arrêt sonne le glas des désignations multiples d’experts de CSE d’établissements distincts qui intervenaient pour assister le CSE central unique institution représentative du personnel consulté.
Que retenir : un CSE d’établissement non consulté dans le cadre d’une consultation récurrente de ne pas procéder à la désignation d’un expert-comptable.