Introduction.
Les cryptomonnaies, apparues au début des années 2000 avec la création du Bitcoin par le pseudonyme Satoshi Nakamoto, ont radicalement transformé l’univers des échanges financiers. Ces actifs numériques, souvent caractérisés par leur nature décentralisée et leur anonymat relatif, ont posé des défis inédits aux régulateurs et aux législateurs du monde entier. Si leur origine remonte à un projet anarcho-libertarien visant à offrir une alternative au système financier traditionnel, l’essor des cryptomonnaies a entraîné des débats mondiaux sur leur statut juridique.
Le statut juridique des cryptomonnaies revêt une grande complexité. Elles oscillent entre la monnaie, les valeurs mobilières, les marchandises, et parfois même des actifs financiers. Selon les juridictions, la régulation de ces monnaies numériques varie largement, laissant place à des incertitudes et des zones d’ombre dans la pratique juridique.
Cet article a pour objectif de fournir une analyse juridique du statut des cryptomonnaies à travers le prisme des régulations nationales et internationales, en s’attardant particulièrement sur les questions fiscales, financières et contractuelles. Il s’intéressera aussi à la nature juridique des cryptomonnaies dans le cadre des transactions, de leur usage, ainsi que des implications pour les investisseurs, les consommateurs et les autorités publiques.
1. La nature juridique des cryptomonnaies : monnaie, actif numérique ou marchandise ?
1.1. Les cryptomonnaies comme monnaie.
La première question fondamentale qui se pose dans le débat juridique est de savoir si les cryptomonnaies peuvent être qualifiées de monnaie. La monnaie classique, dans son sens juridique, est généralement définie comme un instrument d’échange accepté par une société dans ses transactions économiques. Elle remplit trois fonctions principales : unité de compte, réserve de valeur et moyen de paiement.
Dans le cas des cryptomonnaies, bien qu’elles soient principalement utilisées comme moyen de paiement dans certaines transactions, leur volatilité extrême et leur absence de contrôle par une banque centrale compliquent leur catégorisation en tant que monnaie au sens strict. De plus, certaines cryptomonnaies (comme le Bitcoin) ne sont pas garanties par une autorité centrale ou un actif sous-jacent, ce qui les distingue fondamentalement des monnaies traditionnelles.
Certains régulateurs, comme la Banque centrale européenne (BCE), ont défini les cryptomonnaies comme des actifs numériques et non comme des monnaies au sens légal du terme. En effet, le Bitcoin ou l’Ethereum ne sont pas émis par une autorité monétaire centrale et ne sont pas considérés comme ayant le statut de monnaie légale. Par conséquent, bien qu’elles puissent être utilisées pour acheter des biens ou des services, elles ne sont pas légalement reconnues comme monnaie dans la majorité des juridictions.
1.2. Les cryptomonnaies comme actifs numériques.
Une autre approche juridique dominante est de considérer les cryptomonnaies comme des actifs numériques. Cette notion permet d’admettre que les cryptomonnaies sont des valeurs mobilières non régulées, à la fois échangeables et stockables, mais qui ne répondent pas aux critères légaux des monnaies ou des titres financiers. De nombreuses juridictions, notamment aux États-Unis et en Europe, ont adopté cette classification.
Le statut d’actif numérique permet aux cryptomonnaies de s’intégrer dans un cadre juridique plus souple et d’être traitées sous l’angle des transactions privées ou des contrats civils. En tant qu’actifs numériques, elles peuvent être achetées, détenues, et échangées sur des plateformes spécialisées sans être soumises aux mêmes règles que les monnaies traditionnelles. Cela donne aux cryptomonnaies une légitimité commerciale, mais sans reconnaissance formelle de leur pouvoir d’achat dans le cadre légal des transactions.
1.3. Les cryptomonnaies comme marchandises.
Dans certaines juridictions, les cryptomonnaies sont également considérées comme des marchandises. Cela est particulièrement le cas en Amérique du Nord, où des régulateurs comme la Commodities Futures Trading Commission (CFTC) ont affirmé que des actifs comme le Bitcoin peuvent être traités comme des marchandises, semblables à l’or ou au pétrole, en raison de leur nature d’échange et de leur négociabilité sur des marchés financiers. Cette approche permet aux cryptomonnaies d’être traitées comme des objets de contrats à terme et des produits dérivés, donnant ainsi aux investisseurs un cadre juridique relatif à leur négociation.
Dans ce cadre, les cryptomonnaies peuvent être assujetties à des réglementations spécifiques relatives à la fiscalité des marchandises et aux marchés de matières premières. Cependant, cette qualification implique que les cryptomonnaies ne sont toujours pas considérées comme des monnaies légales et peuvent avoir des applications juridiques limitées.
2. La régulation des cryptomonnaies : approches juridiques nationales.
2.1. Le statut des cryptomonnaies en Europe.
En Europe, le statut des cryptomonnaies varie selon les pays membres. À un niveau supranational, la Banque centrale européenne a souligné que les cryptomonnaies, bien qu’utilisées comme moyen de paiement, ne peuvent pas être considérées comme des monnaies légales. Cependant, elles peuvent être régulées sous le statut de valeurs mobilières ou de marchandises en fonction de leur usage.
Le Règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), qui est en cours de préparation, vise à offrir un cadre régulatoire pour les crypto-actifs en Europe. Il prévoit une régulation harmonisée des plateformes d’échange de cryptomonnaies et des services de portefeuille numérique. Ce règlement cherche à encadrer les risques liés aux cryptomonnaies, en particulier celles qui pourraient être considérées comme des valeurs mobilières (ex : Security Tokens).
2.2. Le statut des cryptomonnaies aux États-Unis.
Aux États-Unis, le statut juridique des cryptomonnaies est également sujet à débat. La Securities and Exchange Commission (SEC) considère certaines cryptomonnaies comme des titres financiers lorsqu’elles répondent à la définition des securities sous la loi américaine. Cela est notamment le cas pour les Initial Coin Offerings (ICO) où des actifs numériques sont émis en tant qu’investissements. Ces ICO peuvent être soumis aux régulations des valeurs mobilières des États-Unis.
En revanche, le Bitcoin et d’autres cryptomonnaies ne sont pas considérés comme des titres financiers mais comme des marchandises sous la régulation de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC). Cela permet aux cryptomonnaies de ne pas être soumises aux régulations des valeurs mobilières mais plutôt à celles des produits de marchandises.
2.3. La régulation en Asie.
En Asie, les régulations sont très variées. Par exemple, au Japon, les cryptomonnaies sont reconnues comme monnaies légales depuis 2017, ce qui leur confère une légitimité et une reconnaissance institutionnelle. En revanche, la Chine a adopté une approche radicale en interdisant complètement les cryptomonnaies et leur utilisation dans les transactions financières. Les cryptomonnaies sont donc soumises à des régulations extrêmement sévères, qui comprennent des interdictions des plateformes de trading locales et des mesures restrictives sur leur utilisation.
3. Le statut fiscal des cryptomonnaies : implications et défis.
3.1. La fiscalité des cryptomonnaies en Europe.
Le statut fiscal des cryptomonnaies reste flou dans de nombreuses juridictions. En Europe, les cryptomonnaies sont généralement considérées comme des actifs financiers et sont donc assujetties à des impôts sur les plus-values lorsque leur valeur augmente entre l’achat et la vente. La fiscalité peut varier considérablement d’un pays à l’autre. Par exemple, en France, les gains réalisés par des particuliers sur les cryptomonnaies sont soumis à l’impôt sur les plus-values mobilières, tandis qu’en Allemagne, les gains sur Bitcoin sont exonérés d’impôts après un délai de détention de 1 an.
3.2. Les cryptomonnaies et les transactions internationales.
La nature transfrontalière des cryptomonnaies complique davantage leur régulation fiscale. Les régulateurs du monde entier sont confrontés à la difficulté de taxer des transactions qui se produisent sans intermédiaire, à travers des frontières nationales et sans preuve matérielle immédiate de leur origine. Il existe une lente adaptation des régulations fiscales internationales, notamment en ce qui concerne les règles de déclaration des revenus liés aux cryptomonnaies.