En effet, l’objectif du Règlement MiCA est de mettre en place un cadre global sur les crypto-actifs au sein de l’Union européenne, dont l’absence
« pourrait (…) entraîner une fragmentation réglementaire, ce qui fausserait la concurrence dans le marché unique, rendrait plus difficile pour les prestataires de services de crypto-actifs de développer leurs activités sur une base transfrontalière et donnerait lieu à un arbitrage réglementaire » [1].
Si la volonté affichée d’encourager l’innovation semble, en pratique, parfois contradictoire avec les mesures réellement mises en place au niveau du cadre applicable aux services entourant les crypto-actifs - sujet à part entière qui fera l’objet d’un article indépendant - tel n’est pas le cas pour le nouveau régime des offres au public de crypto-actifs.
L’attrait principal des offres au public de crypto-actifs [2] est que leur fonctionnement permet de revenir au cœur de ce qui a fait, un temps, la philosophie du crowdfunding. C’est-à-dire, cette idée qu’on pouvait faire financer par une communauté de soutiens, un projet innovant pour lequel les banques n’auraient jamais accordé de financement.
Cependant, l’écosystème du financement participatif est monopolisé par les plateformes intermédiaires en financement participatif, ayant pour effet de réinjecter de l’intermédiation là où les parties prenantes voulaient du lien direct.
Or, une « ICO » a ceci de séduisant qu’elle remet le porteur de projet au centre de la levée de fonds, en rétablissant le contact direct avec les investisseurs. En outre, par son caractère décentralisé, une levée de fonds en crypto-actif permettait pour certains émetteurs de s’affranchir des contraintes règlementaires imposées aux plateformes en ligne.
Le prix à payer de cette liberté retrouvée a été l’image peu à peu dégradée de ces levées de fonds, qui ont surtout fait parler d’elles pour leurs nombreuses dérives, ces dernières années.
C’est dans ce contexte qu’en 2019, la Loi PACTE a créé un régime spécifique à l’offre au public d’actifs numériques, notion définie dans le Code monétaire et financier et qui recouvre, à la fois les « monnaies virtuelles » telles que le Bitcoin, et les « jetons utilitaires », qui représentent
« sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien » [3].
Bien que construit sur la base d’une consultation publique [4] menée par l’Autorité des marchés financiers auprès des acteurs du secteur, ce régime - qui s’articule autour d’un visa optionnel en contrepartie duquel les émetteurs sont libres de leur communication au public - s’est révélé relativement mal équilibré.
De fait, loin d’encourager le financement des projets innovants, les acteurs se sont totalement désintéressés du visa puisqu’en trois ans, la liste des offres de jetons [5] ayant obtenu un visa de l’AMF ne comporte que trois émetteurs.
Le nouveau régime « MiCA » est donc une bonne nouvelle pour les levées de fonds en crypto-actifs, car il va indubitablement améliorer le cadre national (I), même si plusieurs incertitudes demeurent (II).
I. Un régime européen empreint de pragmatisme.
Le régime « MiCA » applicable aux offres publiques de crypto-actifs est une combinaison plutôt réussie du régime de la loi PACTE et du régime applicable aux offres au public de titres financiers.
Sont exclus les crypto-actifs relevant de la législation européenne existante en matière de services financiers.
A. De nouvelles définitions pour les crypto-actifs.
L’article 3 de la proposition de Règlement MiCA donne de nouvelles définitions de l’offre au public et des crypto-actifs concernés.
Là où le Code monétaire et financier ne distinguait qu’entre deux catégories de crypto-actifs - les monnaies virtuelles et les « jetons utilitaires » - qui paraissent aujourd’hui largement dépassées, le Règlement européen va plus loin dans la distinction :
« crypto-actif » - qui semble être une catégorie par défaut ou résiduelle - : « une représentation numérique d’une valeur ou d’un droit qui peut être transférée et stockée électroniquement, en utilisant la technologie du grand livre distribué ou une technologie similaire » ;
« jeton référencé par rapport à un autre actif » - ou stablecoin - : « un type de crypto-actifs qui n’est pas un jeton de monnaie électronique et qui prétend maintenir une valeur stable en se référant à toute autre valeur ou droit ou à une combinaison de ceux-ci, y compris une ou plusieurs monnaies officielles » ;
« jeton de monnaie électronique » : « un type de crypto-actifs qui prétend maintenir une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie officielle » ;
« jeton utilitaire » : « un type de crypto-actifs qui est uniquement destiné à donner accès à un bien ou à un service fourni par l’émetteur de ce jeton ».
On peut d’ores déjà saluer l’intention du Règlement qui pose une définition fondée sur les usages, sans pour autant être trop restrictive, des différentes catégories de crypto-actifs.
La définition de l’offre au public s’offre également un petit lifting qui parait bien plus précise :
Régime Loi PACTE : fait de « proposer au public, sous quelque forme que ce soit, de souscrire à des jetons » ;
Régime MiCA : « communication à des personnes, sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit, présentant des informations suffisantes sur les conditions de l’offre et les crypto-actifs à offrir, afin de permettre aux détenteurs potentiels de décider d’acheter ces crypto-actifs ».
Les législateurs européens ont également pris le soin d’exclure ou d’inclure formellement, dans le cadre du périmètre de l’offre au public, certaines catégories d’activités qui soulevaient l’interrogation des professionnels.
Ainsi, les distributions gratuites de crypto-actifs - airdops - sont exclues, qu’elles soient ou non issues de récompenses dans le cadre d’une activité de minage, sauf lorsqu’elles ont une contrepartie visible ou cachée - par exemple, la transmission de données monétisables.
Les Initial exchange offering - soit la pratique qui consistait pour de nombreux émetteurs à contourner la loi PACTE en passant par l’intermédiaires de plateformes d’échange - sont désormais encadrées. Ce service est désormais encadré par l’article 4bis du Règlement, qui prévoit, notamment, que l’opérateur de la plateforme d’échange peut être garant des obligations de l’émetteur.
B. Une procédure majoritairement calquée sur les offres au public de titres financiers.
Comme le régime du visa Loi PACTE, le nouveau régime européen ne s’applique pas aux crypto-actifs dont le sous-jacent est un instrument financier défini à l’article L211-1 du Code monétaire et financier. En effet, ces actifs sont d’ores et déjà régulés par l’intermédiaire du Règlement UE 2020/1503, dit « Prospectus ».
Afin d’assurer une délimitation claire entre les crypto-actifs couverts par le Règlement MiCA et ceux qui relèvent de la qualification d’instruments financiers, il est prévu que dans un délai de 18 mois à compter de l’entrée en vigueur du Règlement, l’Autorité Européenne des Marchés Financiers publiera des lignes directrices sur les critères et les conditions de qualification des crypto-actifs en tant qu’instruments financiers. En attendant, on peut d’ores et déjà s’appuyer sur l’analyse réalisée par l’Autorité des marchés financiers en France sur les produits dérivés sur crypto-monnaies.
Le régime MiCA distingue trois procédure distinctes : la procédure applicable aux offres de crypto-actifs autres que les jetons de monnaie électronique ou les jetons référencés, et les procédures spécifiques à ces deux catégories d’actifs.
Les offres de jetons de monnaie électroniques et de jetons référencés ne sont pas détaillées dans cet article car elles sont plus complexes, et font l’objet d’un traitement particulier.
Il convient par conséquent de s’arrêter sur l’offre de crypto-actifs qui concerne, tout à la fois la catégorie résiduelle, et les jetons utilitaires.
Sur le modèle du « prospectus » préalable aux offres d’instruments financiers, et tout comme la procédure de visa, le régime MiCA prévoit la publication d’un document d’information - « livre blanc » - assorti d’obligations informatives, lequel devra, ainsi que, plus généralement, toute la communication commerciale de l’émetteur être notifié à l’autorité de régulation compétente.
Cependant, le régime prévoit une simple notification, sans prérogative d’approbation ex ante par l’autorité de régulation compétente.
Cependant, le régime prévoit une simple notification, sans prérogative d’approbation ex ante par l’autorité de régulation compétente.
C. Un formalisme renforcé en contrepartie de contraintes allégées.
Alors que le régime français ne prévoyait aucune obligation de solliciter le visa et par conséquent, de satisfaire à la procédure requise - publication d’un document d’information, respect des obligations d’information et de transparence vis-à-vis des consommateurs, le régime européen rend ces formalités obligatoires, et les renforce sur le volet propre à la protection des investisseurs et, plus spécifiquement, des consommateurs.
En effet, l’offre de crypto-actifs n’est autorisée que pour les personnes morales. Ce faisant, les communications à destination du public doivent respecter certaines exigences qui sont déjà impératives par ailleurs, mais qu’il n’est jamais inutile de rappeler.
Par exemple, que les communications commerciales ne doivent pas constituer de publicité et/ou de pratiques commerciales trompeuses, ou que le livre blanc doit contenir toutes les informations précontractuelles nécessaire à obtenir le consentement éclairé de l’investisseur.
Cependant, l’article 4 du Règlement prévoit tout une série d’exemptions qui permettent aux émetteurs d’alléger, voire de supprimer le formalisme, en miroir du Règlement Prospectus :
en deçà d’un seuil de « 150 personnes physiques ou morales par État membre lorsque ces personnes agissent pour leur propre compte » ;
lorsque, « sur une période de 12 mois, à compter du début de l’offre, la contrepartie totale d’une offre au public de crypto-actifs dans l’Union ne dépasse pas 1 000 000 EUR, ou le montant équivalent dans une autre monnaie ou en crypto-actifs » ;
lorsque l’offre s’adresse à des investisseurs qualifiés.
Par ailleurs, les offres portant sur des biens ou service existants ou en cours ne sont pas concernées par l’application du Règlement.
Enfin, le nouveau régime prévoit une exemption similaire à celle de « réseaux limités » qui avait été introduite par la directive sur les services de paiement - DSP2 - et qui concernent le cas où le détenteur des jetons ne pourra les utiliser qu’auprès d’un réseau limité de commerçants ayant un lien contractuel avec l’émetteur.
Et surtout, le Règlement supprime les restrictions publicitaires qui se sont avérées totalement contreproductives. En effet, avec la loi PACTE ont été introduits les articles L222-16-1 et L222-16-2 du Code de la consommation qui ont interdit 4 actes positifs pour les émetteurs « non visés » ainsi que, parfois, leurs intermédiaires : le démarchage, le quasi-démarchage, le parrainage et le mécénat. Leur définition trop vague et par conséquent leur périmètre mal défini - surtout le quasi-démarchage, d’une rare imprécision - ont fini par décourager de nombreux acteurs et ont même encouragé une certaine opacité des conditions de l’offre.
En effet, afin de contourner le seuil des 150 personnes à partir desquelles l’offre, accessible, devenait soumise aux interdictions, de nombreux émetteurs se trouvaient obligés de « dispatcher » les informations par le biais de communications « en entonnoir » - site internet, puis Discord, ou Telegram. Le dispositif qui se voulait protecteur des investisseurs a finalement restreint leur accès à une information claire et accessible.
II. Des incertitudes qui demeurent.
A. Des incertitudes liées à l’effet de seuil.
Comme le régime Loi PACTE, le régime MiCA conserve un seuil d’accessibilité au-delà duquel une offre n’est pas considérée comme régulée.
Cet effet de seuil a posé quelques difficultés pratiques d’interprétation, comme par exemple, les actes positifs permettant d’établir qu’une offre est « accessible ». En effet - contrairement aux services sur actifs numériques qui ont fait l’objet d’une instruction [6] à ce sujet - il n’existe pas de définition propre aux levées de fonds de la « communication à caractère promotionnel ».
En outre, se pose encore et toujours la question de la territorialité d’une offre, quand celle-ci se réalise en ligne et donc, par définition, dans un cadre supra territorial.
B. Des incertitudes liées à l’extraterritorialité des offres.
Faut-il comprendre qu’une offre est « publique » dès lors qu’elle est proposée à 150 investisseurs ou plus résidant en France et, dans ce cas, quels sont les critères permettant de considérer que l’offre est accessible à un public « français » ? Ni le Code monétaire et financier, ni le RGAMF ne donnent matière à lever cette incertitude.
A ce titre, il est précisé à l’article 5.9 du Règlement MiCA que
« Le livre blanc sur les crypto-actifs est rédigé dans une langue officielle de l’État membre d’origine, ou dans une langue usuelle dans la sphère de la finance internationale. Si le crypto-actif est proposé dans un autre État membre, le livre blanc sur les crypto-actifs est rédigé dans une langue officielle de l’État membre d’accueil, ou dans une langue usuelle dans la sphère de la finance internationale ».
La langue dans laquelle le livre blanc sera rédigée pourra donc être un critère de rattachement territorial à tel ou tel Etat membre.
Cependant, l’anglais demeurant la langue usuellement employée dans le monde des affaires, il y a peu de chances que cette disposition règle définitivement le problème de la détermination du champ d’application de l’offre et par voie de conséquence, de l’autorité compétente.
Note de l’auteur : Mon article se base sur le texte final de la proposition de règlement MiCA qui a été rendue publique en anglais uniquement. Les traductions dans les langues des États membres ne se font que lors de la publication officielle. Par conséquent le contenu des définitions que je donne dans cet article peut différer de ma traduction personnelle.