Publicité comparative : l’arroseur arrosé (CA Paris, 21 octobre 2020).

Par Jérôme Tassi, Avocat.

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Explorer : # publicité comparative # dénigrement # caractère trompeur # préjudice moral

L’affaire Lidl/Itm est originale puisque Lidl a reproché à Itm d’avoir diffusé des vidéos dénigrantes et reprenant les codes de sa propre campagne publicitaire. A titre reconventionnel, Itm soutenait que les vidéos initiales de Lidl constituaient une publicité comparative illicite puisqu’elles portaient sur une appréciation gustative, exclusive de toute objectivité. Les deux sociétés sont condamnées pour leurs vidéos respectives, mais, sur le plan financier, la condamnation de Lidl pour publicité comparative illicite est supérieure aux vidéos diffusées par Itm, considérées comme dénigrantes et trompeuses.

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En 2016, la société Lidl a diffusé une campagne de publicité désignée « Deux "J’aime !" mais pas au même prix ». Le principe consistait à faite goûter par un comédien les produits de marque Lidl avec les produits équivalents de marques connues. Le comédien confirmait aimer les produits de la même façon (puisque l’intonation du « j’aime » était identique), et la publicité se terminait sur une mise en avance du prix réduit des produits Lidl.

La société Itm Alimentaire International, en charge de la stratégie et de la politique commerciale des enseignes de distribution alimentaire du Groupement des Mousquetaires et notamment de la marque Intermarché, a diffusé sur les réseaux sociaux des vidéos s’inspirant des publicités de Lidl de manière humoristique et se terminant par la phrase :

« quand Lidl fait tester ses produits par des comédiens, chez Intermarché c’est vous qui testez ».

L’affaire avait fait l’objet d’une médiatisation [1].

Lidl a pris l’initiative d’assigner Itm devant le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir le retrait des vidéos litigieuses diffusées sur les réseaux sociaux, et a obtenu gain de cause.

Saisie d’un recours, la Cour d’appel a statué principalement sur deux questions : la licéité des publicités de Lidl (1) et les caractères dénigrant et trompeur des vidéos diffusées par Itm (2).

1. Les publicités de Lidl et la publicité comparative.

A titre reconventionnel, Itm considérait que les publicités de Lidl constituaient une publicité comparative illicite puisqu’elles portaient sur une comparaison gustative, par nature subjective.

L’article L122-1 du Code de la consommation prévoit que :

« toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n’est licite que si :
1° Elle n’est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
2° Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;
3° Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie
 ».

En raison de l’exigence d’objectivité, la jurisprudence juge classiquement qu’

« il est donc exclu qu’elle porte sur des caractéristiques du produit qui relèvent de l’appréciation personnelle, comme le goût, l’odeur, l’esthétisme, invérifiables par le consommateur » [2].

Dans les publicités de Lidl, il était sous-entendu (mais de façon évidente) que les produits avaient le même goût puisque la personne essayant successivement les produits comparés prononçait un « j’aime » de façon identique.

La Cour d’appel rappelle la règle selon laquelle

« l’introduction du goût comme critère de comparaison des produits constitue en effet un élément subjectif invérifiable par le consommateur. Cette appréciation subjective exclut toute comparaison objective ».

Or, en considérant les produits comme équivalents à travers la réaction du comédien, la publicité de Lidl fait porter la comparaison implicitement mais nécessairement sur le goût, ce qui n’est pas admissible dans le cadre d’une publicité comparative.

La publicité de Lidl est donc considérée comme illicite.

Il faut relever que l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) avait émis un avis favorable sur cette publicité mais cet avis est, selon la Cour, sans incidence sur la licéité de la publicité comparative.

Le préjudice moral subi par Itm est évalué à 50 000 euros compte tenu de l’ampleur de la diffusion de la publicité et notamment des 15 millions d’euros engagés par Lidl pour cette campagne.

2. Les vidéos de Itm : dénigrement et caractère trompeur.

Lidl demandait le retrait des publicités diffusées par Itm sur le fondement du dénigrement [3]. Selon la définition classique en jurisprudence, le dénigrement

« consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits, l’entreprise ou la personnalité d’un concurrent pour en tirer profit » [4].

La Cour d’appel reproche à Itm d’avoir repris les éléments des publicités de Lidl, en détaillant en particulier une des publicités : « En particulier s’agissant de sa vidéo publicitaire portant sur le café de marque Grand-mère et le café de marque Lidl, Itm met en scène, comme la publicité X, un homme moustachu habillé d’une chemise rouge à fleurs assis à une table sur laquelle sont posées deux tasses à café, une femme portant la même chemise lui faisant face ; » le spot reprend les prix de chacun des cafés qui apparaissent à l’écran : 5,56 euros pour le café Grand-mère et 3,37 euros pour le café de marque Lidl comme ceux figurant dans la publicité Lidl ainsi que le même jeu des acteurs à la différence que, lorsque l’homme goûte le café de la marque Lidl ainsi qu’il résulte du positionnement du prix, il répète à plusieurs reprises « J’aime » avec différentes intonations jusqu’à ce qu’intervienne un homme dont on comprend qu’il est le réalisateur de la publicité, lui imposant de faire preuve de conviction dans son affirmation, le spot s’achevant par le message sonore :

« quand Lidl fait tester ses produits par des comédiens, chez Intermarché c’est vous qui testez ».

Itm soutenait principalement que les publicités visaient à dénoncer de manière humoristique une publicité comparative illicite en reprenant les codes de cette publicité. Itm invoquait également le caractère parodique des vidéos, par analogie avec l’exception de parodie prévue en droit d’auteur.

La Cour d’appel ne suit pas l’argumentation d’Itm car les vidéos « ternissent l’image des produits de la marque en laissant penser aux consommateurs que ceux-ci ne sont pas aussi bons que ceux des marques nationales » en dépit de leur caractère humoristique.

Les vidéos sont également condamnées sur le fondement du caractère trompeur car elles laissaient entendre que les comparaisons réalisées par Lidl ne reposaient pas sur de vrais tests auprès de consommateurs.

Or, Lidl a justifié avoir réalisé de véritables études auprès de consommateurs et Itm n’établit pas la preuve contraire par l’article de presse qu’elle produit faisant état de soupçons de traitement fictif des études commandées.

En revanche, le grief de parasitisme n’est pas retenu contre les spots diffusées par Itm, d’une part, en raison de leur caractère parodique (« en parodiant la campagne de Lidl dans le but de mettre en évidence le mécanisme purement subjectif d’une comparaison du goût des produits sur un mode burlesque en mettant l’accent sur le jeu des comédiens, Itm n’a pas cherché à s’approprier indûment le bénéfice de cette publicité »), et, d’autre part, en raison de la courte durée de leur diffusion (treize jours).

Au niveau du préjudice, la perte d’image et le préjudice moral subis par Lidl sont évalués à 40 000 euros. La publicité de la décision n’est, en revanche, pas accordée.

En conclusion, Lidl qui est à l’initiative de l’action obtient gain de cause plusieurs années après la diffusion des vidéos, mais se voit condamnée pour publicité comparative illicite à une somme plus importante que celle obtenue pour ses propres demandes.

Jérôme Tassi,
Avocat au Barreau de Paris
Spécialiste en propriété intellectuelle
www.agilit.law
jerome.tassi chez agilit.law

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Notes de l'article:

[2CA Versailles, 19 Septembre 2013, n° 12/07604.

[3Article 1240 du Code civil.

[4CA Lyon, 7 novembre 2019, n° 16/0549.

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