Le principe de proportionnalité et la demande de destruction-reconstruction.

Par Dimitri Seddiki-Défossé, Avocat.

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Explorer : # principe de proportionnalité # construction # non-conformité # exécution forcée

Le contrat privé est de plus en plus marqué par la recherche d’un équilibre entre les droits et obligations des parties, d’abord au moment de sa formation, puis de son exécution comme l’illustre la consécration de la théorie de l’imprévision. Logiquement, la question de la sanction de l’inexécution contractuelle tend à suivre cette voie, et le principe de proportionnalité en matière de demande de destruction-reconstruction d’un immeuble en est une parfaite expression.

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En matière de construction, ce principe de proportionnalité vient mettre fin à la hantise des entrepreneurs suite à l’arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2005 et sa sanction particulièrement sévère.

En l’espèce, un couple avait assigné son constructeur afin d’obtenir sa condamnation à démolir puis reconstruire la maison affectée de non-conformités, ou, à défaut, sa condamnation au paiement d’une somme équivalente au coût des opérations de démolition et de reconstruction.

Le niveau de la construction présentait une insuffisance de 33 centimètres par rapport aux stipulations contractuelles...

La Cour d’appel rejetait toutefois la demande de destruction au motif que la non conformité aux stipulations contractuelles ne rendait pas l’immeuble impropre à sa destination ou à son usage et ne portait pas sur des éléments essentiels et déterminants du contrat.

Saisie par les demandeurs, la Cour de cassation juge que l’exécution forcée du contrat ne suppose pas que l’inexécution porte sur un élément essentiel et déterminant du contrat mais rappelle, au visa de l’ancien article 1184 du Code civil « que la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible »

Il ressort de cette motivation que le seul obstacle possible à l’exécution forcée d’un contrat serait son « impossibilité » matérielle ou juridique.

Il y a par exemple impossibilité juridique d’ordonner la délivrance d’un local objet d’un contrat de bail qui aurait été reloué à un tiers durant une procédure opposant le bailleur et le preneur initial (Civ. 1re, 27 nov. 2008, no 07-11.282).

Toutefois, cette solution retenue en 2005 n’a plus lieu d’être depuis l’avènement d’un second critère cumulatif : la proportionnalité. C’est ce qu’illustre l’arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2021 (n° 20-17.218).

En l’espèce, après expertise, un maître d’ouvrage avait assigné son constructeur en demandant la « déconstruction-reconstruction » de plusieurs maisons et la réalisation des travaux nécessaires à la livraison de maisons strictement conformes aux stipulations contractuelles.
Cette demande sera rejetée par la Cour d’appel au motif que les non-conformités invoquées ne présentaient pas un « caractère substantiel » rendant les maisons « impropres à leur utilisation » et n’étaient donc pas d’une gravité suffisante pour justifier la démolition des maisons.

Ces non-conformités tenaient notamment à l’absence d’une arase, au constat qu’une des maisons était trop encaissée de 10 cm, ce défaut d’altimétrie ayant rendu nécessaire l’installation de pompes de relevage pour évacuer les eaux, ainsi qu’à une construction sur vide sanitaire quand une construction sur terre-plein avait été prévue.

Un pourvoi était formé, le maître d’ouvrage arguant, d’abord, du caractère obligatoire du contrat, de sorte qu’il suffirait de constater que les maisons, sur plusieurs points, ne correspondaient pas à ce qui avait été prévu au contrat de construction et, ensuite, de la gravité des non-conformités.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, relevant d’abord que la cour d’appel a constaté que, si l’arase étanche était prévue au contrat, la solution alternative préconisée par l’expert avait bien été réalisée pour remédier aux risques de remontée d’humidité. Elle note ensuite que le contrat prévoyait que l’installation d’une pompe de relevage pourrait être nécessaire.

La Cour de cassation conforte ainsi les juges du fond qui ont décidé que les non-conformités invoquées étaient soit non établies, soit dénuées de gravité, et que le respect des règles de l’art et de la réglementation en vigueur était assuré après réalisation des travaux ordonnés, de sorte que la demande tendant à la démolition et à la reconstruction des maisons, « qui se heurtait au principe de proportionnalité des réparations au regard de l’absence de conséquences dommageables des non-conformités constatées », devait être rejetée.

On notera que la Cour de cassation ne s’attarde pas sur le non-respect du caractère obligatoire des stipulations contractuelles puisque le principe de proportionnalité – qui tend à retenir la sanction la mieux adaptée - implique nécessairement une inexécution contractuelle préalable.

Ce principe de proportionnalité a désormais sa place à l’article 1221 du code civil dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016. La loi du 20 avril 2018 est toutefois venue modifier le texte pour réserver le principe de proportionnalité au débiteur « de bonne foi ».

L’ article 1221 du code civil dispose ainsi depuis cette date : « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».

Dimitri Seddiki-Défossé
Avocat au Barreau de Lille
Enseignant en droit des obligations et procédure civile

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