I – L’image des personnes
Le droit à l’image a donc pour effet de limiter les droits du photographe sur son cliché.
Jurisprudence constante (1896) : « Si le photographe est bien propriétaire de ses clichés, il ne peut en faire usage, les reproduire ou les afficher qu’avec l’autorisation formelle de la personne dont les traits sont reproduits par le clichés ».
1/ La réalisation de l’image d’une personne dans un lieu privé
Qu’il s’agisse d’une personne inconnue ou célèbre, la réalisation de son image dans un lieu privé nécessite son consentement, c’est-à-dire son autorisation.
À défaut, cette atteinte se confond avec l’intrusion dans la vie privée est constitue donc un atteinte à l’article 226-1 du Code pénal.
2/ La réalisation de l’image d’une personne dans un lieu public
La règle est la même dans l’hypothèse où la personne est photographiée dans des circonstances relevant de sa vie privée, et ce même si elle se trouve dans un lieu public. Son consentement est donc requis.
Ex : photographies de Caroline de Monaco dans le cadre de sa vie étudiante ; photographies montrant le mauvais état de santé d’une personne ; photographies d’une présentatrice de télévision en vacances sur une île ; photographies d’un avocat dans une soirée privée.
Cependant, il existe des exceptions à ce principe et dans certaines hypothèses, le consentement de la personne n’a pas à être prouvé.
Il s’agit donc, a contrario, de toutes les hypothèses où la personne se trouve dans un lieu public et dans des circonstances ne relevant pas de sa vie privée.
L’autorisation de la personne photographiée n’est donc pas requise quand celle-ci sert à illustrer un événement d’actualité puisque l’on considère que les intérêts particuliers s’effacent devant les impératifs de l’information. Ainsi, le droit à l’image ne peut faire échec à la diffusion d’une photographie rendue nécessaire pour les besoins de l’information.
Ce raisonnement concernant les photographes de presse a par ailleurs été étendu au domaine artistique.
Les tribunaux ont tendance à donner gain de cause aux auteurs des photographies au motif que, si le droit à l’image n’est pas absolu et cède notamment devant le droit à l’information, « il doit en être de même lorsque l’exercice par un individu de son droit à l’image aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s’expriment spécialement dans le travail de l’artiste ».
Ex : Livre du philosophe et sociologue Jeau Beaudrillard et du photographe Luc Delahaye, contenant des photographies de visages anonymes prises dans le métro parisien ; recueil de photographies de Jean-Marie Banier intitulé Perdre la tête comportant des portraits pris sur le vif dans la rue sans l’autorisation des personnes concernées.
La limite réside cependant dans le respect de la dignité de la personne photographiée.
En outre, il paraît naturel que le consentement des personnalités (les hommes politiques, les vedettes du spectacle) est présumé lorsque la photographie les représente dans leur qualité de personne publique . En effet, par leur présence dans un lieu public, elles peuvent s’attendre à être photographiées.
Ex : la photographie d’un sportif, prise à l’occasion de l’Open de tennis de Monte-carlo, ne constitue pas une atteinte au droit à l’image de ce dernier.
Cette règle est également valable si la photographie a été prise à l’occasion de l’exercice d’une activité professionnelle. Les solutions d’espèces étant à ce sujet diverses, la jurisprudence a dégagé un critère : la diffusion de l’image est licite dès lors qu’elle est neutre, en ce qu’elle ne révèle rien de la vie privée et qu’elle n’est pas dégradante.
3/ Précisions quant à la distinction entre lieu privé et lieu public
Le lieu privé a été défini comme l’endroit où l’intéressé peut normalement s’abriter à l’abri des regards ; mais il n’existe pas de règle générale et la qualification du lieu dépendra finalement des circonstances et sera apprécié in concreto par les juges.
Ex : ont été considérés comme des lieux privés : un bateau privé, une prison, un commissariat, alors qu’ont été considérés comme des lieux publics : un marché, un lieu de culte, la piscine d’un centre de thalassothérapie.
Le raisonnement se fait par rapport à la qualité intrinsèque du lieu et non en fonction de la personne qui s’y trouve. En conséquence, la présence d’une personne publique dans un lieu ne fait pas de celui-ci un lieu public.
4/ Le respect de l’usage normal de l’image
Il apparaît évident qu’une atteinte à l’image de la personne sera réalisée dans la mesure où sa diffusion cause un préjudice à l’intéressé. L’usage de l’image doit être normal.
Ainsi, l’atteinte à l’image est constituée si la personnalité est altérée, c’est-à-dire si l’individu est représenté dans une attitude ou une situation désagréable ou ridicule, et a fortiori, lorsque l’image a une connotation diffamatoire ou injurieuse.
Ex : photographie d’une personne laissant penser à tords qu’il s’agit d’une prostituée ; nudité d’un sportif dont le maillot s’est déchiré.
Enfin, les personnes sont protégées contre l’exploitation de leur image : celle-ci ne doit pas être utilisée à des fins commerciales ou publicitaires.
5/ Précisions relatives à l’autorisation
Il est nécessaire que l’autorisation soit personnelle. Elle ne peut donc être donnée que par la personne qui est représentée sur la photographie.
Cependant lorsque la personne représentée est une personne mineure ou majeure protégée, il peut paraître nécessaire de solliciter son consentement ainsi que celui de son représentant légal (règle du double consentement).
II – L’image des biens
Suite à différentes affaires à propos de photographies d’immeubles, la jurisprudence a peu à peu développé un droit à l’image des biens, notion relativement récente et construite à partir de l’article 544 du Code Civil, selon lequel : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
Ce droit appartient donc aux propriétaires et non aux locataires.
1/ l’évolution du droit à l’image des biens
Dans un premier temps, la jurisprudence a jugé que le propriétaire d’un bien avait seul le droit de permettre l’exploitation de l’image de celui-ci.
Cour de Cassation, 10 mars 1999, « le Café Gondrée » : le propriétaire du Café Gondrée, premier bâtiment libéré par les Alliés en 1944, s’opposait à l’exploitation commerciale d’une carte postale. La Cour d’appel de Caen a rejeté sa demande, la photo étant prise depuis le domaine public, la Cour de Cassation avait fait droit au propriétaire.
Le propriétaire n’avait donc pas à prouver son préjudice, ce qui a laissé une grande brèche ouverte pour les propriétaires, au détriment des photographes.
La Cour de Cassation a donc ensuite nuancé sa position, en précisant que le propriétaire d’un bien ne peut s’opposer à l’exploitation de l’image d’un bien si cette exploitation ne cause aucun trouble à son droit d’usage ou de jouissance.
Cour de Cassation, 2 mai 2001, « l’îlot du Roc Arhon » ou « la petite maison en Bretagne » : le procès avait été intenté par le propriétaire d’un îlot situé en Bretagne, dans lequel est édifié une maison typique coincée entre deux rochers. Le Comité régional de tourisme de Bretagne avait utilisé un cliché de la maison pour la promotion touristique de la région, le droit de reproduction ayant été obtenu auprès d’un photographe professionnel. La société civile propriétaire s’y était opposée, revendiquant son droit absolu de propriété et arguant que l’utilisation portait atteinte aux habitants de l’îlot. Restant dans la lignée de l’arrêt de 1999, la Cour d’appel lui avait donné gain de cause. Mais la Cour de Cassation a opéré un revirement.
Ainsi, l’exploitation commerciale de l’image d’un bien n’est plus suffisante pour constituer une atteinte au droit de jouissance, il faut établir la preuve qu’elle incombe un trouble.
Enfin, l’Assemblée Plénière de la Cour de Cassation a tranché la question en précisant que le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celle-ci ; il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal.
Assemblée Plénière, 7 mai 2004, « l’Hôtel de Girancourt » : les promoteurs d’un immeuble en construction à Rouen avait diffusé une brochure promotionnelle dans laquelle figurait une photo de l’Hôtel de Girancourt, proche du chantier, classé monument historique, afin de vanter l’environnement de la future résidence. Les propriétaires de l’hôtel, estimant que la publication de cette photo pouvait laisser supposer que leur bien était commercialisable, ont saisi la justice.
Ils ont été débouté étant donné que la Cour a considéré qu’aucun trouble anormal n’était établi dans cette affaire.
Le trouble doit être présent et actuel
Illustration de la notion de trouble anormal :
L’usage dévalorisante de l’image d’un bien est constitutif d’un trouble anormal.
Ex : L’utilisation, sans accord de la société demanderesse, fabricante de médicaments génériques, d’une photo de l’un de ses panneaux publicitaires dégradés, aux fins d’illustrer « le déclin de l’empire pharmaceutique » suivie d’une autre photo montrant par contraste les bureaux feutrés d’une société concurrente, cause un trouble anormal au propriétaire de la société demanderesse.
2/ L’image des habitations
L’extérieur
Le simple fait d’être propriétaire d’un bien meuble ou immeuble, exposé à la vue de tous, n’emporte pas en lui-même le droit pour son titulaire de s’opposer à l’exploitation commerciale de son image, obtenue sans fraude, sauf trouble certain au droit d’usage et de jouissance du propriétaire.
L’intérieur
En revanche, l’autorisation du propriétaire d’une maison est nécessaire pour exploiter des clichés de l’intérieur, étant donné que la protection de la vie privée est ici mise en cause.
Le photographe doit donc rapporter la preuve de l’autorisation exprès du propriétaire pour exploiter les clichés.
3/ Les œuvres architecturales
Étant donné que les architectes disposent de droits d’auteur sur leur œuvre, la loi est différente.
En théorie, leur autorisation est nécessaire pour reproduire l’œuvre mais la jurisprudence tempère cette obligation dans l’hypothèse où l’œuvre principale n’est pas le sujet principal de l’image.
Jurisprudence de la Place des Terreaux à Lyon dans laquelle la Cour de Cassation (arrêt du 15 mars 2005) a débouté les demandes des architectes Daniel Buren et Christian Drevet qui avaient réaménagé la place et s’opposaient à l’exploitation de leur image par des éditeurs de cartes postales. La Cour de Cassation, tout en reconnaissant que leur travail était une œuvre, a considéré que celle-ci « se fondait dans l’ensemble architectural de la place, dont elle constituait un simple élément ».