[Tribune] Nouvelles dispositions en matière de réductions de peine : encore des injonctions contradictoires. Par Lee Takhedmit, Avocat.

[Tribune] Nouvelles dispositions en matière de réductions de peine : encore des injonctions contradictoires.

Par Lee Takhedmit, Avocat.

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Explorer : # réductions de peine # réforme pénale # inégalités carcérales # système judiciaire

Critique de la branche de la loi du 22 décembre 2021 concernant la réforme des réductions de peines pour les condamnés.

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La loi du 22 décembre 2021 est venue modifier assez substantiellement un régime qui me semblait fonctionner plutôt correctement depuis de nombreuses années, celui des réductions de peine (articles 721 et suivants du Code de procédure pénale).

Dans le régime qui fonctionnait cohabitaient les crédits de réduction de peine et les remises de peine supplémentaires.

Les premiers, comme leur nom l’indique, étaient accordés de façon automatique à toute personne écrouée dès sa mise à l’écrou. 3 mois pour la première année de détention, 2 mois pour les années suivantes.
Les secondes, facultatives, pouvaient être allouées au détenu en récompense de son bon comportement. 3 mois maximum par année de détention.

Ce système fonctionnait pour un certain nombre de raisons, notamment :
- Les remises de peine automatiques permettaient au détenu d’avoir une date de sortie prévisible dès le jour de son incarcération, qui a priori ne pouvait que se rapprocher en cas de bon comportement.
- Les crédits de réduction de peine constituaient l’encouragement avant la récompense, ce qui semble un système équilibré, d’autant que cet encouragement pouvait, en cas de mauvais comportement du détenu faire l’objet d’un retour en arrière via la procédure de retrait de CRP.

Le nouveau système mis en place par la loi du 22 décembre 2021, cédant à une vieille antienne populiste qui considère qu’une personne condamnée en France n’exécute même pas la moitié de sa peine - une ineptie – a tout simplement supprimé le crédit de réduction de peine.

On passe d’une philosophie d’encouragement/récompense à la philosophie plus simpliste de la seule carotte, imaginant sans doute en cela pouvoir dresser les détenus comme des ânes.

Le quantum de peine susceptible de faire l’objet de l’aménagement demeure le même (on va me dire qu’il est plus généreux, car on aura potentiellement droit à 6 mois contre 5 à compter de la 2ème année, merci mais lisez plutôt ce qui suit), mais on soumet le tout à l’appréciation du Juge d’application des peines, sur proposition/appréciation du conseiller d’insertion et de probation.

En réalité, la partie fluctuante, donc sujette à arbitraire – pardon, à arbitrage – passe de la moitié du contingent possible de remise à sa totalité.
En somme, les disparités connues en matière d’aménagement de peine en fonction des lieux de détention, qui ne portaient auparavant que sur la moitié des réductions de peine, vont désormais porter sur la totalité.
Qu’on le veuille ou non, le principe des crédits de réduction de peine garantissait à tout détenu en France de bénéficier a minima d’une quotité de réduction de sa peine égale à quiconque aurait été comme lui condamné. Une certaine égalité.

Désormais, c’est le principe même de la réduction, et la totalité de son quantum, qui seront soumis à l’appréciation d’un juge, après avis d’un conseiller pénitentiaire.
Tous deux membres de corporations notoirement en sous-effectif, en manque de moyens, souvent au bord du burn-out.

Il est un fait que deux condamnés, par exemple dans une même affaire de trafic de stupéfiants, à des peines identiques, l’un expédié dans le Sud pour purger sa peine, l’autre dans le Nord, risquent de voir, alors qu’ils auront eu exactement le même comportement en détention, leur durée d’incarcération varier de façon très importante, simplement parce que le premier se sera bien entendu avec son conseiller pénitentiaire et aura vu sa situation examinée par "un partisan de la politique du garde des sceaux Taubira", là où le second aura hérité de tout l’inverse.

Pour finir, ce qui pose par-dessus tout problème avec cette réforme, c’est l’injonction contraire - permanente en la matière, c’est ce qui arrive quand on pond des lois en fonction du sens du vent électoraliste…

Depuis des années, le législateur met en avant la nécessité d’éviter les courtes peines, de ne pas engorger les prisons, etc.
Il est bien évident que ce texte, qui donne plus de pouvoir d’appréciation et de marge de manœuvre au Juge d’application des peines, va avoir l’effet inverse.

D’une part, de façon endémique, le juge d’application des peines rechigne à donner le maximum de ce que la loi prévoit, il sera éminemment rare de voir un détenu obtenir une remise de peine de 6 mois sur une incarcération d’une année, ce qui allongera automatiquement la duré de peine purgée, notamment pour les petites peines.

D’autre part, il existe nombre d’établissements qui ne peuvent pas proposer les activités prévues normalement pour les détenus et dont le nouvel article 721 du Cpp nous indique qu’elles doivent être suivies scrupuleusement pour prétendre obtenir des remises de peine. Aujourd’hui dans de tels établissements tous les détenus bénéficient au moins des CRP. Demain, ils seront de bien mauvais candidats aux remises de peines supplémentaires. Et n’imaginez pas que les JAP tirent les leçons de l’incurie de l’administration pénitentiaire et rééquilibrent les choses en se montrant plus amènes avec les détenus qui subissent les insuffisances et l’indigence d’activité de tel ou tel établissement ; vous vous tromperiez lourdement.

Anticipons le bilan de cette réforme : perte d’espoir dans la population carcérale (rarement signe de comportement calme et responsable), augmentation des disparités de traitement entre les détenus, allongement des durée d’incarcération, particulièrement pour les petites peines… C’est vrai que l’on progresse chaque jour un peu plus vers une « Justice réparée »…

Lee TAKHEDMIT
Avocat spécialiste en droit pénal
Barreau de Paris

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