La médiation obligatoire contre vents et marées : réapparition de l’article 750-1 du Code de procédure civile.

Par Edith Delbreil Sikorzinski, Médiateure et Jean-Louis Lascoux.

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Explorer : # médiation obligatoire # droit à la médiation # modernisation judiciaire # déjudiciarisation

En 2016, le législateur introduit l’obligation à recourir à un mode alternatif de règlements, préalable à tous procès, sous peine d’irrecevabilité. Cette obligation est néanmoins limitée à certains litiges en raison de leur montant (moins de 5.000 €), ou de leur nature (conflit de voisinage ou trouble anormal de voisinage). (1)
Une bataille juridique s’en était suivie relativement au décret d’application, à l’initiative du CNB, aboutissant à un arrêt du 22 septembre 2022, par lequel le Conseil d’État a purement et simplement annulé cette disposition, sans effet rétroactif. (2)

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On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec la décision prise par la Cour Constitutionnelle italienne, le 12 décembre 2012, qui avait de la même façon, retoqué le législateur dans le cadre de la médiation obligatoire pour certains litiges. En fait, il était apparu que la rédaction du texte manquait de clarté et souffrait d’imprécisions dans la mise en œuvre de son dispositif. Fin 2013, avec un meilleur rédactionnel, la médiation obligatoire a été rétablie et a pris depuis une place importante dans le règlement des conflits. Nous espérons qu’il en soit ainsi dans le pays de Molière…

Détermination du législateur vers une médiation obligatoire ?

Renvoyé à sa copie, le gouvernement a rédigé un tout nouveau décret n° 2023-357 en date du 11 mai 2023, publié au Journal Officiel du vendredi 12 mai 2023 (3), réintroduisant l’article 750-1 du Code de procédure civile dans sa rédaction initiale, à la différence près que des précisions sont apportées quant à l’indisponibilité des conciliateurs de justice, en tant que dispense de l’obligation préalable. Contre toute vraisemblance, et malgré toutes les résistances manifestées, la médiation obligatoire apparait bien comme un objectif inscrit dans la feuille de route pour la modernisation continue du système judiciaire.

C’est ainsi que les dispositifs se multiplient notamment, dans les domaines de la fonction publique et de la santé et que les tentatives d’obstruction sont délicatement, mais fermement dépassées. Il est toutefois bien difficile, pour des juristes, d’imaginer ce qui peut être qualifié de déjudiciarisation.

Obligation de médiation, de quoi s’agit-il ?

Contrairement à ce qu’affirment certains, le conflit n’est pas l’expression de deux libertés mais la résultante d’une relation dégradée. Cette dégradation se fait au fur et à mesure des échanges, avec maladresse, ignorance, par manque évident de savoir-faire dans le domaine des relations humaines.

Deux personnes en conflit sont deux personnes dominées par leurs émotions au point de solliciter du juge « justice », sans prendre conscience qu’elles se privent de leur liberté de décision et acceptent de se soumettre à la décision de celui-ci au risque qu’elle leur soit défavorable ! De la même façon, elles ne peuvent, à l’instant, imaginer ce que la médiation peut leur apporter tant les émotions sont débordantes, envahissantes. Elles ne sont donc pas libres.

Le droit à l’instruction a permis l’instauration de l’obligation à l’instruction, sur ce même constat d’ignorance, et personne ne s’en offusque.

Entre une obligation d’aller en justice et une obligation d’aller en médiation, laquelle préférez-vous ? Je vous pose cette question car à bien y réfléchir, l’obligation d’aller en justice, c’est l’acceptation de se soumettre à la décision d’un tiers. Il n’y a aucune liberté chez celui qui va en justice, ni pour celui qui la saisit, ni pour celui qui la subit ! Alors, entre l’obligation d’aller en instance judiciaire et celle d’aller en médiation avec la possibilité de retrouver une solution pérenne par un dialogue apaisé, il y a bien deux poids, deux mesures et dénoncer le concept d’obligation est un faux débat.

De la médiation obligatoire au droit à la médiation, il n’y a qu’un pas.

Avec la médiation, la médiation professionnelle s’entend, il est question de créer un espace nouveau pour l’exercice de la liberté de décision et l’institution d’un droit fondamental, le droit À la médiation : celui de pouvoir décider par soi-même avec l’aide d’un tiers, un médiateur, professionnel de la relation qui va permettre de restaurer l’entente entre les parties, pour une solution pérenne au conflit. (4)

Au 17ème siècle, les Lumières avaient déclaré que tous hommes naissent libres et égaux, et bénéficiaient d’un droit fondamental, celui d’accès à la justice. Cependant, force est de constater que ceux-ci renonçaient en définitive à leur liberté de décider et se soumettaient volontairement à la décision d’une autorité suprême, le juge. Tel est notre héritage !

Or, l’abondance des textes est telle que l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » se révèle plus que jamais, être une fiction juridique. Il en est de même de la règle selon laquelle « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres. » alors que l’on ne peut réfléchir en termes de liberté comme en termes de propriété !

Il est sans doute, venu le moment de réfléchir autrement et de permettre à tous justiciables, la possibilité de retrouver sa liberté de décision par l’institution d’un droit fondamental dans la constitution, celui du droit À la médiation.

L’émergence d’un « droit à la médiation ».

Le droit À la médiation peut s’exercer dans une culture qu’il convient de réformer et œuvrer sur le transfert des repères culturels pour que les personnes puissent mieux exercer ce droit qui correspond à l’extension de l’exercice de la liberté.

Ne vous méprenez surtout pas : ce droit À la médiation se distingue du droit DE la médiation. Il serait plus familier pour des juristes, d’aborder la médiation, sous l’angle des textes qui en facilitent sa mise en œuvre, une sorte de modélisation. Ce droit DE la médiation est associé à l’idée de provenance, c’est-à-dire un droit ancré dans des représentations du passé avec toutes ses lourdeurs. Développer davantage ce droit DE la médiation n’aurait comme conséquence, que de renforcer un système de substitution tel qu’il existe.

Il faut insister sur cette distinction. Avec le droit À la médiation, c’est l’affirmation d’un droit qui vise à déjudiciariser les aléas relationnels. Ce droit serait associé non plus à la provenance, mais à la notion de destination : il va permettre d’établir librement un projet relationnel en restaurant l’entente et donc, comparée à la lourdeur judiciaire, avec légèreté.

Vouloir ainsi réformer la justice, c’est avant tout, repenser ses fondements, c’est revoir ce que représente l’idée de justice, à quoi elle fait référence et à quoi elle s’applique. Vouloir insérer la médiation dans le système judiciaire consiste avant tout à s’interroger quant au but. Le législateur doit réfléchir à ces aspects avant d’aller plus en avant afin d’éviter les écueils d’une énième réformette. Tout sera question d’éthique, c’est-à-dire une conception moderne de la vie en société et de ses pratiques régulatrices.

De ce fait, l’institution d’un droit à la médiation induit nécessairement formation des magistrats, afin qu’ils puissent prescrire avec connaissance, et formation des médiateurs judiciaires, étant précisé que « médiateur » est une nouvelle profession dont les compétences consistent dans l’aide à la réflexion, à la prise de décision et à l’assistance pour la conduite de projets relationnels, qu’il s’agisse de rétablissement des relations ou de changement.

Un tel projet pourrait bien être soutenu par une modification constitutionnelle plaçant le droit à la médiation comme une extension d’un plein exercice de la liberté.

Ressources et références
1) Article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 dite de « modernisation de la justice du XXIe siècle », modifiée par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 dite « pour la confiance dans l’institution judiciaire » - article 750-1 du code de procédure civile.
2) Arrêt du C.E. n° 436939 du 22 septembre 2022
3) Décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile a été publié au Journal Officiel du vendredi 12 mai 2023.
4) Livre Blanc de la Profession de Médiateur, collectif - Médiateurs Editeurs - Pratique de la médiation professionnelle, par JL Lascoux - éditions ESF - Dictionnaire encyclopédique de la médiation par JL Lascoux - éditions ESF.

Jean-Louis Lascoux, auteur du Dictionnaire de la Médiation (ESF) ; Pratique de la Médiation Professionnelle (ESF) ; Médiation en milieux hostiles (ESF). Président du centre de recherche en entente interpersonnelle et sociale et ingénierie relationnelle - www.creisir.fr

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 25 mai 2023 à 02:29
    par Gilles Huvelin , Le 24 mai 2023 à 09:05

    Évidemment que la médiation c’est bel et bien l’échec de la mise en oeuvre du pouvoir régalien de la justice. La conciliation existait déjà dans le Code de Procédure Civile. Elle fonctionne très bien dans les procès devant le Tribunal de Commerce de Paris notamment. 60% de réussite. C’est gratuit en plus. Devant la Cour d’Appel, outre que la médiation est pratiquement imposée aux parties par certains magistrats, non seulement c’est cher mais en plus il y a des rentes de situation. Sans le dire on revient indirectement aux épices devant certaines juridictions.
    Un bon nombre de médiateurs sont des professionnels libéraux ou experts, retraités qui ont suivi une formation pour trouver des ressources. Ce n’est pas un nouveau métier mais aussi du chômage reconverti. La seule réforme qui peut dégorger la Justice est la condamnation à des dommages-intérêts punitifs. La partie perdante qui contraint le demandeur à s’adresser au tribunal doit êtresanctionné. En Grande Bretagne, il n’y a que deux Cour d’Appel. En fait le syndicalisme judiciaire ne veut que plus de moyens que l’Etat n’a plus et plus d’effectifs. Le fait que la justice soit un service régalien consubstantiel à l’existence même de l’État totalement indépendant sans aucun contre-pouvoir, je dis bien aucun, est le problème de fond. La suppression de l’ENM et le recours au recrutement dans la société civile qui est actuellement un échec dans la mesure où la sélection est politique et corporatiste, doivent revenir sur la table. Le contrôle du Parlement sur l’application de la loi et la nomination des magistrats doit être exister dans un État de droit. La médiation dans le contexte actuelle fait seulement partie de la passion française pour les usines à gaz. Les avocats savent très bien trouver des accords avec leurs clients avant et pendant et même après les procès. Si à la clé la menace de dommages-intérêts punitifs pèse sur la partie défaillante en droit, l’issue négociée sera plus facilement accesible. Si je suis d’accord avec l’article, c’est sur un point. La médiation doit être totalement volontaire. Les magistrats ne doivent ni pouvoir l’imposer, ni choisir le médiateur, ni fixer la rémunération du médiateur. La conciliation judiciaire doit être proposée mais elle doit restée gratuite et non rémunérée.

    • par Jean-Louis Lascoux , Le 25 mai 2023 à 02:29

      Que l’on puisse constater que les choses évoluent en matière de régulation des différends, c’est clair. un survol de l’Histoire permet de voir l’évolution des temps depuis la justice de Salomon, de Charlemagne et de Saint-Louis, sans parler de l’époque de Loisiel. Conserver en l’état le système judiciaire est irréaliste. Vous constatez avec mon rappel l’évidence de l’évolution et si l’on se moque du monde, c’est à vouloir maintenir un système qui appartient déjà au passé. La médiation sous sa forme traditionnelle est également passéiste. Le droit à la médiation est une innovation, comme l’a été le droit à l’instruction en 1793
      https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-constitutions-dans-l-histoire/constitution-du-24-juin-1793#:~:text=Article%2022.,port%C3%A9e%20de%20tous%20les%20citoyens.
      La médiation professionnelle accompagne une évolution culturelle qui interroge et redéfinit les rapports à l’autorité, à la liberté, à l’exercice de la liberté. Il est clair que ce n’est pas facile pour tout le monde de revisiter ces fondamentaux qui participent de la conscience que l’on peut avoir par rapport à l’existence et la vie en société.

  • par Bernard Ridet , Le 24 mai 2023 à 08:35

    Cher Confrère
    Votre long commentaire omet de considérer le seuil de 5000 euros.
    Je suis curieux de savoir combien de médiations ou de procédures participatives seront engagées ....
    Sans esprit polémique ni volonté de dénigrer quiconque ne pense pas comme moi ....
    Bernard RIDET
    avocat honoraire
    conciliateur de justice

  • Dernière réponse : 23 mai 2023 à 13:40
    par Bernard Ridet , Le 23 mai 2023 à 11:59

    Confusion entre médiation (à caractère onéreux) et conciliation ( menée à titre bénévole par le conciliateur)

    • par Jean-Louis Lascoux , Le 23 mai 2023 à 13:40

      Bonjour Bernard Ridet
      Il apparait dans votre commentaire la persistance d’une confusion. 1. La médiation n’est pas forcément réalisée à titre onéreux. Par exemple, l’intervention de médiateurs internes dans des organisations n’est pas onéreuse, en ce sens où les parties prenantes, qui peuvent être des salariés, ne paient pas le médiateur. 2. La médiation de la consommation n’est pas payée par les consommateurs. 3. Pour le conciliateur le bénévolat a ses limites et l’on peut constater que l’organisation des conciliateurs de justice est bien placée sur le marché des médiateurs de la consommation.
      Donc, la distinction que vous tentez entre médiation et conciliation n’est pas la bonne. Disons plutôt que la médiation professionnelle est bien différente de la conciliation en ce qu’elle est outillée de l’ingénierie relationnelle et que la conciliation repose sur les approches traditionnelles de l’assistance de négociation par les jeux de la morale et du droit. Mais je sais que ce n’est pas facile à admettre.

  • par Jean-Louis Lascoux , Le 22 mai 2023 à 11:48

    Dans un commentaire sur un réseau social, un avocat écrit à propos de la reconnaissance du droit à la médiation : "Parler d’une liberté nouvelle pour justifier une obligation procédurale supplémentaire et un coût supplémentaire….. !?!? Et de surcroît mettre à l’index le justiciable qui a recours au juge parce qu’il n’est pas assez maître de ses émotions !"

    Voici des arguments qui, dans la sincérité de l’auteur, véhiculent des biais d’observation et, partant, de raisonnement. Il est dés lors difficile de contre-argumenter de manière performante afin de faire changer de point de vue. Je vais quand même tenter une démonstration pour toucher les habitudes de pensée et toutes convictions préexistantes. La question est cependant : êtes vous prêt à considérer les avantages d’une approche qui permet de faire évoluer la culture sociétale ?

    L’interprétation de juriste reflète une posture encore ancrée dans les conceptions qui freinent le recours préférentiel à la médiation. Elle était déjà présente dans des polémiques initiales de la médiation professionnelle (https://www.dailymotion.com/video/x8rwbn). Il s’agit d’une approche qui défend les pratiques des systèmes procéduraux et des aléas judiciaires plutôt que les intérêts réels des personnes en situation de conflit. Ainsi, la médiation serait une "obligation procédurale" et un "coût supplémentaire", alors qu’en réalité elle est une innovation pour un meilleur exercice de la liberté relationnelle.

    En effet, les différends réglés par la médiation sortent du champ judiciaire et donc ne sont plus coûteux en termes de recours multiples qui participent à la gestion des différends (notez : "gestion" => rentabilisation spéculative. Ainsi, la médiation réduit considérablement les coûts sociétaux, en plus des coûts personnels et de la charge émotionnelle.

    A cela s’ajoute une observation de sens, plutôt que la considération spéculative laquelle vraiment secondaire. L’essentiel réside dans ce que permet la médiation - je parle de la médiation professionnelle, pas des pratiques confessionnelles et autres approches traditionnelles auxquelles vous faites sans doute référence - elle permet une extension de la liberté de décision et c’est vrai, les juristes sont peu à être formés à cela (www.epmn.fr), puisque leur formation de base leur apprend à se substituer aux personnes considérées comme des justiciables, c’est-à-dire des personnes qui doivent à un moment donné de leur vie se soumettre à une autorité et abandonner leur liberté de décision...

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