Comment faites-vous de votre handicap une force au quotidien, notamment sur le plan professionnel ?
« On voit souvent le handicap comme une limitation, ce qu’il est indéniablement, mais les compétences développées par la personne pour le compenser au quotidien sont telles qu’il en devient presque une "richesse", un plus.
Dans mon cas, cette force en plus est l’écoute. Comme je suis atteint de cécité depuis ma naissance, j’ai basé ma vie sur l’écoute de ce qui m’entoure, des personnes... Je suis attentif au ton, aux mots employés, à la diction... J’ai ainsi acquis une sensibilité plus grande à ce qui est dit par mes consoeurs, confrères, mes clients ou tout autre personne intervenant lors d’un procès.
Mon handicap me force aussi à tout synthétiser, ce qui dans le cadre de mes études et de ma profession est appréciable.
L’adaptabilité est une force majeure des personnes handicapées et elles l’enseignent aux autres ».
Votre handicap peut-il perturber vos consoeurs, confrères et clients ?
« Oui, cela arrive parfois. Concernant mes consoeurs/confrères, c’est souvent dans la façon de travailler qu’ils se questionnent : comment échanger sur un dossier, comment communiquer les pièces d’un dossier... Je les rassure.
Pour les clients, je comprends tout à fait que mon handicap puisse être un obstacle et je ne m’en offusque pas. En effet, un lien de confiance doit se créer entre le client et son avocat. Si le client estime que mon handicap peut jouer sur ma fiabilité professionnelle, il est inconcevable de lui demander de prendre sur lui, car s’attacher les services d’un avocat est déjà un engagement important, lourd à porter ; je ne peux donc pas en plus lui demander de faire-fi de mon handicap. Les clients qui font appel à mes services le font en connaissance de cause et cela ne les dérange pas. Je me souviens d’un client pour qui j’avais été commis d’office et qui avait été bluffé par mon intervention ».
Personnellement, quelles solutions et/ou méthodes utilisez-vous dans votre travail ? Qu’est-ce qui simplifierait utilement votre quotidien (et celui de vos consoeurs et confrères), au sein d’un cabinet ou d’un tribunal ?
« Dans mon travail au quotidien, j’utilise beaucoup l’ordinateur, un synthétiseur vocal et une plage braille [1]. J’utilise aussi beaucoup la signature électronique. Lors de mes déplacements, je suis accompagné d’un chien guide.
Ce qui me limite ce sont les images, les vidéos, aussi dans ces cas précis, je travaille avec une personne, juriste qui me décrit les images (au sens large) dans l’étude des dossiers. J’attends avec impatience la machine qui "traduira" en relief les images.
Je suis aussi beaucoup en interaction avec les autres, je suis dans l’échange. Soit dit en passant, un avocat qui travaille toujours seul, qui n’échange avec personne est un danger.
Ce mouvement vers plus de dématérialisation des documents représente un certain avantage dans mon cas. En effet, l’informatisation permet qu’une machine fasse un premier tri de l’information reçue.
Concernant l’IA, elle pourrait apporter beaucoup. Je ne parle pas d’une IA rédactrice, car la rédaction est la force de l’avocat ; mais de l’IA outil récapitulatif. Pour le moment, les avocats manquent de formation pour entrainer l’IA et créer des outils qui leur soient utiles ».
Pensez-vous être un “role model” pour les (futurs) juristes (au sens large du terme) ?
« Ce serait prétentieux de ma part que de le penser. Mon handicap fait que j’apporte une contribution certaine dans le renouvellement méthodes de travail : une façon de travailler différente et une autre vision de l’organisation d’un cabinet.
Par mon travail, mes plaidoiries, je permets également que soit porté un autre regard sur le handicap et de faire prendre conscience que ce dernier n’enlève rien à la valeur fondamentale du professionnel, quel qu’il soit.
Il est nécessaire de parler librement du handicap, c’est un état de fait qui doit être pris en considération et qui n’est pas insurmontable. Cela entrainera juste une autre façon de travailler dans un collectif. Changement qui peut être bénéfique pour toute une équipe d’ailleurs ».
Quel message souhaitez-vous adresser à vos consœurs et confrères quant à la perception du handicap dans la profession ?
« N’ayez pas peur, il faut prendre une personne telle qu’elle est, avec ses compétences, ce qu’elle peut faire et ne peut pas faire. Il faut simplement réfléchir à une autre façon d’organiser le travail ; penser à ce que le collectif va gagner grâce à cette nécessaire adaptation. Et, ne pas oublier que l’adaptabilité est une des grandes forces des personnes porteuses d’un handicap ».
Que représente pour vous l’existence d’une association comme Droit comme un H !?
« Droit comme un H ! est une association très intéressante car, bien sûr, elle apporte une aide aux étudiants, professionnels du droit porteurs de handicaps (visibles ou invisibles), mais, in fine, elle est destinée aux personnes valides. En effet, elle leur explique comment travailler avec des personnes porteuses d’un handicap, comment les intégrer à leur équipe.
Elle (re)donne une belle image du professionnel du Droit, en apportant notamment une diversité plus grande à l’ensemble de ces professions juridiques. Je suis touché d’en porter la présidence ».
Discussions en cours :
Un article sur un Confrère qui force notre respect !
Bravo à vous Mon Cher Confrère.
C’est le meilleur d’entre nous !
adaptabilité : 20/20
synthèse : 20/20
merci encore de cette leçon de vie à nous vos confrères qui se plaignent de tout et de rien...