Chaque année, plusieurs millions de jeunes filles à travers le monde risquent d’être excisées, d’être atteintes au plus profond de leur être et de leur chair par une pratique qui conduit à des souffrances physiques et psychologiques innommables. L’OMS estime notamment que ce chiffre est de 180 000 personnes sur le seul territoire de l’Union Européenne.
Selon les chiffres de l’UNICEF, dans un rapport du 5 février 2016, 200 millions de femmes dans le monde avaient été victimes d’excision et vivaient déjà avec les conséquences dramatique de ces mutilations génitales.
Cette pratique néfaste est en recul dans de nombreux pays, pourtant le nombre de femmes victimes ne cessent d’augmenter significativement du fait des effets de la croissance de la population.
Plus encore, l’UNICEF et le monde associatif alertent sur les effets dramatiques de la pandémie de Covid 19 qui pourrait conduire à une réminiscence des mutilations génitales féminines.
Du fait de la pandémie, les programmes humanitaires de lutte contre l’excision ont été perturbés, le nombre d’enfants vivant dans la pauvreté s’est accru et les écoles ont été fermées. Ainsi, des millions de jeunes filles risquent de ne jamais retourner à l’école, ouvrant alors la voie à des mariages précoces et à des mutilations génitales féminines préalables.
Deux millions de jeunes filles supplémentaires risqueraient ainsi d’être excisées lors de la prochaine décennie. Et l’impact de cette déscolarisation doit aussi être pris en compte sur le long terme, car les femmes moins éduquées seront plus propices à soutenir et à commettre des excisions.
Alors face à ce risque de recrudescence, le droit pénal français est-il réellement efficace ?
Le droit français dispose aujourd’hui d’un arsenal répressif extrêmement complet (I) et sa compétence extraterritoriale assure une répression pour tous faits qui seraient commis sur des mineurs vivant sur le sol français (II).
I / Un arsenal répressif et préventif complet et élargi.
Le droit français réprime les actes de mutilations génitales depuis les années 1980 et de nombreuses évolutions législatives ont conduit à couvrir de façon plus large le phénomène de l’excision, tant pour réprimer plus efficacement ces faits (a) que pour garantir une prévention efficace par le signalement et dénonciation de ces faits (b).
a) La poursuite des faits d’excision et des actes y concourant.
En France, contrairement à d’autres Etats, la législation pénale ne prévoit pas spécifiquement le cas de l’excision. Cette pratique est réprimée par le biais de l’infraction de violences volontaires ayant entrainé une mutilation. Il est ainsi établi de façon constante par la jurisprudence de la Chambre criminelle que l’excision constitue bien une mutilation depuis l’arrêt du 20 août 1986 [1].
L’article 222-9 du Code pénal réprime ainsi les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, dont les auteurs encourt alors 10 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amendes.
L’article 222-10 du Code pénal prévoit quant à lui un grand nombre de circonstances aggravantes contribuant à faire de cette pratique un crime puni de 20 ans de réclusion criminelle lorsque cette mutilation est commise sur un mineur de 15 ans par une personne ayant autorité sur lui ou par un ascendant légitime, naturel ou adoptif.
Enfin, dans le cas où cette pratique conduirait à la mort de la victime, les articles 222-7 et 222-8 répriment les violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner et prévoit une peine de 30 ans de réclusion criminelle lorsque cette violence est commise sur un mineur de 15 ans par une personne ayant autorité sur lui ou par un ascendant légitime, naturel ou adoptif.
Un rapport sénatorial d’information (Rapport de Mmes Maryvonne Blondin et Marta de CIDRAC, fait au nom de la délégation aux droits des femmes, n° 479 (2017-2018), 16 mai 2018) évoque cependant la tendance actuelle à la correctionnalisation et rappelle que
« La délégation est d’avis que la compétence des Cours d’assises doit perdurer en matière d’excision et considère que la tendance à la correctionnalisation, qu’elle déplore à l’égard des viols, ne doit pas s’étendre aux mutilations sexuelles féminines ».
Rappelons également que le législateur a également élargi l’arsenal répressif français, créant deux nouveaux délits par la loi n°2013-711 du 5 août 2013.
Ainsi l’article 227-24-1 du Code pénal réprime le fait d’inciter un ou une mineur à subir une mutilation sexuelle par des offres, promesses ou en exerçant des pressions ou contraintes de toute nature. La peine encourue a été portée de 5 à 7 années d’emprisonnement par la loi n°2021-478 du 21 avril 2021.
Ce même article réprime des même peines le fait d’inciter autrui à commettre une mutilation sur la personne d’un ou d’une mineur.
Ainsi, l’arsenal législatif français réprime de façon large et globale les mutilations génitales féminines en permettant de poursuivre tant l’auteur de la mutilation, que ses complices ainsi que ceux qui, n’ayant pas commis l’acte de violence, auraient incité autrui à le commettre et/ou auraient incité le mineur à subir ces mutilations.
Dès lors, des membres de la famille de la victime qui n’auraient pas effectué par eux même cet acte de mutilation mais qui auraient incité leur enfant à le subir pourraient être poursuivi et condamné.
A titre d’exemple, en France, la CNCDH, dans un avis de décembre 2013 recensait 29 procès, depuis 1979, à l’encontre de parents ou d’exciseuses. Ce rapport indique que la première condamnation prononcée par une cour d’assises pour excision date de 1988. Les condamnations devant la Cour d’assises qui ont suivi avaient alors permis un recul de cette pratique sur le sol du territoire français.
b) Les infractions visant à garantir la prévention de ces actes.
De façon générale, et en vertu de l’article 223-6 du Code pénal qui réprime la non-assistance à personne en danger, il revient à toute personne ayant connaissance de ce qu’une telle mutilation serait exercée de dénoncer celle-ci afin d’en empêcher la réalisation.
Cette infraction est passible d’une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amendes pour toute personne qui s’abstiendrait volontairement de porter secours à la victime de tels faits.
Il est donc du devoir de tous de signaler un risque de mutilation sexuelle féminine.
Plus encore, les professionnels sociaux ou médico-sociaux pourraient eux aussi être poursuivis sur le fondement de l’article 223-6 du Code pénal dans le cas où, malgré la connaissance d’une mutilation imminente, il ne saisissait pas les autorité judiciaires ou administratives (à savoir le Procureur de la République et/ou l’Aide Sociale à l’Enfance). Ils ont également le devoir d’informer ces autorités dans le cas ou de tels faits viendraient d’être commis à l’égard d’une mineure.
Pour ce faire, et bien qu’il soit en principe interdit pour un professionnel de révéler une information à caractère secret en vertu de l’article 226-13 du Code pénal, le législateur a prévu une exception à l’article 226-14 du Code pénal qui autorise ces professionnels à informer « les autorités judiciaires, médicales ou administratives » de telles mutilations sexuelles lorsqu’elles ont été infligées à un mineurs ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique.
Ce même article, en son alinéa 2 autorise le médecin à informer le Procureur de la République dès lors qu’il a constaté des éléments lui permettant de présumer que des violences auraient été commises. Alors que la victime majeure doit consentir à cette dénonciation, le médecin n’a pas besoin d’obtenir l’accord de la victime mineure pour effectuer une telle dénonciation.
Dès lors, un médecin pourrait théoriquement être poursuivi sur le fondement des articles 434-1 et 434-3 du Code pénal, réprimant le fait de ne pas dénoncer aux autorités un crime sur mineur (ce que constitue une excision) lorsqu’il est encore possible de le prévenir ou d’en limiter les effets, ou de ne pas dénoncer les mauvais traitements infligés à un mineur.
Il est donc du devoir des citoyens majeurs, mais plus encore des professionnels éducatifs, sociaux et médicaux sociaux de protéger les mineurs qui seraient susceptibles d’être victimes de tels faits en informant les autorités administratives et judiciaires de protection de l’enfance dès que la possibilité ou l’existence d’un tel crime est porté à leur connaissance, et ce sans pouvoir se cacher derrière le secret médical ou le secret professionnel.
Ainsi, le droit pénal français, s’il réprime a posteriori les mutilations génitales féminines, s’attache également à agir a priori en imposant aux personnels en contact avec les mineurs de signaler la possible commission de tels faits, assurant ainsi une prévention effective.
II / Une compétence extraterritoriale, gage d’une meilleure protection de l’enfance.
En France, et c’est heureux, la loi protège tous les enfants, peu important leur origine ou leur nationalité, dès lors qu’ils vivent sur le territoire français.
Si les faits commis sur le sol français ou à l’égard d’une victime de nationalité française [2] tombent évidemment sous le coup de la compétence des juridictions pénales françaises, celles-ci disposent également d’une compétence extraterritoriale permettant de poursuivre les auteurs et complices de faits d’excision commis à l’étranger sur des mineures de nationalité étrangère résidant habituellement en France en vertu de l’article 222-16-2 du Code pénal, créé par la loi n°2006-399 du 4 avril 2006.
Cette compétence extraterritoriale ne s’applique cependant pas au délit de non-assistance à personne en danger et de non-dénonciation.
Dès lors, les parents, comme toute autre personne ayant concouru à la réalisation de cette excision pourront être poursuivis en tant qu’auteur ou complice, même si la mutilation a été commise à l’étranger dès lors que le mineur réside habituellement en France ou est de nationalité française.
En vertu de l’article 113-5 du Code pénal, les parents pourront également être poursuivis devant les juridictions françaises en qualité de complice dans le cas où ils auraient envoyé leur fille de moins de 15 ans dans leur pays d’origine afin qu’elle y soit mutilée.
Par ailleurs, le motif étant indifférent en droit pénal, l’argument du relativisme culturel visant à se fonder sur les coutumes et traditions du pays d’origine serait totalement inaudible devant les juridictions pénales françaises.
Hors du droit pénal et de la simple répression de ces pratiques, la législation française s’est dotée progressivement d’instrument visant à garantir la protection et la sécurité des mineures face aux risques de mutilations sexuelles.
Il est ainsi possible de demander au juge pour enfant, en vertu de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010, de faire inscrire une mineure au fichier des personnes recherchées, pour une durée pouvant aller jusqu’à deux ans, afin de prévenir la sortie du territoire dans le cas ou un risque de mutilations sexuelles à l’étranger existerait.
La personne mineur peut même jusqu’à aller demander, sans l’accord de ses parents, une mesure de protection auprès du Juge des enfants.
Enfin, il est indispensable de rappeler l’existence d’un service téléphonique gratuit permettant aux enfants risquant d’être victime de telles pratiques d’appeler « Allo Enfance Maltraitée » au 119, afin de signaler de de tels faits.
L’arsenal législatif français apparaît donc aujourd’hui en capacité de réprimer, mais également de prévenir efficacement ces actes innommables que sont les mutilations génitales féminines, qu’elles soient commises en France ou à l’étranger.
Il reste que la lutte contre l’excision - si elle ne semble pas nécessiter de nouvelles lois pénales superfétatoires - exige une action renforcée sur l’aspect préventif, notamment sur le plan éducatif et sur le plan de l’égalité entre les sexes, tant au niveau national qu’international.
Comme le chantait Jean Ferrat, reprenant Aragon, « la Femme est l’avenir de l’Homme ».
Encore faudrait-il que l’avenir de la Femme ne soit, lui, plus embrumé par ces vieilles malédictions qui doivent être désormais reléguées à ce qu’elle sont, des pratiques archaïques d’un autre temps.