La vignette classe les véhicules en six catégories environnementales, allant de la verte (véhicules électriques) à la grise (diesel préhistorique). L’objectif affiché est clair : réduire les émissions de particules fines et de gaz toxiques dans les zones urbaines. Mais dans la pratique, c’est un véritable casse-tête.
Depuis l’instauration des Zones à Faibles Émissions mobilité (ZFE-m), la France roule désormais à contresens de la simplicité administrative. Une initiative louable sur le papier - réduire la pollution de l’air - s’est transformée en un labyrinthe juridique où même les juristes les plus aguerris se perdent.
Plongée dans un univers où la vignette Crit’Air est devenue le nouveau Graal, et où les dérogations ressemblent à des quêtes épiques.
L’article L2213-4-1 du CGCT : la baguette magique des maires.
L’article L2213-4-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) confère aux maires et présidents d’EPCI (Établissements Publics de Coopération Intercommunale) un pouvoir quasi divin : celui de créer des ZFE-m. Sur le papier, cela semble simple. En réalité, c’est une toute autre histoire.
Imaginez un maire, armé de son arrêté municipal, essayant de jongler entre les catégories de véhicules, les vignettes Crit’Air (de 0 à 5), et les dérogations pour « motifs légitimes ». Le texte prévoit que les véhicules d’intérêt général [2] ou ceux transportant des personnes handicapées ne peuvent être interdits. Mais qu’en est-il des collectionneurs de 2CV ou des livreurs en mobylettes vintage ? Mystère.
La saga des vignettes.
Le certificat Crit’Air, mentionné dans l’article R2213-1-0-1 CGCT, est censé simplifier les restrictions. Mais avec six catégories différentes et des critères d’attribution dignes d’un examen d’entrée à Polytechnique, il est devenu un objet de frustration nationale.
Prenons un exemple fictif mais plausible : Gérard, habitant de Lyon, possède une Renault Clio diesel immatriculée en 2012 (Crit’Air 2). Il découvre que sa voiture sera interdite dans la ZFE dès l’année prochaine. Gérard décide donc d’investir dans une voiture électrique... avant de réaliser que le prix dépasse son budget annuel. Résultat ? Gérard prend le métro en pestant contre l’État.
Les dérogations : une jurisprudence absurde en devenir.
Le décret n°2022-1641 du 23 décembre 2022 prévoit des dérogations individuelles pour « motifs légitimes ». Mais qui décide du caractère légitime ? Le maire ou le président de l’EPCI. Et là, tout devient kafkaïen.
Prenons la jurisprudence fictive Mme Michu c/ Métropole du Grand Paris ». Mme Michu, octogénaire, demande une dérogation pour conduire sa Peugeot 205 afin d’aller chercher ses petits-enfants à l’école. La métropole refuse au motif que les transports en commun sont disponibles... sauf qu’ils sont situés à trois kilomètres de chez elle. Résultat ? Mme Michu fait appel devant le tribunal administratif, qui finit par lui accorder une dérogation temporaire sous réserve qu’elle installe un filtre antiparticules sur son véhicule datant de 1998.
Le Conseil d’État : l’arbitre suprême.
En 2020, le Conseil d’État avait déjà tapé du poing sur la table en condamnant l’État à payer une astreinte de 10 millions d’euros pour son inaction contre la pollution de l’air (Décision du 10 juillet 2020). Aujourd’hui, il se retrouve inondé par des recours liés aux ZFE-m : automobilistes mécontents, entreprises logistiques étranglées par les restrictions, et même associations écologistes dénonçant un manque d’ambition.
Un droit qui pédale dans la semoule.
La loi n°2021-1104 du 22 août 2021 a, en son article 119, renforcé le cadre juridique des ZFE-m en imposant leur création dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants avant le 31 décembre 2024. Mais entre les décrets d’application tardifs et les contestations locales, la mise en œuvre ressemble à une course cycliste où chaque coureur a crevé avant le départ.
Les maires doivent consulter tout le monde : autorités organisatrices de la mobilité, communes limitrophes, gestionnaires de voirie... sans oublier une consultation publique préalable [3]. Le résultat ? Des arrêtés municipaux souvent contestés et parfois annulés pour vice de procédure.
Une loi qui roule... mais pas droit.
La loi ZFE-m est un exemple parfait du droit moderne. Ambitieuse dans ses objectifs mais terriblement complexe dans sa mise en œuvre. Entre les vignettes Crit’Air, les dérogations kafkaïennes et les recours juridiques incessants, elle illustre bien cette maxime non écrite du droit administratif français : « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué » ?
En attendant, Gérard continue de râler dans son métro bondé pendant que Mme Michu installe un filtre antiparticules sur sa vieille Peugeot... avec l’espoir qu’un jour, elle pourra rouler librement dans sa ville sans risquer une amende salée.